26/06/12

Le transfert conventionnel d’entreprise : cadre et limites

La vie d'une entreprise ne se conçoit plus de manière linéaire. Trop souvent, les entrepreneurs ignorent les conséquences des opérations commerciales projetées.

Sous réserve des dispositions spécifiques applicables aux entreprises en difficulté (transfert sous autorité de justice, transfert conventionnel dans le cadre d'une faillite ou réorganisation judiciaire), un transfert d'entreprise au sens juridique du terme implique l'obligation dans le chef du repreneur :

• de reprendre l'ensemble du personnel avec maintien des conditions collectives et individuelles de travail,

• de prendre à sa charge le paiement des rémunérations impayées au jour du transfert en cas de défaillance de l'employeur cédant.

Le coût lié à ces obligations constitue un paramètre important dans l'analyse de la rentabilité de l'opération envisagée.

Quand parle-t-on de transfert d'entreprise ?

Par transfert d'entreprise, on entend - tant en droit belge (CCT 32bis) qu'en droit européen (directive 2001/23) - le transfert conventionnel d'une entité économique qui maintient son identité, en vue de la poursuite d'une activité économique avec en conséquence un changement d'employeur au sens juridique du terme.

Le transfert implique que le repreneur poursuive la même activité économique ou une activité analogue grâce au transfert de l'essentiel des moyens nécessaires à la poursuite de cette activité.

Outre le personnel, ces moyens peuvent consister en des éléments corporels (bâtiment, outillage, marchandises,... quel qu'en soit le propriétaire) ou incorporels (bail, enseignes, dénomination commerciale, marque, brevets, clientèle).

La présence d'un seul de ces éléments peut suffire à conclure à l'existence d'un transfert. Une analyse au cas par cas est donc indispensable.

A titre exemplatif, ont été considérés comme un transfert au sens de la loi :

• La reprise d'une activité autrefois exercée par une commune ou par une ASBL (transfert entre entités publique et privée/ activité avec ou sans but lucratif),
• L'octroi d'une concession administrative à une société de droit privé,
• L'attribution d'un marché public alors que l'activité était autrefois exercée par une entreprise tierce,
• Les opérations internes au sein d'un groupe de sociétés pour autant qu'il y ait modification de l'employeur,
• Le transfert du personnel d'une entreprise de gardiennage, le personnel étant considéré comme l'essentiel des moyens de l'entreprise,
• Le transfert des employés chargés de la gestion des travailleurs intérimaires et du savoir-faire pour poursuivre l'objectif de mise à disposition,
• L'externalisation d'un service de nettoyage,
• L'attribution par un hôpital de l'activité de cuisine de collectivité alors que cette activité avait autrefois été confiée à une entreprise tierce,...

Par contre, ne constituent pas un transfert d'entreprise :

• Le changement d'actionnariat,
• La reprise d'un chantier, sans transfert d'un ensemble organisé d'éléments permettant la poursuite durable des activités,
• La reprise d'un marché de transport en autobus lorsque seuls certains membres du personnel ont été repris, à l'exclusion du matériel,
• La simple vente d'un fichier clients d'une entreprise intérimaire,...

Quelles sont les conséquences du transfert ?

Obligation d'information et de consultation

Le cédant et le cessionnaire doivent consulter les organes concertation au sujet des facteurs économiques, financiers ou techniques à l'origine des modifications de structure et des conséquences économiques, financières et sociales du transfert. A défaut de conseil d'entreprise ou de délégation syndicale, une information doit être donnée aux travailleurs concernant les conséquences juridiques, économiques et sociales du transfert projeté, ainsi que la date envisagée.

Des dispositions similaires existent également à charge des autorités dans le secteur public.

Obligation de reprise de la totalité du personnel

Le transfert s'effectue de plein droit et ce, indépendamment des conventions conclues entre cédant et repreneur.

Les travailleurs bénéficient d'une protection qui interdit à l'employeur de les licencier pour une cause liée au transfert d'entreprise (en prévision ou en réaction au transfert).

L'employeur (cédant ou cessionnaire) qui a l'intention de procéder à un licenciement hors motif grave se réservera la preuve des raisons économiques, techniques ou d'organisation le justifiant. Aucune sanction spécifique n'est cependant prévue en cas de violation de cette protection. Le travailleur devra établir, conformément au droit commun, l'existence d'une faute à l'origine d'un dommage distinct de celui déjà couvert par l'indemnité de rupture.

Le travailleur peut par contre refuser après transfert de poursuivre son contrat de travail avec le nouvel employeur. Dans ce cas, l'employeur veillera soit à obtenir un acte de démission non équivoque du travailleur, soit à introduire une action en résolution devant le Tribunal du travail compétent. Une convention de rupture de commun accord pourrait également être envisagée sous certaines conditions.

Le transfert automatique du contrat implique que ni le cessionnaire ni le cédant ne doit signer de convention spécifique avec le travailleur. La signature de convention peut toutefois, dans certaines hypothèses, s'avérer utile.

Des difficultés particulières peuvent enfin être rencontrées lorsque le travailleur est partiellement occupé dans l'activité concernée. La question d'un transfert du contrat ou de sa scission devra être posée et examinée au regard notamment de la jurisprudence européenne.

Maintien des conditions individuelles et collectives de travail

Le repreneur doit en principe garantir le maintien des conditions individuelles et collectives de travail (rémunérations à l'exception des régimes complémentaires de prévoyance sociale, horaires, fonctions, etc.).

Les conventions collectives (nationales, sectorielles ou d‘entreprise) continuent à lier le repreneur à tout le moins jusqu'à ce qu'elles cessent de produire leurs effets. Les transferts qui impliquent un changement de commission paritaire (ou passage du secteur public au privé) posent de multiples questions. La Cour de cassation prône dans ce cas une application distributive des dispositions les plus favorables aux travailleurs, position qui fait cependant l'objet de vives critiques.

Solidarité pour les dettes sociales existantes au moment du transfert

Le législateur belge a prévu la possibilité pour le travailleur de s'adresser tant au cédant qu'au repreneur pour réclamer l'ensemble des dettes existant au jour du transfert. Le repreneur devra alors en assumer paiement intégral à charge pour lui d'en poursuivre ensuite le remboursement contre le cédant et d'assumer l'éventuelle insolvabilité de ce dernier.

Conclusions

Le transfert d'entreprise est une notion extrêmement large susceptible de toucher de nombreux cas d'espèce.
La personne qui envisage de reprendre, indirectement ou directement, une activité économique (avec ou sans but lucratif) veillera à recueillir des informations concernant la gestion du personnel au sens le plus large du terme. Elle établira scrupuleusement le coût de reprise du personnel et, en cas de doute quant aux dettes sociales existantes ou potentielles, veillera à se faire délivrer une garantie bancaire éventuellement libérable progressivement.

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