15/12/15

Proximus et bpost: un pas plus près de la privatisation avec un nouveau cadre juridique

Le 3 décembre 2015, la Chambre a adopté en séance plénière un projet de loi "modifiant la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques". Le texte adopté prévoit de nouvelles règles qui seront principalement applicables à Proximus et bpost. Le législateur a pour objectif de rapprocher le régime qui leur est applicable de celui qui s'applique aux sociétés privées. Par ailleurs, la nouvelle loi crée un cadre juridique qui permet de mettre fin à la participation majoritaire de l'Etat au sein de Proximus et de bpost. Enfin, la loi permet de centraliser certaines participations de l'Etat entre les mains de la Société Fédérale de Participations et d'Investissement. 

Introduction

Dans l'accord de gouvernement du 10 octobre 2014, le Gouvernement Michel s'est engagé à des objectifs ambitieux en ce qui concerne les entreprises publiques fédérales. Le texte de loi adopté par la Chambre en séance plénière le 3 décembre 2015 correspond à ces objectifs. 

Cette nouvelle loi a trait à trois grands domaines. Premièrement, certaines règles restrictives sont assouplies pour les entreprises publiques actives dans des secteurs concurrentiels. L'objectif est de placer ces entreprises sur un pied d'égalité avec leurs concurrents du secteur privé. Deuxièmement, les règles en matière du corporate governance pour les entreprises publiques autonomes cotées en bourse sont alignées sur les règles applicables aux sociétés cotées privées. Troisièmement, la loi crée la possibilité temporaire (jusqu'au 31 décembre 2018) de faire baisser la participation de l'Etat dans les entreprises publiques autonomes cotées en dessous du seuil légal actuel de cinquante pourcents plus une action. Tout ceci est principalement réalisé par le biais de modifications de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques (la "Loi du 21 mars 1991"). En pratique, ces modifications ne concerneront que Proximus et bpost au moment de l'entrée en vigueur de la loi. 

Par ailleurs, la nouvelle loi crée une base légale pour la vente à ou l'apport des actions d'entreprises publiques autonomes à la Société Fédérale de Participations et d'Investissement ("SFPI"). Ce faisant, la réalisation d'une autre ambition de l'accord du gouvernement est initiée, à savoir, la centralisation de la gestion des participations de l'Etat auprès de la SFPI. 

Règles plus souples pour les sociétés publiques autonomes "axées sur le marché"

La Loi du 21 mars 1991 prévoit plusieurs "contraintes organisationnelles" qui, par des entreprises publiques axées sur le marché, sont de plus en plus perçues comme étouffantes. C'est pourquoi la nouvelle loi a pour objectif de libérer les entreprises publiques autonomes "qui sont principalement actives dans des secteurs ouverts à la concurrence d'autres opérateurs" d'un nombre de ces contraintes. Suite à ces modifications, la concurrence avec leurs concurrents privés devrait être plus équitable. 

A cette fin, un nouveau chapitre est introduit dans la Loi du 21 mars 1991 comportant des dispositions diverses pour les entreprises publiques autonomes actives dans des secteurs ouverts à la concurrence. Quand est-ce qu'une entreprise publique doit-elle être qualifiée comme telle? La loi ne prévoit pas de définition générale. Il s'agit tout d'abord des entreprises qui sont nommées dans le nouvel article 54/1, à savoir Proximus et bpost. Par ailleurs, il s'agit, à partir de la date fixée par le Roi par arrêté délibéré en Conseil des ministres, de toute autre entreprise publique autonome qui, pendant au moins deux exercices consécutifs, réalise au moins septante-cinq pourcent de son chiffre d'affaires annuel, hors taxe sur la valeur ajoutée (sans que l'entreprise ne jouisse d'une exclusivité légale). Ce critère quantitatif n'est toutefois (plus) le critère de départ pour l'application de ce nouveau chapitre. Proximus et bpost relèvent – et restent, sauf modification de la loi – nominatim du champ d'application de ce nouveau chapitre, sans référence à un critère quantitatif quelconque. On peut toutefois admettre qu'elles répondent de facto à ce critère. 

Les assouplissements prévus par les nouvelles règles pour les entreprises publiques économiques actives dans des secteurs ouverts à la concurrence, sont essentiellement de trois ordres. 

Premièrement, les contraintes existantes en matière de prise de participations dans des filiales, disparaissent. Celles-ci ont donné lieu à des problèmes, en particulier lorsque les filiales étaient impliquées dans l'exécution de missions de service public. Le fait que la nouvelle loi fasse échec à l'autorisation initiale de prendre des participations (art. 13, § 1 Loi du 21 mars 1991), ne devrait pas soulever de problèmes en pratique, vu les autres dispositions d'habilitation de la loi du 21 mars 1991 et les objectifs clairement émancipatifs de la nouvelle loi. 

Par ailleurs, la nouvelle loi libéralise l'embauche de personnel contractuel. La règle du recrutement statutaire, sauf les exceptions limitativement déterminées, qui a donné lieu à maintes discussions, tombe donc pour Proximus et bpost. La pratique était déjà établie en ce sens, tel que l'indique l'exposé des motifs. 

Enfin, la nouvelle loi détermine également explicitement que des contrats de sous-traitance et la collaboration pour la prestation d'un travail en qualité de travailleur indépendant est admise, moyennant le respect de toutes les règles applicables en la matière (en ce compris la réglementation relative aux faux indépendants et, le cas échéant, la législation relative aux marchés publics). Cette dernière modification serait justifiée, selon l'exposé des motifs, "dans l'intérêt de la sécurité juridique". Ce faisant, le législateur indique que ces pratiques n'étaient pas, par définition, interdites pour les entreprises publiques économiques. Il ne pourrait donc en être déduit un argument a contrario pour les autres entreprises publiques économiques que Proximus et bpost, même si cette tentation ne manquera sans aucun doute pas de surgir chez certains. 

Rapprochement avec les règles de corporate governance pour les sociétés cotées en bourses en général

Une deuxième série de dispositions de la Loi exécute une autre ambition de l'accord de gouvernement, à savoir, que les entreprises publiques soient des exemples de bonne gouvernance. Ceci implique que l'Etat exerce son influence par les canaux et les règles ordinaires de droit des sociétés et que les "privilèges de droit public" soient réduits le plus possible. Pour ce faire, le législateur s'est inspiré du nouveau projet de lignes directrices de l'OCDE pour les entreprises publiques (publiées depuis sous le titre "Lignes directrices de l'OCDE sur la gouvernance des entreprises publiques, Édition 2015", à consulter au lien suivant : http://www.oecd.org/fr/daf/ae/OCDE-lignes-directrices-gouvernance-entreprises-publiques.pdf). 

Pour l'instant, la nouvelle loi limite la présente ambition aux entreprises publiques autonomes cotées; elle ne concerne actuellement que Proximus et bpost. A cette fin, un nouveau chapitre est introduit dans la Loi du 21 mars 1991 contenant cette fois des "dispositions particulières relatives aux entreprises publiques autonomes cotées en bourse". Le champ d'application est déterminé de manière générale: le nouveau chapitre s'applique aux entreprises publiques autonomes dont les actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé.

L'alignement sur le régime des entreprises privées cotées en bourse se fait ensuite en rendant un bon nombre de dispositions de la Loi du 21 mars 1991 non-applicables aux entreprises publiques autonomes cotées en bourse, à savoir celles qui dérogent au droit commun des sociétés. 

Il s'agit en premier lieu de dispositions de base telles que la nomination, composition et pouvoirs des organes de gestion. La présentation et la nomination des administrateurs, du président du conseil d'administration et de l'administrateur délégué se fera dorénavant conformément au droit commun des sociétés. La technique de la nomination par le Roi par arrêté délibéré en Conseil des ministres ne sera donc plus d'application pour Proximus et bpost. En ce qui concerne les autres administrateurs, cette solution réduit - ironiquement - à court terme les droit des actionnaires privés. Cela découle du fait que, en dépit de la rhétorique négative en matière des "privilèges de droit public" dans la Loi du 21 mars 1991, le système dérogatoire de la nomination proportionnelle d'administrateurs publics par arrêté royal, suivi par la nomination proportionnelle des autres administrateurs par " les autres actionnaires" était plus favorable pour les actionnaires minoritaires que dans les sociétés privées. Les actionnaires non-publics jouissaient en effet (même hors le cas de droits de présentation négociés contractuellement) d'une représentation proportionnelle garantie, tandis que, dans des sociétés privées, la nomination d'administrateurs à la majorité joue à 100%. Les sociétés concernées devront donc éviter que ceci ne soit perçu par le marché comme un recul. 

Toutes les règles dérogatoires en matière de gestion ne sont pas abrogées dans la Loi du 21 mars 1991. Ainsi, les obligations en matière d'équilibre linguistique et les règles spécifiques en matière d'incompatibilité avec certains mandats "publics", tel que le mandat de ministre ou de parlementaire, restent d'application. Le fait que les entreprises publiques autonomes sont d'ores et déjà obligées d'avoir un tiers d'administrateurs de l'autre sexe, n'est pas non plus modifié. 

Deuxièmement, les droits d'intervention unilatéraux dont l'Etat dispose dans les entreprises publiques autonomes sont déclarés hors application pour Proximus et bpost. Sont comprises la majorité des dispositions relatives à la surveillance et au contrôle administratif (lato sensu), telle que la possibilité de soumettre certaines opérations à l'autorisation du ministre de tutelle, le contrôle par le biais d'un commissaire du gouvernement, la compétence d'obliger certains organes de gestion à délibérer sur un sujet déterminé ou la communication séparée des comptes annuels au ministre de tutelle, au ministre du Budget et à la Cour des Comptes. Certaines règles dérogatoires sont maintenues, telles que le contrôle par un collège de quatre commissaires, dont deux membres sont nommés par la Cour des Comptes, ou l'établissement d'un plan d'entreprise annuel dont les éléments qui concernent l'exécution des tâches de service public doivent faire l'objet de l'approbation du ministre de tutelle. 

De manière plus générale, malgré les discours rhétoriques tenus à ce sujet en commission de la Chambre, il convient de souligner que les deux entreprises ne changent pas de statut par la présente loi et restent, jusqu'à nouvel ordre, des entreprises publiques autonomes au sens de la Loi du 21 mars 1991, qui ont pris la forme d'une société anonyme de droit public, et auxquelles le droit des sociétés s'applique pour autant qu'il n'y est pas dérogé par ou en vertu d'une disposition légale quelconque. Il est néanmoins vrai que, à côté de la suppression d'un bon nombre de dispositions dérogatoires décrites ci-avant, la nouvelle loi crée un cadre qui permet d'abandonner la participation majoritaire de l'Etat dans Proximus et bpost, sans nouvelle modification légale, et de réaliser la conversion en une société entièrement privée. 

Possibilité de diminuer la participation de l'Etat dans les entreprises publiques autonomes et conversion en société anonyme de droit privé

Par le biais d'une troisième série de dispositions, également comprises dans le nouveau chapitre de la Loi du 21 mars 1991 pour les entreprises publiques autonomes cotées en bourse, le Roi est immédiatement habilité à réaliser la continuation de la privatisation de ces entreprises publiques, par arrêté délibéré en Conseil des ministres. Vu qu'il s'agit d'arrêtés ayant force de loi (qui peuvent modifier, compléter, remplacer ou abroger des dispositions légales), le pouvoir du Roi a été limité dans le temps, à savoir jusqu'au 31 décembre 2018.

Sur la base de cette disposition, le Roi peut tout d'abord permettre des opérations ayant pour conséquence que la participation des autorités publiques dans le capital des entreprises publiques autonomes cotées soit réduite en-dessous de la limite légale actuelle de cinquante pourcent plus une action.

La loi prescrit que, pour prendre cette décision, le Roi se laisse guider par l'importance stratégique d'une participation dans l'entreprise concernée, la nécessité d'un ancrage belge, la contribution essentielle que l'entreprise peut apporter à l'égard de l'objectif d'une croissance économique durable, son utilité sociale et l'impact sur l'emploi. Tant dans l'exposé des motifs que lors des discussions en commission de la Chambre, il a été indiqué que les autorités publiques pourraient opter, par exemple, pour le maintien d'une minorité de blocage de vingt-cinq pourcent. Il n'y a toutefois pas de seuil minimal légal. 

Dès que la participation de l'Etat baisse en dessous de cinquante pourcent plus une action, l'entreprise cesse de plein droit d'être une entreprise publique autonome et devient une société anonyme de droit privé, sans interruption de la personnalité juridique. Le Roi doit à cette fin, dans l'arrête par lequel il autorise l'opération, prévoir les dispositions transitoires nécessaires concernant, entre autres, les missions de service public, le contrat de gestion, les relations individuelles de travail du personnel statutaire, les relations collectives de travail et la réglementation en matière de la sécurité sociale.

Centralisation des participations de l'Etat entre les mains de la Société Fédérale de Participations et d'Investissement

La disposition finale de la nouvelle loi est particulière dans la mesure où elle ne vise pas à modifier la Loi du 21 mars 1991 et n'est pas limitée (au moment de l'entrée en vigueur) à Proximus et bpost. Il s'agit de la possibilité de céder, en tout ou en partie, les participations de l'Etat à la SFPI, par voie de vente ou d'apport en capital, aux conditions préalablement approuvées par le Roi, par arrêté délibéré en Conseil des ministres. 

Cette disposition s'inscrit également dans l'exécution de l'accord de gouvernement qui prévoit en effet la centralisation au sein de la SFPI de "la gestion et l'expertise financière de ses participations dans toutes les entreprises publiques, qu'elles soient cotées en Bourse ou non". Il est envisagé de concentrer le suivi de ces aspects à un seul centre de décision et d'expertise. Ceci se situe également dans le prolongement des lignes directrices de l'OCDE. 

Cette disposition est plutôt particulière puisqu'elle se limite aux actions d'entreprises publiques économiques qui ont été transformées en sociétés anonymes de droit public. Vu l'emploi du terme "entreprises publiques économiques", le champ d'application de la présente habilitation semble être limité aux entreprises publiques qui relèvent de la Loi du 21 mars 1991. Elles doivent par ailleurs avoir pris la forme d'une société anonyme de droit public. Il s'agit aujourd'hui, outre Proximus et bpost, de la SNCB et Infrabel. L'accord de gouvernement a toutefois, prima facie, une portée bien plus large, à savoir "toutes les entreprises publiques, qu'elles soient cotées en Bourse ou non". La précision suivant laquelle la cession doit se faire "par voie de vente ou d'apport en capital", peut – tout bien considéré - comporter une limite. Reste donc la question de savoir si l'ajout de cette disposition s'avèrera utile en pratique lorsque, dans le cadre d'une réforme de la SFPI, il sera effectivement procédé à la centralisation des participations de l'Etat. 

Remarque finale: Au moment de la publication de la présente contribution, le texte de loi commenté ci-dessus a été adopté en séance plénière de la Chambre mais n'a pas encore été publié au Moniteur belge.


Auteurs:
Claire Fornoville

Jeroen Delvoie

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