10/05/23

Encore une dose d’insécurité juridique en matière d'acquisition?

Imaginez...

Vous êtes le plus important producteur de limonades du marché et vous venez d'acquérir un producteur de limonades biologiques en Allemagne. Cette limonade ne figurait pas encore dans votre gamme de produits. Si vous vouliez renforcer votre position sur le marché, vous deviez chercher un producteur de limonades biologiques. Aussitôt dit, aussitôt fait!

L'acquisition n'a pas dû être notifiée à la Commission européenne ni à l'Autorité allemande de la concurrence. Le chiffre d'affaires du fabricant local était suffisamment bas pour qu'aucun seuil de notification ne soit dépassé. Vous avez donc été ravi lorsque votre juriste d'entreprise vous a dit que vous pouviez procéder à l'acquisition immédiatement. Par expérience, vous savez qu'une procédure de notification prend beaucoup de temps.

Mais avant même que vous ne puissiez célébrer l’acquisition, votre téléphone sonne à toute volée. En effet, le lendemain de l'envoi du communiqué de presse annonçant l'acquisition, l'Autorité allemande de la concurrence vous informe qu’elle ouvre une enquête sur un éventuel abus de position dominante.

Abus de position dominante? Vous manquez de tomber de votre chaise. L'acquisition ne devait quand même pas être notifiée? Ce n’est pas possible! Ou bien si?

Quelques précisions.

La Cour de justice de l’Union européenne a récemment rendu son arrêt dans l'affaire Towercast.

Cette décision concerne une acquisition dans le secteur des télécommunications en France. Cette acquisition ne nécessitait pas de notification préalable. Toutefois, après l'acquisition, un concurrent, Towercast, a déposé une plainte auprès de l'Autorité française de la concurrence, estimant que l'acquisition constituait un abus de position dominante. L'Autorité française de la concurrence a rejeté la plainte, après quoi Towercast a fait appel devant la Cour d'appel de Paris, qui s'est adressée à la Cour de justice de l'Union européenne, en lui demandant si une autorité nationale de la concurrence peut considérer qu'une acquisition constitue un abus de position dominante même si cette acquisition n'a pas dû être notifiée. 

La Cour a répondu qu'il n'était en effet pas exclu qu'une acquisition ne nécessitant pas de notification préalable puisse néanmoins constituer un abus de position dominante.

Ce faisant, la Cour crée des problèmes supplémentaires dans le domaine des acquisitions pour les entreprises dominantes.

Le fait qu'une entreprise dominante renforce sa position n'est pas en soi suffisant pour que l'acquisition soit considérée comme abusive. En revanche, il y a abus si "le degré de domination ainsi atteint entraverait substantiellement la concurrence, c’est-à-dire ne laisserait subsister que des entreprises dépendantes, dans leur comportement, de l’entreprise dominante".

L'arrêt de la Cour n'est pas sans conséquences. Moins d'une semaine après l'arrêt Towercast, l'Autorité belge de la concurrence a annoncé qu'elle avait ouvert une enquête sur un éventuel abus de position dominante de la part de Proximus, acteur dominant du secteur des télécommunications, dans le cadre de son acquisition d'EDPNET. Cette acquisition n'a pas dû être notifiée à l'Autorité belge de la concurrence en raison du chiffre d'affaires limité d'EDPNET. En outre, EDPNET était insolvable et le tribunal avait accepté le transfert des activités d'EDPNET à Proximus dans le cadre de la procédure d'insolvabilité.

Les entreprises en position dominante qui ont des projets d'acquisition sont prévenues: même si l'acquisition d'un petit acteur n'est pas soumise à l'approbation préalable des autorités de la concurrence, elles peuvent être accusées d'abus de position dominante par la suite.

Concrètement.

  • Vérifiez toujours si votre acquisition doit faire l'objet d'une notification préalable à la Commission européenne ou à une ou plusieurs autorités nationales de la concurrence.
  • Même si ce n'est pas le cas et que vous êtes en position dominante, vérifiez auprès de vos conseillers juridiques s'il n’y aurait pas un risque d’abus de position dominante.
  • Cela peut être le cas lorsque le comportement des autres acteurs du marché dépend de vous.
  • Le contenu précis de ce test doit être évalué au cas par cas, ce qui crée une insécurité juridique pour les entreprises dominantes.
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