18/01/19

Interruption de la prescription de l’action civile en cas de recours infructueux devant le Conseil d’Etat

Pour la Cour constitutionnelle, un recours devant le Conseil d’Etat interrompt la prescription de l’action en réparation introduite devant les juridictions civiles, même s’il n’aboutit pas à l’annulation de la décision litigieuse.

1. Contexte
 
Le 25 juillet 2008, le législateur a complété l’article 2244, § 1erdu Code civil afin de prévoir qu’un recours en annulation d’un acte administratif devant le Conseil d’Etat avait le même effet interruptif de prescription qu’une citation en justice, à l’égard de l’action en réparation du dommage causé par l’acte administratif annulé.

C’est précisément ce qui s’est passé dans le cas d’espèce : les requérants avaient introduit un recours en annulation devant le Conseil d’Etat et, bien plus tard, une action en réparation devant le Tribunal de première instance. La particularité de l’espèce tenait néanmoins au fait que le Conseil d’Etat avait finalement rejeté le recours en annulation des requérants.

Plus de 5 ans s’étant écoulés depuis la survenance du dommage, le Tribunal déclara l’action prescrite par application de l’article 100 de la loi sur la comptabilité de l’État, coordonnée le 17 juillet 1991. Les requérants interjetèrent appel et invoquèrent l’effet interruptif du recours en annulation qu’ils avaient introduit.

La difficulté est que l’article 2244, § 1er, alinéa 3 du Code civil parle d’un effet interruptif « à l’égard de l’action en réparation du dommage causé par l’acte administratif annulé ». Aussi, la Cour d’appel estimait ne pas pouvoir appliquer la disposition précitée lorsque, comme en l’espèce, le recours devant le Conseil d’Etat n’avait pas abouti à l’annulation de l’acte litigieux.

2. La décision de la Cour constitutionnelle

La Cour d’appel de Bruxelles posa cependant à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante : « L’article 2244, § 1er, alinéa 3, du Code civil viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution dans l’interprétation selon laquelle il confère un effet interruptif de prescription au recours en annulation devant le Conseil d’Etat qui aboutit à un arrêt d’annulation et ne confère pas ce même effet au recours en annulation qui n’aboutit pas à un arrêt d’annulation ? »

Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle relève que les causes du rejet d’un recours en annulation peuvent être multiples (e.a. défaut d’intérêt,…) et que le justiciable ne peut pas savoir à l’avance si son recours aboutira. L’égalité des justiciables impose dès lors d’admettre l’effet interruptif du recours dans tous les cas. A défaut, la pratique qui consiste à introduire l’action en réparation à titre conservatoire devant les juridictions civiles persistera, ce qui va à l’encontre de la volonté du législateur.

Le Gouvernement avait tenté de justifier la solution retenue à l’article 2244, § 1er, alinéa 3 du Code civil par le fait que l’article 2247 du Code civil prévoit que, devant les juridictions civiles, l’effet interruptif de la citation est regardée comme non avenue lorsque le demandeur se désiste de sa demande ou si celle-ci est finalement rejetée. Sur ce point, la Cour constitutionnelle répond que la situation de ces justiciables n’est pas comparable. En effet, lorsque le justiciable introduit une procédure devant le juge civil, celui-ci est amené à statuer sur l’ensemble de l’affaire dans une seule et même procédure.

3. Que retenir ?

Le recours en annulation introduit devant le Conseil d’Etat conserve son caractère interruptif de prescription à l’égard de l’action en réparation des conséquences dommageables de l’acte attaqué introduite devant les juridictions judiciaires, même s’il n’aboutit pas à un arrêt d’annulation.

On peut dès lors attendre, sans crainte de se voir opposer la prescription, que le Conseil d’Etat se prononce sur le recours avant d’introduire une éventuelle action en réparation devant les juridictions civiles. Inutile par conséquent d’encombrer le rôle des juridictions civiles avec des actions en réparation introduites à titre conservatoire.

Notons que l’introduction, le 1erjuillet 2014, de la possibilité pour le Conseil d’Etat d’octroyer une indemnité réparatrice avait déjà contribué à réduire l’intérêt de l’introduction de telles actions devant les juridictions civiles.
 

Source : C.C., 6 décembre 2018, arrêt 175/2018, www.const-court.be

dotted_texture