11/02/11

Les intérêts notionnels

La déduction pour capital à risque, également appelée deduction des intérêts notionnels, est un sujet qui revient au devant de l’actualité depuis un peu plus d’un an. Elle semble être la cible de différents groupes de pression qui n’ont de cesse de la présenter de manière négative.

Pour rappel, il s’agit d’une déduction fiscale à concurrence d’un pourcentage des fonds propres de la société, pourcentage qui est fonction du taux des obligations linéaires à 10 ans émises par l’Etat belge. Il s’agit d’une mesure originale qui n’existait qu’au Brésil avant son introduction en Belgique. D’autres Etats ont tenté de la copier, dont les Pays-Bas.

Il faut se rappeler que la déduction des intérêts notionnels (« DIN ») a été conçue pour remplacer le régime des centres de coordination dont les fonctions se concentraient sur les activités financières au bénéfice des sociétés appartenant au même groupe. La plupart de ces centres bénéficiaient d’un régime fiscal très favorable qui fut remis en cause par la Commission européenne. Afin d’éviter un exode de ces centres dont le statut venait pour beaucoup à échéance le 31 décembre 2005, un régime fiscal equivalent devait être voté et entrer en vigueur le 1er janvier 2006 au plus tard. La DIN était la mesure adéquate et a empêché un transfert de ces centres financiers vers d’autres pays, avec la suppression de plus de 10.000 emplois qui y était liée.

Ces centres financiers installés en Belgique ne payaient qu’un impôt symbolique en Belgique et ils paient actuellement un impôt très réduit grâce à la DIN. Il faut rappeler que les sociétés financiers intra-groupe ne s’établissent dans un pays que si leur taux effectif d’impôt est inférieur à 5%. En ce qui concerne ces sociétés, le Trésor n’y a rien perdu en termes d’impôts. On oublie également que le coût de la DIN fut partiellement compensé par la suppression d’autres incitants fiscaux et l’augmentation de la base imposable des sociétés. Ces mesures sont toujours en place et génèrent donc plus d’impôt des sociétés qu’avant la mise en place de la DIN.

Ceux qui désirent supprimer la DIN ou la modifier drastiquement doivent donc garder à l’esprit que, si ce changement aboutit à une imposition des sociétés financières, elles quitteront la Belgique et un transfert d’actifs financiers de 60 à 70 milliards d’euros s’ensuivra à très courte échéance. Actuellement, ce montant d’actifs génère environ 2,8 milliards d’euros de DIN qui ne représentent aucune perte d’impôts pour l’Etat belge. De même, ceux qui croient qu’il suffit de taxer les revenus de ces centres financiers au taux nominal de 34% se font des illusions. Avant même le vote de la loi, la base imposable aura disparu définitivement pour la raison indiquée ci-dessus.

Par ailleurs, le gouvernement a fait une large publicité de la DIN auprès des investisseurs étrangers, la présentant à juste titre comme le seul incitant fiscal significatif existant dans notre code fiscal. Il faut garder à l’esprit que les investisseurs recherchent la sécurité juridique à tout prix et qu’il ne faut pas modifier les règles incessamment. La Belgique doit donc montrer une stabilité legislative et conserver ses incitants fiscaux dans la durée. Des pays comme la Suisse et les Pays-Bas sont les champions de la stabilité legislative et en font un atout pour les investisseurs.

Afin de la rendre compatible avec le droit européen, la DIN devait s’appliquer à toutes les sociétés, y compris les établissements financiers et a fortiori la Banque nationale de Belgique. Son mécanisme encourage les sociétés à augmenter leurs fonds propres, les rendant moins dépendantes des emprunts externes. L’avantage fiscal étant lié au niveau des fonds propres, plus ceux-ci sont élevés, plus le montant de DIN est important. Il s’agissait donc aussi d’une mesure incitant les PME à renforcer leurs fonds propres, ce qu’elles ont fait. Ces sociétés ont aussi largement tiré parti de la DIN. Il est faux de dire que la DIN est l’apanage des groups multinationaux.

Par ailleurs, le montant d’impôt des sociétés encaissé par le Trésor depuis l’entrée en vigueur de la DIN a augmenté, ce qui prouve que la mesure fiscale n’a pas amputé les recettes.

Certains ont proposé de remplacer la DIN par une diminution du taux d’impôt des sociétés. Il est vrai qu’avec son taux nominal de 33,99%, la Belgique se situe parmi les pays les plus gourmands, particulièrement depuis l’entrée de certains pays de l’Europe de l’est dans l’Union européenne. On peut regretter que les Etats membres se livrent à une concurrence fiscale acharnée alors que l’image idyllique voudrait un marché unique avec une base d’imposition et un taux d’impôt de sociétés identiques dans tous les Etats. Quand on voit les difficultés que les Etats ont à se mettre d’accord sur une base imposable identique, beaucoup de temps s’écoulera avant que les taux soient identiques car cette mesure entraînera inévitablement une perte importante de souveraineté budgétaire et fiscale de chaque Etat.

Quand bien même la Belgique déciderait de baisser son taux d’impôt des sociétés en lieu et place de la DIN, elle devrait ramener son taux à environ 20%. Ce taux soutient la comparaison avec ses Etats voisins mais pas avec les pays de l’est, membres de l’union européenne. Le risque d’une course effrénée à la baisse des taux est réel.

Ensuite, ce nouveau taux s’appliquera de manière linéaire, que les sociétés génèrent un haut retour sur investissement ou pas. Actuellement, la DIN ne neutralise qu’un retour sur investissement sans risque de l’ordre de 3,8%. Si le rendement monte à 15%, une grande partie de celui-ci subira l’impôt de 34%.

Enfin, comme indiqué plus haut, supprimer la DIN entraînera le départ immédiat des centres financiers qui ne peuvent se satisfaire d’un taux d’impôt de 20%.

Un autre argument avancé par les détracteurs de la DIN est le fait qu’elle n’est pas liée à la création d’emplois. Au moment du vote de la DIN au parlement, un amendement conditionnant le bénéfice de la DIN à la création d’emplois fut rejeté par 12 voix contre 1. Les partis au pouvoir ont donc rejeté cette condition à l’unanimité. Il existe d’autres incitants à la création d’emplois. En outre, les entrepreneurs savent pertinemment que les emplois ne se décrètent pas à coup d’incitants voire même de pénalités (cfr le plan ROSETTA). Il est évident que la DIN a permis de maintenir des emplois hautement qualifiés dans les centres financiers intragroupe mais aussi indirectement dans les banques et en dehors du secteur financier. En outre, des groupes qui ne disposaient pas de centres de coordination ont établi un centre financier en Belgique, ce qui a créé de nouveaux emplois.

La DIN constitue donc un atout fiscal indispensable si la Belgique veut continuer à attirer de nouveaux investisseurs et à choyer ceux qui lui ont déjà fait confiance.

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