08/07/23

ESG : d'une « soft law » vers une « hard law »

ESG est l'acronyme de Environmental, Social and Governance (environnement, social et gouvernance) et désigne les trois composantes centrales utilisées dans l’évaluation de la durabilité d'une entreprise.

Au niveau européen, plusieurs initiatives législatives ont été prises récemment sur le thème de l'ESG. Il en résulte que la législation passe progressivement d’une « soft law » vers une « hard law ».

Dans cet article, nous examinons ces réglementations et leurs conséquences.

1. La directive sur le devoir de diligence en matière de durabilité (DDDD)

Une première initiative législative majeure concerne la proposition de directive relative au devoir de vigilance en matière de durabilité ou « DDDD » ou « Corporate Sustainability Due Diligence Directive » (CSDDD) en anglais.

Cette proposition vise à traiter de manière centralisée les impacts négatifs sur les droits de l'Homme et l'environnement dans les chaînes d'approvisionnement.

1.1 L’application de cette directive

Le champ d'application de la proposition comprend à la fois les entreprises de l'UE et les entreprises non européennes qui exercent des activités dans l'UE.

Les entreprises de l'UE concernées sont (a) les grandes entreprises employant en moyenne plus de 500 personnes et réalisant un chiffre d'affaires net à l’échelle mondiale de 150 millions d'euros ou plus et (b) les entreprises employant en moyenne plus de 250 personnes et réalisant un chiffre d'affaires net à l’échelle mondiale de 40 millions d'euros, dont au moins 50 % dans des secteurs dits « à fort impact » (par exemple, la production de textile, l'agriculture, l'extraction de ressources minérales).

Les entreprises non européennes entrent dans le champ d'application de la directive sur le développement durable si elles (a) ont réalisé un chiffre d'affaires net dans l'UE de plus de 150 millions d'euros au cours de l'exercice précédant le dernier exercice, ou (b) ont réalisé un chiffre d'affaires net dans l'UE de plus de 40 millions d'euros mais n'excédant pas 150 millions d'euros au cours de l'exercice précédant le dernier exercice, à condition qu'au moins 50 % de ce chiffre d'affaires net ait été réalisé au niveau mondial dans un ou plusieurs des « secteurs à fort impact ».

Les PME ne sont pas visées par ces règles européennes, mais la proposition prévoit des mesures d’accompagnement par lesquelles ces entreprises pourraient être indirectement touchées.

1.2 Obligations de la DDDD

Selon la proposition de la Commission, les entreprises concernées seront tenues, entre autres, de faire preuve de « diligence raisonnable » en ce qui concerne les droits de l'homme et l'environnement. Pour ce faire, elles devront recenser, prévenir, atténuer, supprimer et réduire les incidences négatives sur les droits de l'Homme et l'environnement dans le cadre de leurs propres activités, de leurs filiales et de leurs chaînes d'approvisionnement. En outre, certaines grandes entreprises doivent disposer d'un plan pour s'assurer que leur stratégie commerciale est compatible avec la limitation du réchauffement climatique à 1,5° C, conformément à l'accord de Paris.

La directive introduit également des obligations pour les administrateurs des entreprises de l'UE visées par la directive. Ils ont le devoir de mettre en place des procédures de diligence raisonnable et de superviser leur mise en œuvre, ainsi que d'intégrer la diligence raisonnable dans la stratégie de l'entreprise. Outre leur obligation d'agir dans l’intérêt supérieur de l'entreprise, les administrateurs doivent désormais prendre en compte l’impact de leurs décisions sur les droits de l'Homme, le changement climatique et l'environnement.

La directive ne sera pas adoptée avant 2024 et les États membres auront ensuite deux ans pour la transposer dans leur législation nationale.

2. La directive sur les rapports de durabilité des entreprises (CSRD)

Deuxièmement, il y a la Directive sur les rapports de durabilité des entreprises ou « Corporate Sustainability Reporting Directive » en anglais ou « CSRD ».

Cette directive, qui est entrée en vigueur le 5 janvier 2023 et doit être transposée en droit national avant le 6 juillet 2024, modernise et renforce les règles relatives aux informations sociales et environnementales dont les entreprises doivent rendre compte.

2.1 Application de la CSRD

A l'instar de la DDDD, les obligations de reporting prévues par cette directive s'appliquent aussi bien aux entreprises de l'UE qu'à celles des pays tiers.

Les entreprises de l'UE entrent dans le champ d'application si (a) elles sont une grande entreprise répondant à au moins deux des trois critères suivants : chiffre d'affaires net de 40 millions d'euros, total du bilan de 20 millions d'euros, 250 employés, ou (b) les actions de l'entreprise sont cotées sur un marché réglementé de l'UE.

Les entreprises non européennes devront se conformer aux obligations en matière de rapports sur le développement durable si, au cours de chacun des deux derniers exercices consécutifs dans l'UE, elles ont réalisé un chiffre d'affaires net supérieur à 150 millions d'euros et (a) ont une filiale européenne de grande taille (voir les critères ci-dessus) ou sont cotée sur un marché réglementé de l'UE, ou (b) ont une succursale européenne qui a réalisé un chiffre d'affaires net supérieur à 40 millions d'euros au cours de l'exercice financier précédent.

2.2 Que prescrit la CSDR ?

La directive exige que les entreprises concernées fournissent, dans le rapport du conseil d'administration, des informations sur les « questions de développement durable » (définies comme des « facteurs environnementaux, sociaux, de droits de l'homme et de gouvernance ») qui affectent l'entreprise et sur l'impact de l'entreprise sur les questions de développement durable.

Le rapport de gouvernance doit notamment inclure une description du modèle d'entreprise, de la stratégie et des objectifs de l'entreprise en matière de développement durable. En outre, les entreprises doivent rendre compte et décrire les processus de diligence raisonnable qu'elles appliquent en matière de développement durable.

3. Le règlement sur la publication d'informations en matière de durabilité dans le secteur financier (SFDR)

Une troisième législation ESG importante est le « Règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers » ou la « Sustainable Finance Disclosure Directive » ou « SFDR » en anglais, qui est entrée en vigueur en décembre 2019 et est pleinement applicable depuis 2022.

Il ne s'agit donc pas d'une directive mais d'un règlement qui s'applique directement aux acteurs des marchés financiers (PMF) définis comme les « acteurs majeurs », tels que les entreprises d'investissement, les fonds de pension, les gestionnaires d'actifs, les compagnies d'assurance, les banques, les fonds de capital à risque, les établissements de crédit proposant de la gestion de portefeuille, ou encore les conseillers financiers.

Elle exige de tous les acteurs des marchés financiers et des conseillers financiers qu'ils fournissent des informations sur leurs produits financiers, les risques de durabilité et les impacts négatifs de la durabilité dans leur processus d'investissement.

Le règlement sur la taxonomie, qui s'appliquera à partir du 1er janvier 2022, est également lié au SFDR. Le règlement sur la taxonomie fournit un ensemble commun de critères techniques de sélection pour tester et identifier la mesure dans laquelle une activité économique peut être qualifiée d'écologiquement durable. Ce règlement s'applique lorsque les acteurs des marchés financiers mettent à disposition des produits financiers commercialisés comme promouvant des caractéristiques environnementales ou des produits dont l'objectif est des  investissements durables.

4. Quelles sont les implications de la législation ESG ?

La législation européenne susmentionnée crée plusieurs nouvelles obligations pour les entreprises et le non-respect de ces obligations peut engager leur responsabilité.

Par exemple, la proposition DDDD impose aux États membres de prévoir des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives.

En outre, la proposition prévoit même explicitement un régime de responsabilité pour les victimes qui subissent un préjudice découlant de la négligence d’une entreprise dans la prévention et l'élimination des effets négatifs sur les droits de l'Homme ou l'environnement, ayant une incidence négative, qui aurait dû être recensée, anticipée, réduite ou éliminée, ou dont l'ampleur aurait dû être minimisée par des mesures appropriées.  

La proposition va encore plus loin puisqu'elle prévoit que les administrateurs de toute société, en s'acquittant de leur devoir d'agir dans le meilleur intérêt de l’entreprise, doivent tenir compte de l’impact de leurs décisions sur les questions de développement durable. Ce point est donc très important dans le contexte de la responsabilité des administrateurs.

L'adoption effective des régimes de responsabilité susmentionnés de la proposition DDDD fait encore l'objet de négociations entre les institutions européennes et n'est donc pas encore certaine.

Toutefois, même s'ils ne sont pas explicitement inclus dans la législation, les aspects ESG doivent absolument être pris en compte, et devraient en tout état de cause trouver de plus en plus leur place dans la jurisprudence. Par exemple, un tribunal belge pourrait prendre en compte les aspects ESG lors de l'interprétation de l'intérêt social, ce qui aura un impact sur l'évaluation des actions en responsabilité des administrateurs.

En ce sens, les aspects ESG ne sont plus de simples recommandations, mais se transforment progressivement en engagements fermes. Il est d’ailleurs légitime de s'attendre à ce que cette tendance se poursuive dans les années à venir.

Les entreprises ont donc tout intérêt à élaborer dès à présent une politique ESG, même si elles n'entrent pas (encore) dans le champ d'application de la législation existante.

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