18/08/22

Cessions d’entreprises : le spectre de la taxation généralisée des plus-values sur actions

L’introduction d’une taxation généralisée des plus-values sur actions est l’une des mesures phares du projet de réforme fiscale du ministre des Finances. Va-t-elle pénaliser les entrepreneurs désireux de vendre les actions de leur société ? Y a-t-il une solution miracle pour éviter de payer l’impôt sur la plus-value ?

Voici un entrepreneur belge qui a créé une société opérationnelle il y a une vingtaine années, avec un capital réduit de 20.000 euros. Il vend aujourd’hui les actions de sa société à un tiers pour un prix d’un million d’euros, en réalisant à cette occasion une belle plus-value (980.000 euros). En vertu de la législation fiscale actuelle, cette plus-value est exonérée à l’impôt des personnes physiques dans la mesure où elle relève de la gestion normale du patrimoine privé.  L’exonération des plus-values sur actions est assurément un bel atout pour attirer sur notre sol des entrepreneurs. D’autant plus que les autres États membres de l’Union européenne taxent les plus-values sur actions…, même nos voisins luxembourgeois ! Ainsi, au Grand-Duché, les plus-values sur participations substantielles (de plus de 10 %) sont soumises à une imposition de l’ordre de 20 %.

Petit coup de tonnerre dans le paysage fiscal : le projet de réforme fiscale entend mettre fin à cette sacro-sainte exonération et à taxer toutes les plus-values sur actions à un taux uniforme de 15%.  Imaginons que les partenaires du gouvernement Vivaldi s’accordent pour introduire pareille mesure (ce qui est loin d’aller de soi…). Quel en sera l’impact pour notre entrepreneur ?

En premier lieu, notons que sa plus-value sera en principe taxée au taux de 15%, soit à un taux plus bas que le taux d’imposition des revenus du patrimoine (25%).

En second lieu, une bonne partie de sa plus-value devrait en l’occurrence pouvoir échapper à la taxe. La note du ministre contient en effet une « bonne surprise », qui est passée plutôt inaperçue : elle consacre le principe du « respect des droits acquis ». Concrètement, ceci signifie très probablement que la nouvelle taxe ne devrait pas s’appliquer à la plus-value "historique", constituée avant l’entrée en vigueur de la loi. Imaginons que notre entrepreneur ait acquis les actions de sa société lors de sa constitution pour un montant de 20.000 euros (en échange d’un apport en cash au capital de sa société), et que la valeur de marché de sa société est évaluée à 1.000.000 euros au moment de l’entrée en vigueur de la taxe sur les plus-values. S’il revend, quelque temps après l’entrée en vigueur de la taxe, les actions de sa société pour 1.100.000 euros, la taxe de 15% ne devrait s’appliquer qu’à hauteur de la différence entre le prix de cession (1.100.000 euros) et la valeur de marché de sa société au moment de l’entrée en vigueur de la mesure (1.000.000 euros), soit 100.000 euros. Ceci signifie que l’impôt à payer serait limité à 15.000 euros (100.000 euros * 15%). Voilà qui devrait réjouir de nombreux entrepreneurs ayant constitué leur société il y a de nombreuses années! Cet assouplissement profitera bien entendu moins aux « nouveaux entrepreneurs », qui ont constitué leur société peu avant (ou a fortiori après) l’entrée en vigueur de la taxe…

En troisième lieu, l’entrepreneur pourrait bénéficier d’une « exonération spéciale, bien que limitée, de sa plus-value », à condition que le repreneur de la société maintienne l’activité et l’emploi. La note du ministre des Finances n’en dit pas plus sur l’ampleur de cette exonération, ni sur ses conditions d’application exactes. On peut en tout cas se réjouir de ce coup de pouce aux « entrepreneurs actifs ».

Parade pour éviter l’impôt sur les plus-values ?

Certains entrepreneurs pourraient être tentés d’anticiper la taxe et de trouver la parade. Pourquoi ne pas profiter de la législation actuelle et céder aujourd’hui les actions de l’entreprise à une holding belge en exonération d’impôt (exonération de la plus-value en présence d’une gestion normale du patrimoine privé) ? L’idée est simple : si la holding revend à son tour plus tard (après l’entrée en vigueur de la taxe sur les plus-values à l’IPP) les actions de l’entreprise pour un prix plus élevé, elle devrait pouvoir réaliser une plus-value sur actions exonérée à l’impôt des sociétés. Sans vouloir entrer dans les détails, notons que cette « combine » n’est pas exempte de risques fiscaux.

D’abord, le fisc pourrait tenter de considérer que la plus-value réalisée par l’entrepreneur, lors de la cession de ses actions à sa société holding, ne bénéficie pas de l’exonération. Motif : l’opération ne relève pas d’une gestion normale du patrimoine privé (problématique dite des « plus-values internes »).

Ensuite, il ne faut pas perdre de vue l’application potentielle de la mesure générale anti-abus. Notre fiscalité est relativement libérale: le contribuable éclairé est, en principe, parfaitement en droit de gérer sa fiscalité au mieux de ses intérêts. Mais on sent immédiatement que si une certaine habileté fiscale n’est pas critiquable au regard du choix de la voie la moins imposée, elle peut le devenir si elle franchit certaines bornes. Le fisc belge pourrait en l’espèce tenter de dégainer l’arme de l’abus fiscal, en particulier s’il peut montrer que la seconde vente (par la société holding au tiers acquéreur) était déjà planifiée lors de la réalisation de la première vente (par l’entrepreneur à sa société holding).

Enfin, le recours à la holding ne fait que différer l’impôt: celui-ci sera dû tôt ou tard, lorsque le produit de cession sera distribué par la holding à l’entrepreneur (précompte mobilier).

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