10/12/15

Droit de grève et liberté de travail : une proposition de loi déposée au parlement

Plusieurs députés du MR ont déposé, ce 20 novembre 2015, une proposition de loi visant à protéger la « liberté de travailler ». Une première en Belgique.

Cette proposition fait bien entendu directement suite aux récents mouvements de grève, qui ont connu certains débordements, tels des blocages de la voie publique.

Le texte de la proposition est très court et ne comporte que quatre articles, qui touchent non pas au droit de grève en tant que tel, et à ses limites, mais bien à la liberté de travailler.

-L’article 2 de la proposition entend, de manière générale, garantir la liberté de travailler : « La liberté de travailler, la liberté d’accéder sans entrave à son lieu de travail et le droit de poursuivre ses activités économiques sont garantis à chacun ».

-L’article 3 définit comme suit la liberté de travailler : « La liberté de travailler, la liberté d’accéder sans entrave à son lieu de travail et le droit à la poursuite de ses activités impliquent pour chaque travailleur le droit de pouvoir accéder librement à son lieu de travail, d’y circuler et d’y accomplir ses activités ».

On vise donc ici non seulement la liberté d’accomplir son travail, mais aussi celle de se rendre sur son lieu de travail. Il s’agit incontestablement d’une réponse aux blocages de la voie publique que l’on a connus récemment à l’occasion de mouvements de grève. Est également protégée la liberté de « poursuivre son activité économique », qui semble, elle, davantage concerner les indépendants, les professions libérales et les entreprises, non les travailleurs salariés en tant que tels.

-Enfin, l’article 4 interdit toute atteinte « illégitime » portée à la liberté de travailler : « Toute atteinte illégitime portée volontairement à l’exercice de ces libertés est interdite ».

La proposition déposée ne porte donc pas sur le « droit de grève », à proprement parler. Celui-ci n’est toujours pas défini ni circonscrit explicitement en droit belge. Le texte vise uniquement à garantir la « liberté de travail » en interdisant toute « atteinte illégitime » à celle-ci.

Toutefois, l’atteinte « illégitime » n’est pas définie par la proposition. Que recouvre donc ce terme ?

Le blocage d’une autoroute constitue incontestablement une « atteinte illégitime », puisqu’il est interdit par le Code de la route (délit d’entrave méchante à la circulation). Mais dans ce cas, nul n’est besoin d’une nouvelle loi : le Code de la route suffit amplement à mettre fin aux barrages si les autorités le souhaitent.

Qu’en est-il en revanche du blocage d’une entreprise par un piquet : constitue-t-il une « atteinte illégitime » au droit de travailler ? Rien n’est moins sûr. En effet, pour le Comité européen des droits sociaux et pour une partie de la jurisprudence belge, le piquet bloquant (mais non violent) peut faire partie de l’exercice légitime du droit de grève… dès lors qu’un tel piquet n’est pas spécifiquement interdit par la législation. Le serpent se mange la queue.

Dans le préambule de la proposition de loi, ses auteurs écrivent : « Grâce à ce texte, les cours et tribunaux pourront trancher les litiges qui leur sont soumis en s’appuyant sur une définition de la liberté de travailler et d’accéder à son lieu de travail et ceci sans empiéter sur les autres droits, comme le droit de grève ».

C’est une fort belle déclaration d’intention, mais nous pensons que ce texte « n’aidera » en rien les cours et tribunaux à trancher les litiges à l’avenir. En l’absence de contours clairs du droit de grève et du droit de travailler, la balle restera entièrement dans le camp des juridictions, qui seront seules à apprécier, au cas par cas, le caractère légitime ou non des blocages.

Avec toute l’insécurité juridique qui s’ensuit : c’est précisément la situation que dénonçait le Comité européen des droits sociaux, dans sa décision du 16 septembre 2011, et à laquelle la présente proposition de loi n’apporte, toujours pas, de réponse.

Enfin, nous semble-t-il, la proposition pourrait avoir des effets inattendus, notamment en rendant les "lock-outs" illégaux. Pour rappel, ceux-ci sont l'inverse de la grève, à savoir une décision de l'employeur d'arrêter momentanément les activités de son entreprise. Tel qu'actuellement rédigé, le texte de la proposition pourrait rendre ces mouvements illicites, puisqu'ils portent également atteinte au droit du travailleur de travailler. Un "dégât collatéral" que les auteurs du texte n'avaient sans doute pas soupçonné...

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