13/02/17

3, 2, 1… PARTEZ!

Imaginez…

Vous avez repéré depuis un certain temps une entreprise que vous souhaiteriez acquérir. Après d’âpres négociations, vous parvenez enfin à trouver un accord (signé). Vous êtes impatient de passer à l’action.

Mais vos conseillers vous disent de faire preuve d’encore un peu de patience. La transaction doit en effet d’abord être notifiée auprès de la Commission européenne, qui doit approuver l’acquisition.

Suivant ce conseil, vous suspendez judicieusement la cession des actions dans l’attente de cette approbation. Il apparait cependant que, dans l’intervalle, des décisions commerciales importantes doivent être prises au sein l’entreprise que vous comptez acquérir. Elle est en effet sur le point de lancer un nouveau produit. Étant donné que vous avez une vision très précise de la chose et qu’un accord a déjà été conclu, vous échangez vos idées et la décision finale concernant le lancement est soumise à votre approbation.

Six mois plus tard, l’acquisition est approuvée par la Commission européenne, les actions sont cédées et le produit nouvellement lancé a le vent en poupe. Jusqu’à ce que l’autorité de la concurrence fasse subitement irruption chez vous en brandissant un mandat de perquisition. Ils veulent savoir s’il est question de gun jumping; une infraction au droit de la concurrence sanctionnée par une lourde amende.

Vous tombez complètement des nues. Comment ça? … « gun jumping », une infraction au droit de la concurrence? Mais la Commission européenne a quand même bien approuvé l’acquisition et vous avez suspendu la cession des actions jusqu’à l’obtention de cette approbation ?


Quelques précisions.

Toute concentration (que ce soit sous forme d’acquisition, de fusion ou d’entreprise commune) doit être notifiée et approuvée dès qu’elle dépasse des seuils de chiffre d’affaires déterminés. En fonction du chiffre d’affaires, la notification est adressée soit à la Commission européenne, soit à une ou plusieurs autorités nationales de la concurrence. C’est ce que l’on appelle le contrôle des concentrations.

Il existe une obligation de standstill en la matière. Une concentration ne peut pas être mise en œuvre avant d’avoir été approuvée par la (ou les) autorité(s) de la concurrence compétente(s). En cas de mise en œuvre de la concentration avant cette autorisation, il est question de gun jumping: les entreprises s’élancent, pour ainsi dire, trop tôt des starting-blocks. Il en va de même lorsque les parties omettent de notifier la concentration.

L’obligation de standstill va au-delà du simple report du changement de contrôle: elle impose une suspension formelle de la cession des actions ou des actifs dans l’attente de l’approbation requise. Cette obligation s’applique aussi au niveau commercial. Les entreprises concernées doivent se comporter de manière indépendante l’une de l’autre jusqu’à ce que l’autorité de la concurrence ait donné le signal de départ officiel. À défaut, il est question de gun jumping et les parties s’exposent à des amendes.

À titre d’exemple récent, l’autorité française de la concurrence a estimé qu’une entreprise acquéreuse avait violé l’obligation de standstill en s’impliquant de manière trop substantielle dans les décisions commerciales et opérationnelles des entreprises acquises. Sa haute direction avait notamment approuvé des décisions importantes et un nouveau projet commun avait été mis en chantier. Ceci n’avait pu se faire que grâce à l’échange d’informations sensibles. L’autorité française de la concurrence a mené des perquisitions et infligé une amende totale de 80 millions d’euros.

Il n’est en revanche pas question de gun jumping lorsque les entreprises concernées prennent des mesures légitimes visant à organiser et à préparer la concentration dans une optique de continuité (en cas d’acquisition ou de fusion) ou pour favoriser un bon départ (en cas d’entreprise commune).


Concrètement.

  • Vérifiez toujours soigneusement si la concentration doit faire l’objet d’une notification auprès de la Commission ou d’une ou plusieurs autorités nationales de la concurrence, en fonction du chiffre d’affaires des entreprises concernées.
     
  • Si la concentration doit être notifiée, aucun changement de contrôle ne peut avoir lieu avant l’obtention de l’approbation. La cession des actions ou des actifs doit être différée.
     
  • De même, au niveau commercial, les entreprises concernées doivent continuer à se comporter indépendamment l’une de l’autre jusqu’à l’obtention de l’approbation. Toute ingérence dans les décisions commerciales de l’autre partie et toute coordination des activités sont exclues. Veillez en outre à ce que des informations sensibles ne soient pas échangées entre les parties.
     
  • Il est néanmoins permis de prendre des mesures légitimes en vue d’organiser et de préparer la période qui suit la cession.
     
  • Les règles en matière de contrôle des concentrations, en ce compris donc celles concernant l’interdiction du gun jumping, peuvent varier d’un État membre à l’autre. Vérifiez toujours quelles règles sont d’application.


Pour plus d’infos.

  • Vous trouverez un aperçu du contrôle européen des concentrations à ce lien.
     
  • Vous trouverez un résumé de la décision de l’autorité française de la concurrence dans l’affaire Altice à ce lien.
     
  • La décision intégrale est disponible en français à ce lien.
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