10/03/23

Aides d’État : Le Tribunal de l’UE annule la décision de la Commission européenne dans l’affaire Timisoara/Wizz Air

Le 8 février 2023, le Tribunal a annulé la décision de la Commission européenne qui concluait à l’absence d’aide accordée par l’aéroport de Timisoara en faveur de Wizz Air suite à un recours en annulation de Carpatair. Par cette décision, la Commission avait également autorisé une aide à l’investissement en faveur de l’aéroport. Ces aides n’ont pas été remises en cause. 

La décision de la commission européenne

Le 24 mai 2011, la Commission européenne a lancé une enquête sur des contrats conclus entre l’aéroport de Timisoara et Wizzair à la suite d’une plainte de Carpatair. Cette enquête a ensuite été étendu aux financements publics accordés à l’aéroport.

En 2007, suite à l’augmentation du trafic résultant de l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne, l’Etat roumain avait accordé à l’aéroport un soutien financier pour la construction d’un terminal pour les vols hors Schengen et pour des équipements de sécurité.

En 2008, l’aéroport avait conclu des accords commerciaux avec la compagnie aérienne à bas coût Wizz Air afin de développer son volume de passagers.

En juin 2010, les parties ont modifié deux de ces accords en vue de mettre en place un nouveau régime de réductions en faveur de Wizz Air.

En septembre 2010, la compagnie aérienne régionale roumaine, Carpatair SA, déposait plainte devant la Commission européenne pour contester une aide accordée par les autorités roumaines à l'aéroport international de Timișoara en faveur de Wizz Air.

A l’issue de son enquête, la Commission a conclu dans sa décision du 24 février 2020 que le financement public accordé à l’aéroport constituait une aide d’État à l’investissement compatible au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c) TFUE. La Commission s’est référée aux Lignes directrices applicables à cette époque pour examiner la compatibilité de cette aide, à savoir celles adoptées en 2005 sur le financement des aéroports et les aides d'état au démarrage pour les compagnies aériennes au départ d'aéroports régionaux.

Concernant les mesures incitatives accordées à Wizz Air, elle a considéré qu’elles n’étaient pas constitutives d’aides d’Etat car les rabais et les remises sur les redevances aéroportuaires n’étaient pas sélectifs. En effet, ils avaient été publiés dans les guides tarifaires de l’aéroport et étaient applicables de manière non-discriminatoire à toute compagnie aérienne.

La Commission a ensuite examiné la modification du cadre contractuel applicable à la compagnie a partir de 2010 et a estimé que ces accords étaient conformes au principe de l’opérateur privé en économie de marché et n’avaient donc conféré aucun avantage économique à la compagnie aérienne hongroise. Ces mesures incitatives accordées à Wizz Air n’étaient donc pas constitutives d’aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

Le jugement du tribunal de l’ue

Carpatair a intenté le 11 août 2020, un recours en annulation devant le Tribunal de l’UE à l’encontre de la décision de la Commission du 24 février 2020. Son recours mettait en cause l’analyse de la Commission à l’égard des mesures incitatives accordées à Wizz Air.

Le 8 février 2023, le Tribunal a annulé la décision de la Commission considérant que le raisonnement de cette dernière est entaché de plusieurs erreurs de droit.

Dans ses conclusions, la Commission soutenue par l’aéroport de Timsoara, a fait valoir que le recours de Carpatair SA était irrecevable au motif que les mesures litigieuses n’auraient pas d’incidence défavorable sur les services de transport aérien actuels de la requérante, qui seraient d’une nature différente de celle des services assurés par Wizz Air au cours des années visées par l’enquête de la Commission. La compagnie aérienne n’avait alors pas d’intérêt né et actuel.

Le Tribunal rappelle que selon l’article 263, paragraphe 4, TFUE, toute personne physique ou morale peut former un recours contre un acte dont elle n’est pas le destinataire si cet acte la concerne directement et individuellement ou si le recours est dirigé contre des actes réglementaires qui la concernent directement et ne comportent pas de mesures d’exécution. Selon le Tribunal, la décision attaquée constitue un acte réglementaire et le recours introduit par Carpatair est recevable si la compagnie aérienne est directement et individuellement concernée par la décision en ce qui concernent les redevances aéroportuaires appliquées à Wizz Air.

Dès lors que ces accords étaient susceptibles d’affecter de manière substantielle sa position concurrentielle sur les marchés sur lesquels elle était en relation de concurrence avec Wizz Air, il est établi à suffisance de droit que la compagnie aérienne Carpatair SA est individuellement et directement concernée.

Ensuite, le Tribunal examine la problématique de la sélectivité et de l’avantage économique des mesures incitatives accordées à Wizz Air.

Il résulte d’une jurisprudence constante que l’appréciation de la condition relative à la sélectivité de l’avantage impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, une mesure nationale est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » au regard d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable. La sélectivité de facto peut être établie dans des situations où, bien que les critères formels pour l’application de la mesure soient formulés en termes généraux et objectifs, la mesure est agencée d’une manière telle que ses effets favorisent sensiblement un groupe particulier d’entreprises.

Il convient de noter qu’à l’aéroport de Timisoara, les points 1 à 4 de la deuxième mesure du guide tarifaire indiquaient les taux des différentes redevances aéroportuaires (à savoir l’atterrissage, le balisage, le stationnement et les services pour les passagers, dont la sûreté). Les redevances effectivement facturées pouvaient faire l’objet de divers types de réductions. Les points 7.1, 7.2 et 7.3 de la deuxième mesure prévoyaient, respectivement, trois types de réductions, non cumulatifs:

  1. Des rabais de 10 à 70% en fonction du nombre d’atterrissages effectués l’année précédente pour les vols internationaux
  2. Une réduction de 50 % pendant une période de douze mois pour les nouveaux transporteurs aériens effectuant au moins trois vols par semaine, avec un aéronef d’une capacité d’au moins 70 sièges. Pour chaque nouvelle destination desservie, la réduction appliquée était de 50 % pour une période de six mois ; outre  ces réductions, l’aéroport accordait également un remboursement de 10 à 30 % des redevances d’embarquement, en fonction du nombre de passagers embarqués par an 
  3. Des réductions de 72 à 85 % pour les aéronefs d’un MTOW supérieur à 70 t transportant plus de 10 000 passagers par mois.

Le Tribunal rappelle qu’il ne suffit pas qu’une aide ne vise pas un ou plusieurs bénéficiaires particuliers préalablement définis, mais qu’elle soit soumise à une série de critères objectifs en application desquels elle pourra être octroyée à un nombre indéfini de bénéficiaires, non individualisés à l’origine, pour en exclure le caractère sélectif de la mesure et dès lors la qualification de celle-ci d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Il y a donc lieu de vérifier si, du fait de ses critères d’application, elle procure un avantage à certaines entreprises, à l’exclusion d’autres. Ainsi, la nature générale du guide tarifaire n’excluait pas, en tant que telle, une éventuelle discrimination de fait entre les compagnies aériennes utilisant l’aéroport.

Le Tribunal a relevé que la Commission avait examiné de façon conjointe les trois types de réductions prévus sans expliquer en quoi une appréciation conjointe était pertinente, compte tenu du fait que chaque type de réduction répondait à des conditions différentes et n’étaient pas cumulatives.

En outre, la Commission a omis d’examiner si les réductions prévues au point 7.3 de la deuxième mesure, pris isolément, favorisait Wizz Air du fait de ses conditions d’application, notamment sur la question de savoir si d’autres compagnies aériennes que Wizz Air avaient dans leur flotte des aéronefs, de taille appropriée et assurant des fréquences suffisantes, leur permettant effectivement d’en bénéficier.

Dans les faits, le troisième rabais de la deuxième mesure n’a bénéficié qu’à Wizz Air et l’argument avancé selon lequel ces rabais devaient permettre d’augmenter le trafic à l’aéroport et les recettes perçues n’est pas pertinent en ce que l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ne fait pas de distinction selon les causes ou les objectifs des interventions publiques mais les définit en fonction de leurs effets.

Selon le Tribunal, la Commission a commis une erreur de droit en n’examinant pas si le troisième rabais, pris individuellement, avait vocation à s’appliquer de manière sélective.

Selon la jurisprudence européenne, une mesure incitative ne constitue pas une aide d’Etat si l’entreprise bénéficiaire pouvait obtenir le même avantage dans des circonstances qui correspondent aux conditions normales de marché conformément au principe  de l’opérateur privé en économie de marché. Cette appréciation se fait sur la base des informations et documents existants au moment où les mesures en cause ont été adoptées. En principe, tout élément postérieur à cette date doit être écarté de l’analyse de la Commission.

Or, le Tribunal a constaté que la Commission n’a pas disposé des analyses économiques de l’aéroport préalables à la conclusion des accords de 2008 contractés avec Wizz Air et celle-ci ne se serait dès lors pas fondée sur de telles analyses pour évaluer la rentabilité de ces accords au regard du critère de l’opérateur privé en économie de marché.

La Commission a conclu à la rentabilité de ceux-ci sur le fondement d’un rapport d’Oxera de 2015, donc postérieur à la conclusion des accords concernés, qui a reconstitué a posteriori  la rentabilité des accords sur la base des données disponibles avant la conclusion de ces derniers.

La conclusion de la Commission selon laquelle un opérateur privé en économie de marché aurait conclu les accords de 2008 entre l’aéroport de Timisoara et Wizz Air est entièrement fondée sur des éléments de preuve établis ex post, ce qui est selon le Tribunal contraire à la jurisprudence.

Le Tribunal considère sur cette base que la Commission n’a pas légalement fondé sa conclusion selon laquelle le financement public n’avait pas conféré à Wizz Air un avantage économique qu’elle n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché et qui ne constituait dès lors pas une aide d’État.

Au vu de l’ensemble des considérations présentées, le Tribunal a décidé d’annuler la décision de la Commission européenne qui doit donc adopter une nouvelle décision à la lumière des considérations du Tribunal.

Commentaires

La jurisprudence européenne relative aux mesures incitatives accordées par des aéroports aux compagnies aériennes n’est pas un long fleuve tranquille comme l’atteste la jurisprudence européenne à ce sujet. En effet, nombreux sont les arrêts du Tribunal annulant les décisions de la Commission. Il en est de même des arrêts de la Cour annulant des arrêts du Tribunal confirmant des décisions de la Commission.

C’était récemment le cas dans l’affaire des aéroports sardes qui vient relancer la possibilité pour les autorités publiques de conclure des conventions de services de marketing avec des compagnies aériennes sans que de telles conventions n’induisent automatiquement des aides d’Etat en leur faveur.

Concernant la recevabilité du requérant, le Tribunal retient un niveau d’exigence plus léger que dans d’autres affaires similaires. En effet, rappelons que dans l’affaire de l’aéroport de Marseille, le recours en annulation introduit par Air France à l’encontre de la décision de la Commission approuvant des aides à l’investissement en faveur de l’aéroport et concluant à l’absence d’aide en faveur de Ryanair avait été jugé irrecevable à défaut de démonstration de son intérêt direct et individuel alors qu’Air France opérait à cet aéroport. En l’espèce, le Tribunal se contente de relever que Carpatair exerçait des activités semblables à celles de Wizz Air et était active sur le même marché de services et sur le même marché géographique que Wizz Air. Il ressort de la décision de la Commission que Carpatair avait établi un hub à l’aéroport de Timisoara à partir de 2000 mais cet élément n’est pas repris par le Tribunal dans son arrêt.

Par ailleurs, cet arrêt semble remettre en cause la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE dans l’affaire aéroport de Lübeck qui concluait à l’absence de sélectivité des rabais sur les redevances aéroportuaires si ceux-ci sont transparents et non discriminatoires à tout le moins lorsque ces rabais sont fonction de critères de poids de l’aéronef et du nombre de passagers par mois. En effet, le critère du poids de l’aéronef et celui du nombre de passagers sont des critères objectifs qui peuvent être rencontrés par de nombreuses autres compagnies aériennes même si dans les faits, seul Wizz Air les a respecté. Il y aurait lieu de suivre l’application que la Commission réservera à cet arrêt dans sa nouvelle analyse des rabais mis en place par l’aéroport dans sa future décision.

Enfin, s’il est effectivement de jurisprudence constante que l’appréciation du principe de l’opérateur privé en économie de marché se fait effectivement au moment de la conclusion des contrats avec les compagnies sur la base des éléments connus à cette période, la Commission a développé en pratique une méthodologie pragmatique fondée sur la reconstitution a posteriori de plans d’affaires intégrant des paramètres déterminés sur la base des projections probables avant la date de la conclusion des contrats concernés. En effet, dans les affaires antérieures à 2014, soit avant l’entrée en vigueur des Lignes directrices sur les aides aux aéroports et aux compagnies aériennes, les règles applicables à de telles mesures incitatives étaient très succinctes et la pratique de la Commission variable en fonction des annulations de ses décisions par le Tribunal de l’UE.  Nombre d’aéroports n’avaient pas encore intégré de telles pratiques qui n’avaient pas été précisées par la Commission dans un acte réglementaire, voire dans sa pratique décisionnelle, ce qui n’exclut d’ailleurs pas dans les faits la rentabilité de tels accords. De telles reconstitutions ont d’ailleurs été utilisées par la Commission européenne pour conclure à l’existence d’aides en faveur de Ryanair dans diverses décisions à l’instar des affaires des aéroports de Pau, Zweibrücken, Angoulême, Nîmes, etc. Il serait dès lors surprenant que ces reconstitutions ne soient dès lors juridiquement acceptables que dans le cas où elles aboutiraient à des résultats négatifs.

Il est fort probable que la Cour de Justice sera amenée à se pencher sur cette affaire.

Rendez-vous prochainement pour de nouvelles affaires européennes….

Annabelle Lepièce
Partner, Brussels

Nawal Bouzinab-Chuitar
Junior Associate, Brussels

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