16/01/13

Les fonds détournés par une employée ne constituent pas une rémunération imposable

Cass. 23.11.2012 : « La notion ‘rémunération’ au sens de l’art. 31 CIR92 ne comprend pas les fonds qu’un travailleur s’est indûment octroyés au détriment de son employeur, même si cela s’est déroulé dans l’exercice de l’activité pour laquelle il a été embauché ».

Contexte

Depuis un certain temps déjà, une employée d’une banque détournait des fonds considérables au détriment de son employeur jusqu’à ce que ce dernier ait eu vent de l’affaire et introduise une plainte au pénal.

Dans le cadre de l’instruction pénale introduite à l’encontre de l’employée et de son mari, l’employée a reconnu avoir détourné un montant de 3.400.000.000 BEF (84.283.798,42 EUR) à l’insu de son employeur. Les deux prévenus avaient, probablement grâce aux montants détournés, pu acquérir de nombreuses participations dans des sociétés ainsi que des biens meubles et immeubles importants. Ces biens ont été saisis par le Parquet. Sur demande du procureur du Roi, le président du tribunal de première instance de Gand a requis un séquestre sur les biens saisis. Ce dernier a même été désigné en tant que gestionnaire ad hoc de tous les biens qui appartenaient au couple.

L’administration fiscale a ensuite établi des impositions sur les montants détournés. Les réclamations fiscales sur les montants détournés étaient tellement importantes qu’elles ont complétement englouti les actifs restants au travers du fonctionnement du privilège du Trésor public, et ce au détriment de la véritable personne lésée. La dette fiscale totale s’élevait à 79.719.892,48 EUR, y inclus un accroissement d’impôt de 50 %.

Quant aux biens confisqués dans le cadre de la procédure pénale, ceux-ci ont été attribués à la partie intervenante volontaire qui s’était constituée partie civile lors de la procédure pénale en réparation du dommage subi par la banque suite aux agissements de son employée.

Lorsque la banque a souhaité obtenir l’indemnité pour le dommage subi, celle-ci s’est tournée vers le gestionnaire-séquestre ad hoc en vue de l’émission et du versement des actifs confisqués. Le fisc s’y est opposé en recourant au privilège du Trésor public.

La cour d’appel de Gand a rejeté les réclamations fiscales de dégrèvement d’impôt.

Le gestionnaire-séquestre ad hoc, l’employée et son mari ainsi que la banque ont introduit un pourvoi en cassation contre cette décision.

L’arrêt de cassation du 23 novembre 2012

Les demandeurs en cassation ont notamment avancé l’argument que les fonds détournés devant être remboursés ne peuvent être qualifiés de « rémunération de travailleur » au sens des articles 30 et 31 du CIR 1992, malgré le fait qu'une personne extérieure qui n’était pas employée par la banque n'aurait pu procéder à ce détournement.

La Cour de cassation a suivi ce raisonnement. Elle a en effet estimé que la notion de « rémunération » au sens de l’art. 31 CIR92 ne comprend pas les fonds qu’un travailleur s’est indûment octroyés au détriment de son employeur, même si cela s’est déroulé dans l’exercice de l'activité pour laquelle il a été embauché ».

La Cour a donc également estimé que les juges d’appel ont violé l’article 31 CIR92 en jugeant que les fonds que s’était octroyés l’employée au détriment de son employeur devaient être considérés comme une rémunération de travailleur.

Pertinence et intérêt de l’arrêt

Au travers de son arrêt, la Cour de cassation a délimité la définition de la notion « rémunération » au sens de l’art. 31 CIR92. Les fonds détournés par un travailleur à l’insu de son employeur ne tombent pas sous cette définition. Ce jugement va à l’encontre de la jurisprudence constante des cours et tribunaux selon laquelle les fonds que s'est indûment octroyés un travailleur au détriment de son employeur dans le cadre de l'exercice de sa fonction sont qualifiés de rémunérations imposables.

L’arrêt empêche le fisc de pouvoir imposer en tant que revenus professionnels dans le chef du travailleur la (quasi) totalité du montant des fonds ou biens détournés par ce dernier à l’insu de son employeur durant l’exercice de sa fonction. En outre, cet arrêt empêche également le fisc d’avoir, pour cet impôt établi (en ce compris les majorations, les amendes et les intérêts de retard), priorité – en vertu du privilège général dont il bénéficie – sur la demande de l’employeur visant à récupérer les fonds détournés.

Ceci revêt un intérêt primordial au cas où ce travailleur a détourné un montant considérable en fonds ou en biens. L’arrêt aura donc, en premier lieu, surtout de l’importance pour l’employeur lésé.

L’avantage supplémentaire pour l’employeur est que le rejet de la qualification en tant que revenus professionnels écarte le risque que le fisc ne se tourne éventuellement vers l’employeur du fait qu’aucun précompte professionnel n’a (évidemment) été retenu sur les fonds détournés et qu’une cotisation spéciale (de 309%) ne sera pas davantage imposée dans la mesure où aucune fiche fiscale n’a été établie pour les fonds détournés.

L’arrêt statue uniquement sur la non-qualification en tant que rémunération d’un travailleur telle que visée à l’article 31 CIR 92. Il ne ressort pas clairement de l’arrêt si la Cour suivrait le même raisonnement dans le cas, tel que visé à l’article 32 CIR 92, des rémunérations d’un dirigeant d’entreprise (dans la mesure où les définitions respectives ne sont pas totalement similaires).

L’arrêt n’est certainement pas pertinent pour la qualification en tant que revenu professionnel imposable dans le chef de bénéficiaires de profits ou de bénéfices. En effet, l’arrêt ne statue aucunement sur l’éventualité que les fonds détournés puissent être imposables au titre de revenus divers dans le chef du détourneur. Par ailleurs, l’arrêt ne statue pas non plus sur la question de savoir si les cotisations de sécurité sociale peuvent être dues.

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