03/11/15

Les attestations de témoins et les e-mails sont admis pour prouver les motifs du licenciement

Une secrétaire est licenciée au cours d’une période de réduction des prestations d’1/5e temps dans le cadre d’un crédit-temps. Une « réorganisation » est mentionnée comme motif du licenciement sur le formulaire C4. A la suite du licenciement, les motifs de « baisse d’enthousiasme » et « plaintes de la travailleuse quant à la longueur de ses temps de trajet » sont également invoqués dans une réponse de l’employeur à une demande de justification formulée par la travailleuse.

Cette dernière conteste les motifs avancés par l’employeur et sollicite la condamnation de son employeur à l’indemnité de protection pour licenciement irrégulier au cours d’une période de crédit-temps.

Dans un arrêt récent, la Cour du travail de Bruxelles décide, sur la base d’attestations écrites des responsables de l’entreprise et d’un e-mail de la travailleuse, que les motifs de licenciement n’ont aucun lien avec l’exercice du droit au crédit-temps. Le fait que le formulaire de chômage C4 mentionne un autre motif – créant ainsi une apparence de contradiction – est sans importance.

Les faits à l’origine de l’arrêt sont les suivants.

1.

Une travailleuse est employée comme secrétaire et office manager dans un cabinet d'avocats. Elle exerce son droit au crédit-temps et réduit ses prestations d’1/5e temps.

Un an plus tard, elle est licenciée moyennant le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. L'employée conteste son licenciement et postule la condamnation de son employeur au paiement de l’indemnité de protection égale à 6 mois de rémunération pour violation de la protection des travailleurs exerçant leur droit au crédit-temps.

2.

La Cour du travail rappelle les principes applicables en matière de protection contre le licenciement des travailleurs exerçant leur droit au crédit-temps. L'employeur doit démontrer qu'il a mis fin au contrat de travail pour un motif grave ou pour un motif dont la nature et l'origine sont étrangères à l'exercice du droit au crédit-temps.

Cependant, il n’est pas requis que l'employeur indique les motifs exacts du licenciement dans la lettre notifiant le licenciement au travailleur. En cas de contestation par le travailleur, l’employeur devra néanmoins démontrer que les motifs du licenciement sont étrangers à l'exercice du crédit-temps. La charge de la preuve du motif du licenciement repose donc sur l’employeur.

3.

Dans la lettre de licenciement, aucun motif n’est indiqué, et le formulaire de chômage C4 mentionne « réorganisation ». Le motif réel du licenciement est précisé par l’employeur dans une lettre envoyée après le licenciement.

Les motifs invoqués dans la lettre sont liés à une baisse d’enthousiasme de la travailleuse, ayant une incidence sur la qualité de ses prestations, et aux plaintes de la travailleuse concernant la longueur de ses trajets entre le domicile et le lieu de travail. L’employeur produit à cet égard 2 pièces probantes :

1) premièrement, il produit deux déclarations écrites, établies sur pied de l’article 961/2 du Code judiciaire, émanant d’associés du cabinet, qui avaient personnellement participé à une réunion d'évaluation avec la travailleuse car ils souhaitaient « vérifier » son enthousiasme.

Pour la Cour, ces déclarations écrites de témoins, au sens de l'article 961/2 du Code judiciaire, ont une valeur probante comparable à celle des auditions de témoins.

La Cour du travail estime que les déclarations de témoins sont crédibles car :

  • les associés n’ont aucun intérêt financier quant à l'issue du litige ;
  • les associés sont avisés que, en cas de fausse déclaration, ils s’exposent à des sanctions pénales ;
  • elles émanent de ceux ayant mené l’entretien et constituent donc un témoignage direct ;
  • elles ont été produites en cours de procédure, de sorte que la preuve du contraire reste possible ;
  • l’autorité hiérarchique directe sur la travailleuse était exercée par un autre associé.

Par ailleurs, la Cour relève qu’il n’existe aucune obligation d’établir un rapport d'évaluation par écrit.

2) un e-mail est également produit, que la travailleuse avait adressé à ses anciens collègues et dans lequel elle se plaignait de ses temps de déplacement. Cet e-mail constitue une communication professionnelle avec l’employeur via l’adresse électronique professionnelle, et non une communication privée, car il est rédigé dans le cadre d’une candidature pour laquelle la travailleuse sollicitait une recommandation.

Dès lors, l’employeur peut produire l’e-mail comme moyen de preuve sans violer le droit au respect de la vie privée de la travailleuse ni porter atteinte à l’interdiction de prendre connaissance d’une information transmise par voie de communication électronique dont on n’est pas le destinataire, prévue par l'article 124 de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques.

Selon la Cour du travail, l'employeur démontre que les motifs du licenciement ne présentent aucun lien avec l’exercice du droit au crédit-temps. L’indemnité pour licenciement en violation de la protection des travailleurs en crédit-temps n’est donc pas due.

Que retenir de cet arrêt ?

La preuve du motif du licenciement d’un travailleur exerçant son droit au crédit-temps peut être apportée par toutes voies de droit. Les attestations écrites respectant les conditions fixées par le Code judiciaire sont acceptées comme preuves, de même que des e-mails entre travailleurs utilisant les adresses professionnelles et présentant un caractère professionnel.

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