14/03/19

Saviez-vous qu’il existe deux droits à l’oubli sur internet?

Tout d’abord, le droit à l’oubli numérique, dont disposent les citoyens européens depuis le 25 mai 2018. Celui-ci leur permet de demander, dans certaines hypothèses, l’effacement de leurs données directement auprès de la personne qui les traite.

Ensuite, le droit à l’oubli judiciaire, plus ancien. Celui-ci permet à une personne condamnée d’empêcher, sous certaines conditions, que son passé judiciaire soit rappelé au public.

Un récent arrêt de la Cour de cassation s’est penché sur ce dernier. Cela nous donne l’occasion de faire le point sur ses conditions d’application.

À cette occasion, la Cour a analysé la question suivante. Un éditeur de presse est-il tenu d’anonymiser un article archivé en ligne, qui concerne des faits judiciaires, à la demande de la personne qui y est mentionnée en raison de son implication (potentielle) ?


Contexte de l’arrêt consacrant le droit à l’oubli judiciaire

Les faits sont simples: LF demande à deux éditeurs de journaux d’anonymiser des articles archivés en ligne qui concernaient des faits judiciaires auxquels il avait été mêlé.

Confronté à leur refus, LF introduit une action en justice. Il vise leur responsabilité délictuelle. Selon lui, leur refus de procéder à l’anonymisation constitue une faute au sens de l’article 1382 du Code civil.

La Cour d’appel fait droit à la demande de LF. Elle condamne donc les éditeurs. Ceux-ci doivent remplacer dans les articles litigieux son nom et prénom par la lettre X ou par ses initiales.

Les éditeurs décident d’introduire un pourvoi en cassation.


Raisonnement de la Cour

La Cour de cassation valide le raisonnement de la Cour d’appel, en rejetant les deux principaux moyens avancés.


La base légale du droit à l’oubli judiciaire

Les éditeurs avancent tout d’abord une atteinte à leur droit à la liberté d’expression.

À l’instar du droit au respect de la vie privée, celui-ci est un droit fondamental.

En cette qualité, il peut faire l’objet de limitations, pour autant qu’elles soient prévues par la loi, poursuivent un but légitime et répondent à un impératif de proportionnalité.

Les éditeurs estiment que la condition de légalité n’est pas remplie en l’espèce. Selon eux, le droit à l’oubli numérique ne se fonde sur aucune base légale.

Cependant, c’est bel et bien le droit à l’oubli judiciaire, adapté aux archives en ligne, qui est cité par LF.

Le droit à l’oubli judiciaire fait partie intégrante du droit au respect de la vie privée. La Cour refuse de suivre le moyen avancé par les demandeurs en cassation.


Les conditions du droit à l’oubli judiciaire

Tel qu’indiqué ci-dessus, le droit à la vie privée comprend le droit à l’oubli judiciaire.

Celui-ci permet à une personne condamnée pénalement d’empêcher que son passé judiciaire soit rappelé au public à l’occasion d’une nouvelle divulgation des faits.

Plus précisément, sept conditions doivent être remplies :

  • divulgation initiale de faits ;
     
  • faits d’ordre judiciaire ;
     
  • redivulgation ;
     
  • aucun intérêt contemporain/historique à la redivulgation ;
     
  • laps de temps entre les deux divulgations ;
     
  • absence de vie publique de la personne concernée ;
     
  • intérêt à la resocialisation.

Selon les éditeurs, la deuxième condition – la redivulgation – n’est pas remplie en l’espèce.

Ces-derniers prétendent que l’archivage en ligne suppose une « correspondance trait pour trait » entre l’article publié et l’article archivé. Et par conséquent, exclut toute nouvelle divulgation.

Cependant, la Cour refuse de faire droit à ce moyen. À cet égard, elle renvoie à l’arrêt de la CJUE du 13 mai 2014. Celui-ci affirme que les outils de recherche permettent de remplir la condition de la redivulgation. En effet, ceux-ci permettent la mise en une d’articles qui, sinon, seraient invisibles.

L’archivage en ligne implique donc une nouvelle divulgation. Il peut, à ce titre, donner lieu à l’application du droit à l’oubli judiciaire.

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