11/05/11

Le droit européen : un espace de libertés souvent inexploité

Le droit européen est fondamentalement axé autour de quatre libertés de circulation (personnes, services, capitaux, établissement) dont l'un des objectifs est la création d'un marché intérieur, espace de libertés sans frontières entre aujourd'hui 27 Etats membres.

Paradoxalement, le foisonnement législatif inhérent à la création et au fonctionnement d'un tel marché ainsi que l'instrumentalisation de l'Union européenne par des gouvernements en proie à des difficultés de politique interne, occultent trop souvent les avantages offerts par le droit européen aux entreprises. L'Union européenne offre aux entreprises un espace de libertés dont elle ne mesure pas toujours la portée par méconnaissance d'un droit qualifié a priori de trop complexe.

La primauté de la liberté d'établissement sur les restrictions nationales

Un arrêt récent de la Cour de Justice illustre ce propos (C-89/09, 16 décembre 2010). Cet arrêt concernait un litige entre la Commission européenne et la République française au sujet d'une législation française qui limitait la participation des non-biologistes à 25% du capital d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée (Selarl) exploitant des laboratoires d'analyses de biologie médicale. Selon la Commission, cette loi restreindrait la liberté d'établissement (article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne). En effet, elle limiterait les possibilités de partenariats avec des personnes morales établies dans d'autres Etats membres ainsi que la liberté d'établissement en France des laboratoires établis dans d'autres Etats membres dès lors qu'ils ne satisfont pas aux critères législatifs français. Des dispositions législatives semblables avaient d'ailleurs été abolies par plusieurs Etats membres dont la Belgique, à la demande de la Commission européenne.

La République française rejetait cette accusation. En effet, la biologie médicale aurait, selon elle, une place centrale et déterminante dans le système de soins français. A la différence d'autres Etats membres, la biologie médicale ne serait pas cantonnée en France à un rôle purement technique mais conférerait un rôle médical majeur aux biologistes, ce qui expliquerait entre autres que la majorité d'entre eux serait pharmaciens ou médecins.

La France exposait par ailleurs que même si cette législation devait être considérée comme restrictive de la liberté d'établissement, elle serait justifiée par une « raison impérative d'intérêt général », à savoir la protection de la santé publique. En effet, la jurisprudence de la Cour de Justice reconnaît que dans certaines circonstances la poursuite d'un objectif légitime qualifié de « raison impérative d'intérêt général » peut amener un Etat membre à restreindre une des quatre libertés fondamentales du Traité. Selon la République française, la législation en cause poursuit un objectif de santé publique en assurant l'indépendance des biologistes et en évitant que leurs décisions ne soient guidées par des considérations d'ordre économique plutôt que des considérations de santé publique.

Sauf pour « raison impérative d'intérêt général » selon l'interprétation de la Cour de Justice

Après avoir étudié ces arguments, la Cour décide que la législation française constitue une restriction à la liberté d'établissement car elle limite la possibilité pour des non-biologistes établis dans d'autres États membres de participer au capital social d'une telle société, et qu'elle décourage, voire empêche, l'établissement en France d'opérateurs économiques établis dans d'autres États membres dans lesquels ils exploitent des laboratoires qui ne satisfont pas aux critères de répartition du capital requis par lesdites dispositions.

Toutefois, la Cour trouve que cette restriction peut se justifier. Elle reconnaît que l'objectif de maintien de la qualité des services médicaux par l'indépendance des biologistes est légitime et participe au niveau élevé de protection de la santé publique. La Cour considère par ailleurs que les mesures mises en œuvre par la loi sont proportionnées à l'objectif poursuivi.

Mais, la Cour nuance fortement la portée de cette restriction pour les entreprises de biologie médicale valablement constituées dans un autre Etat membre. Elle note tout d'abord que si au moins 75% du capital d'un laboratoire doit être détenu par des biologistes, ceux-ci peuvent être tant des personnes physiques que des personnes morales. La Cour souligne ensuite que les autorités françaises assimilent les personnes morales qui gèrent des laboratoires d'analyses de biologie médicale dans d'autres États membres à des biologistes ayant la qualité de personne morale de droit français (principe de reconnaissance mutuelle des qualifications). La Cour conclut donc habilement qu'en autorisant des personnes morales qui gèrent des laboratoires d'analyses de biologie médicale dans d'autres États membres à détenir plus de 25 % des parts sociales d'un laboratoire d'analyses de biologie médicale, la France accorde à ces personnes morales les mêmes droits que ceux reconnus aux biologistes ayant la qualité de personnes morales de droit français. En cela, la France se borne à respecter le droit de l'Union.

Cet arrêt illustre bien la force du droit européen. Tout en reconnaissant, la validité de la législation restrictive française, la Cour a fait prévaloir la liberté d'établissement pour les personnes morales ayant la qualité de laboratoire médical dans un autre Etat membre. Ces entreprises ne sont pas tenues par la limitation de la loi française. Une telle opportunité n'aurait pu exister sans le jeu des libertés établies par le Traité.

Pour ouvrir aux entreprises les portes d'un vaste marché

Cette affaire comme bien d'autres montre que la connaissance du droit européen donne des ressources juridiques et économiques souvent insoupçonnées aux entreprises européennes. Les affaires de concurrence monopolisent souvent l'attention des média et des entreprises alors que bien d'autres pans du droit européen mériteraient une même publicité tant ils offrent une source significative d'opportunités à nos entreprises. Sans tomber dans un angélisme européen par trop naïf, les entreprises européennes auraient tout à gagner à se pencher davantage sur les aspects du droit européen qui touchent à leurs secteurs d'activités. Cet apprentissage peut se faire notamment par le biais d'association professionnelle. Très vite, l'entreprise constatera que le droit européen n'est pas seulement une source de contraintes mais offre des outils de développement forts tel qu'illustré ci-dessus. Enfin, les entreprises ne doivent pas hésiter à contacter les autorités européennes, seules ou via une association professionnelle, pour s'ouvrir à elles d'une problématique qui les soucie. Ces institutions, et en particulier la Commission européenne, sont désireuses d'avoir un retour concret des difficultés ou projets des entreprises tant à l'intérieur de l'Union européenne qu'en dehors de celle-ci. Ceci est particulièrement d'actualité au lendemain de la présentation par le Président Baroso du Single Market Act qui vise à donner un nouvel élan au marché intérieur autour de 12 projets tels le brevet européen ou un meilleur accès au financement pour les PME.

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