12/02/18

Le certificat A1 peut (uniquement) être écarté en cas de fraude

Comme attendu, la cour de Justice a jugé le 6 février 2018 que le juge national peut écarter l’application d’un formulaire A1 en cas de fraude (affaire Altun e.a.). Dans une autre affaire, l’avocat général a, à nouveau, confirmé la force contraignante de principe du formulaire A1 en dehors du cas de fraude (affaire Alpenrind).

La force contraignante du certificat A1 tombe en cas de fraude (arrêt Altun e.a., C-359/16)… 

Dans son arrêt du 6 février 2018, la Cour de Justice suit la conclusion de l’avocat général (e-zine du 13 novembre 2017) et décide que le juge national de l’Etat membre d’accueil (ici la Belgique) peut faire abstraction d’un certificat A1 lorsque ce certificat est obtenu ou invoqué de manière frauduleuse. Le juge belge ne peut pas faire cela comme ça : 

  • Les instances de sécurité sociale belges doivent premièrement demander aux instances de sécurité sociale bulgares de réexaminer ou de retirer les certificats A1, sur la base d’éléments concrets qui indiquent la fraude.
  • La Bulgarie doit réexaminer, à la lumière de ces éléments, si lesdits certificats ont été correctement délivrés. Si tel n’est pas le cas, la Bulgarie retire les certificats A1.
  • Si la Bulgarie ne réagit pas dans un délai raisonnable, alors les instances de sécurité sociale belges peuvent demander à un juge belge d’écarter les certificats A1.
  • Le droit à un procès équitable doit être garanti : ceux qui sont accusés de fraude doivent disposer de la possibilité de se défendre avant que le juge national décide d’écarter ces certificats.
  • La Cour de Justice décide que cette manière de travailler a été suivie dans l’affaire Altun, de sorte que le juge belge pouvait faire abstraction des certificats A1.

La Cour confirme également que pour qu’il y ait une fraude, un élément objectif et un élément subjectif est nécessaire :

  • L’élément objectif consiste dans le fait que les conditions requises aux fins de l’obtention et de l’invocation d’un certificat A1 ne sont pas remplies.
  • L’élément subjectif concerne l’intention de contourner ou d’éluder les conditions de délivrance dudit certificat, en vue d’obtenir l’avantage qui y est attaché. 

La fraude peut aussi bien découler d’une action volontaire (telle que la présentation erronée de la situation réelle du travailleur détaché ou de l’entreprise détachant ce travailleur) que d’une omission volontaire (telle que la dissimulation d’une information pertinente dans l’intention d’éluder les conditions d’application d’un détachement valable).

L’arrêt Altun constitue indubitablement un moyen important dans la lutte contre la fraude au détachement, mais ne porte pas atteinte à la force contraignante forte d’un certificat A1. Cela ressort encore une fois des conclusions de l’avocat général dans l’affaire Alpenrind du 31 janvier 2018 (C-527/16). 

…mais cette force contraignante demeure intacte pour le reste (conclusions de l’avocat général dans l’affaire Alpenrind, C-527/16)

Le contexte de l’affaire Alpenrind peut être résumé comme suit :

  • Alpenrind est une société autrichienne active dans le secteur du commerce du bétail et de la viande qui exploite un abattoir à Salzbourg.
  • Elle a fait appel pour des travaux de découpe de viande et d’emballage à partir de 2007 jusqu’en 2012 inclus à la société Hongroise Martin-Meat, qui détache pour ce faire des travailleurs à Alpenrind en Autriche. Du 1erfévrier 2012 au 31 janvier 2014 inclus, Alpenrind a fait appel à la société hongroise Martimpex-Meat, qui a également détaché des travailleurs à Alpenrind en Autriche. Depuis le 1er février 2014, la découpe de viande est à nouveau réalisée par des travailleurs détachés de Martin-Meat.
  • Les autorités de sécurité sociales hongroises ont délivré des certificats A1 aux travailleurs détachés de Martimpex-Meat, attestant l’application du régime hongrois de sécurité sociale pendant leur détachement. Ce qui est important ici, c’est que les certificats avaient en partie un effet rétroactif et avaient été délivrés après que l’Autriche avait déjà établi que les travailleurs Martimpex-Meat étaient obligatoirement assurés en Autriche sur la base de la législation de sécurité sociale Autrichienne.
  • L’Autriche a contesté la validité des certificats A1, ce qui a mené l’affaire devant la Commission Administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale. Cette commission doit, lors de contestations sur la validité des certificats A1, essayer de trouver une solution acceptable pour les deux parties. La commission juge que les certificats A1 doivent être retirés car la Hongrie avait décidé à tort que la législation de sécurité sociale hongroise était d’application pour les travailleurs détachés.

Dans ce contexte, un certain nombre de questions préjudicielles ont été posées à la Cour de Justice. Il ressort des conclusions de l’avocat général que le caractère contraignant du certificat A1 (en dehors des cas de fraudes donc) demeure intact. L’avocat général a décidé comme suit :

  • Le certificat A1 dans lequel il est confirmé qu’un travailleur est assujetti au système de sécurité sociale d’un Etat membre déterminé (ici la Hongrie), s’impose aux juridictions d’un autre État membre (ici l’Autriche) aussi longtemps qu’il n’est pas effectivement retiré ou déclaré invalide.
  • Le certificat A1 s’impose également dans la situation dans laquelle la Commission Administrative a rendu une décision sur le retrait d’un certificat A1, mais l’institution émettrice n’a pas procédé au retrait.
  • Le certificat A1 dans lequel il est confirmé qu’un travailleur est assujetti au système de sécurité sociale d’un Etat membre déterminé (ici la Hongrie), s’impose également si le certificat A1 a été délivré après qu’il ait été constaté que le travailleur est assujetti au système de sécurité sociale de l’Etat membre d’accueil (ici l’Autriche) et même si le certificat A1 a un effet rétroactif.

L’avocat général s’est aussi prononcé sur la condition pour un détachement valable, à savoir qu’un travailleur ne peut pas être envoyé en remplacement d’une autre personne détachée. La question s’est posée de savoir si cette condition vise aussi la situation d’un remplacement via le détachement par un autre employeur. Dans l’affaire Alpenrind, il y avait en effet eu des détachements par Martin-Meat et après par Matimpex-Meat.

L’avocat général a, à ce sujet, indiqué que la condition de non-remplacement vise uniquement à éviter la situation où le même employeur procède à des rotations de son personnel détaché en vue de contourner la condition relative à la durée du détachement. Cela ne concerne donc pas des détachements successifs effectués par des employeurs différents. L’avocat général a cependant fait une mise en garde importante : s’il y a des liens personnels et/ou organisationnels entre les employeurs concernés, il y a lieu d’examiner si les détachements visent de cette manière à contourner la condition de non-remplacement. Dans ce cas, il serait en effet question de fraude ou d’abus et il ne peut être question d’un détachement valide. Comme confirmé dans l’affaire Altun e.a., le certificat A1 peut dès lors être écarté.

Les conclusions de l’avocat général ne sont pas contraignantes pour la Cour de Justice, mais dans la plupart des cas, la Cour de Justice suit les conclusions. To be continued. 

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