01/03/24

La société civile immobilière française est-elle visée par la taxe Caïman ?

Des milliers de Belges détiennent une résidence secondaire en France à travers une SCI française. Ils pourraient dans certains cas être visés par la taxe Caïman, qui a été réformée à la fin de l’année dernière.

La taxe Caïman instaure une imposition par transparence des revenus imposables de "constructions juridiques" dans le chef de leur "fondateur" (personne physique). Elle a été réformée en profondeur par la loi-programme du 22 décembre 2023. Le spectre des constructions juridiques visées a été élargi à de nouvelles structures étrangères, et potentiellement aux sociétés civiles immobilières (SCI) françaises fort prisées par les Belges. 

Les « entités hybrides » constituent l’une des catégories de constructions juridiques. Elles incluent les entités fiscalement opaques en Belgique (sujet fiscal distinct) mais dont les revenus sont imposés dans le chef des associés belges dans la juridiction où elles sont établies. Il est généralement admis qu’une SCI française (translucide en droit fiscal français) peut être visée : dotée de la personnalité juridique, elle est opaque en droit fiscal belge, alors que l’impôt sur ses revenus est acquitté par ses associés en France.

Suite à la réforme, il n’existe plus qu’une exception (alors qu’il y en avait deux auparavant) dite de « taxation minimale ». La SCI échappera à la taxe Caïman si l’associé belge paie un impôt en France sur les revenus de la SCI, à condition que cet impôt soit au moins égal à 1% du revenu imposable de la SCI « recalculé à la sauce fiscale belge ». Il faut donc déterminer les revenus imposables de la SCI « comme si » elle était une société résidente belge.  Exemple : si la base imposable de la SCI « à la sauce belge » est égale à 100, il faut donc que l’associé ait payé en France un impôt d’au moins 1 (= 1% de 100) pour que la SCI échappe à la qualification de construction juridique. 

Lorsque l’immeuble est mis en location (à titre onéreux) par la SCI, les loyers sont imposables en France dans le chef des associés belges, de sorte que l’exception de taxation minimale de 1% pourra jouer.

Plus complexe est la situation où la SCI détient une habitation en France (seconde résidence) qui n’est pas mise en location. En France, l’occupation gratuite d’un bien immeuble (par l’associé de la SCI) ne donne pas lieu à un impôt sur le revenu (sur un loyer fictif). A défaut de taxation de l’associé belge en France, ne faut-il pas conclure au non-respect de l’exception de taxation minimale ? Pas nécessairement. Il faut recalculer les revenus imposables de la SCI suivant les règles fiscales belges (notamment celles régissant la déductibilité des charges immobilières telles que les amortissements sur la construction, les frais d’entretien, les impôts fonciers, etc). De prime abord, la base imposable belge « fictive » semble nulle, en l’absence de revenus locatifs (effectifs). La SCI devrait alors pouvoir invoquer l’exception de taxation minimale : 1% de 0 = 0. Lorsque la base imposable « à la sauce belge » est nulle (ou négative), la SCI ne sera pas une construction juridique, quand bien même l’associé belge ne paie pas d’impôt en France (sur l’occupation gratuite).

Mais l’exercice n’est pas terminé. La SCI pourrait bien avoir une base imposable « à la sauce belge » positive, quand bien même elle n’aurait aucun revenu (loyers). Les revenus imposables d’une société belge ne se limitent en effet pas aux revenus effectivement réalisés.  En cause : une disposition du code belge des impôts sur les revenus (art. 26), qui peut conduire à une augmentation de la base imposable d’une société belge à hauteur d’« avantages anormaux ou bénévoles » (« AAB ») octroyés. Or, une mise à disposition gratuite d’un bien immeuble peut constituer un AAB, sauf dans certains cas particuliers (lorsque la mise à disposition gratuite est traitée intégralement comme un avantage de toute nature – « ATN »  - chez le dirigeant belge de la SCI, et que ce dernier déclare l’ATN dans sa déclaration fiscale). 

Conclusion : si une SCI met gratuitement une seconde résidence à la disposition de son associé belge ainsi qu’aux membres de sa famille (conjoint, enfants,…), un loyer de marché « fictif » (AAB) pourrait dans certains cas venir se rajouter à la base imposable belge « fictive »… avec à la clef une potentielle qualification de la SCI comme « construction juridique » (si la base imposable ainsi recalculée est positive).

Olivier Willez
Avocat-associé (DWMC)

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