24/10/12

QUEL FINANCEMENT POUR NOS INFRASTRUCTURES ?

La technique des partenariats public-privé (PPP) est indissociablement liée au développement des infrastructures publiques comme les lignes de transport en commun, les routes, les écoles, les stations d'épuration, les logements sociaux, les ports, gares, aéroports, stades, prisons et autres hôpitaux. La réalisation de telles infrastructures répond à des besoins sociaux évidents, et peut constituer, dans une perspective keynésienne, un des leviers publics pour relancer l'économie. Ces infrastructures doivent toutefois être financées. La prise en charge de ce financement a connu des évolutions majeures ces dix dernières années avec l'apparition en Belgique des premiers contrats dits "Design-Build-Finance-Maintain" (DBFM), et s'apprête à connaître de nouveaux développements, sous l'influence notamment des nouvelles règles prudentielles applicables aux institutions financières.

Du bon d'Etat....

Commençons par le point de départ. Le modus operandi classique pour réaliser un projet d'infrastructure consiste à ce que l'autorité (i) emprunte les fonds nécessaires (le cas échéant de manière globalisée, dans le cadre du budget de l'Etat), (ii) fasse appel à des architectes et ingénieurs internes ou externes qui établiront les cahiers des charges du projet et (iii) attribue un marché public de travaux à l'entrepreneur qui a remis l'offre la plus avantageuse sur la base de ce cahier des charges. La relation contractuelle entre l'autorité et l'entrepreneur s'arrête à la réception des travaux, lorsque l'entrepreneur perçoit son prix. C'est donc la collectivité publique qui, d'une part, rembourse progressivement le montant de la dette et, d'autre part, entretient et répare l'infrastructure, le cas échéant en recourant à de nouveaux marchés publics.

...au financement de projet...

Le propre des PPP est de conférer à la partie privée un rôle plus complet que la simple construction (build). L'entrepreneur devient partenaire, et se présente sous la forme d'un consortium avec des financiers. Son rôle s'inscrit dans la durée : il débute en amont par la conception technique (design), et se poursuit en aval par le financement à long terme (finance), voire l'entretien (maintain), de l'infrastructure. C'est l'apparition du contrat DBFM, avec une vingtaine environ de grandes infrastructures planifiées ou en cours de réalisation en Belgique, essentiellement en Flandre (réalisation des "Missing Links" autoroutiers, projets divers menés par De Lijn, projet Scholen van Morgen, ...), mais avec des percées importantes au niveau fédéral (cf. les nouvelles prisons), en Wallonie (avec l'arrivée du tram à Liège) et à Bruxelles (avec la rénovation du tunnel Léopold II sous la Basilique et le projet de dépôt de trams de la STIB). Le changement fondamental est que l'autorité ne paie plus seulement pour des briques et du béton, mais bien pour la disponibilité à long terme d'une infrastructure en bon état de fonctionnement.

Si ces structures présentent certains inconvénients (dont la lourdeur des structures à mettre en place), les expériences menées au Pays-Bas, notamment, ont démontré qu'en moyenne, l'allègement de la facture totale payée par le maître de l'ouvrage public est d'au moins 10 %. Les raisons de cette économie sont bien connues : la responsabilisation du consortium privé avant et après la construction le force à réaliser des gains d'efficacité, avec un design attentif aux coûts de constructions et aux frais d'entretien. On n'est en effet jamais aussi consciencieux que quand on sait qu'on devra, dans le cadre d'une enveloppe fermée et sous peine de pénalités, garantir le bon état et l'entretien de l'infrastructure pendant 25 ans...

Le financement privé du projet (le "F") joue également un rôle. Ce n'est en effet plus directement l'autorité qui s'endette auprès des banques, mais bien la société spécialement mise en place par le consortium pour porter le projet (avec, sur le plan budgétaire, pour conséquence favorable que le coût de l'infrastructure ne vient pas gonfler la dette de l'Etat, ou creuser le déficit, conformément aux règles européennes du SEC 95). Certes, le taux facial auquel les capitaux sont empruntés n'est pas moindre que lorsque l'autorité emprunte elle-même. Le regard critique du financier constitue cependant un gage de sérieux du projet et des partenaires impliqués: dans la mesure où le financier sera remboursé en principe exclusivement au moyen des paiements de disponibilité versés par l'autorité sur le long terme - tel est le propre de la technique dite du "financement de projet" -, on comprend que son engagement constitue une garantie importante pour l'autorité. Le fait que la société de projet dispose des fonds nécessaires pour payer l'entrepreneur au comptant au fur et à mesure de la réalisation des travaux (plutôt que par étapes comme dans un marché public de travaux), lui évitant ainsi de préfinancer ses travaux à un taux plus élevé, permet également de faire baisser le coût de l'entreprise.

... et demain au project bond.

Les ressources des banques, largement sollicitées dans le cadre des structures DBFM décrites ci-dessus, ne sont cependant pas illimitées. En particulier, les nouvelles règles de Bâle III - le cadre régulatoire anti crise financière - renforcent sensiblement les exigences de capitalisation des banques, et leur imposent une mise de fonds propres plus importante qu'auparavant. En résumé : lorsqu'une banque prête pour financer une infrastructure, un pourcentage minimum (en fonction du caractère plus ou moins risqué de l'investissement) doit venir "de sa poche", c-à-d. de son capital, et pas seulement des fonds dont elle est dépositaire. Le capital n'étant pas illimité, le financement bancaire - et tout particulièrement le financement bloqué à long terme - devient plus rare et plus cher.

Parallèlement, d'autres acteurs, comme les compagnies d'assurances et les fonds de pension, gèrent des fonds considérables et à long terme, qui doivent impérativement générer un rendement minimum, sans être soumis à des risques excessifs. Un défi majeur consiste à mobiliser les ressources de ces acteurs institutionnels, en complément de celles des banques. Le financement des projets d'infrastructure au moyen d'emprunts obligataires - project bonds en anglais - est une des pistes privilégiées par la Commission européenne. L'idée n'est en soi ni nouvelle, ni compliquée : la société de projet se finance en émettant des obligations, souscrites par ces acteurs institutionnels, et remboursées au moyen des paiements versés par l'autorité en contrepartie de la bonne disponibilité de l'infrastructure. Le défi technique n'est toutefois pas mince : le processus de passation du marché public et les divers contrats doivent être adaptés, de nouveaux standards de marché doivent être mis en place, etc. Une parfaite maîtrise des risques du projet - objectivée par un rating favorable des bonds - est par ailleurs indispensable pour permettre à ces acteurs de souscrire ces bonds à un taux d'intérêt raisonnable pour la collectivité.

La Banque Européenne d'Investissement (BEI) contribue à cet effort, via sa "Europe 2020 Project Bond Initiative". Son apport consiste en résumé à souscrire une tranche subordonnée de la dette, de manière à faire baisser le risque de la tranche "sénior", et donc son coût pour l'autorité. Elle peut aussi octroyer des lettres de crédit en garantie des coûts de construction et/ou en garantie du remboursement d'une partie de l'emprunt obligataire. D'autres techniques sont envisageables, comme par exemple celle d'un financement bancaire pendant la phase de travaux (naturellement la plus risquée), auquel succèderait un financement obligataire à taux plus bas pour la phase d'entretien (durant laquelle les risques sont moindres). En Belgique, à l'heure d'écrire ces lignes, divers consortiums préparent leurs offres pour un premier projet pilote qui pourrait faire appel à de tels project bonds, à savoir la jonction autoroutière A11 à l'arrière du port de Zeebrugge.

Plus que jamais, la capacité d'entendre les priorités des multiples acteurs de ces projets - autorités publiques, banques, entrepreneurs, investisseurs,... - constituera la clé de la réussite des projets de demain.

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