23/10/15

Une nouvelle décision dans le débat sur les limites au droit de grève

Un arrêt du 20 mai 2015 rendu par la Cour d’appel de Mons vient alimenter le débat sur ce qu'est un « exercice normal » du droit de grève.

Il semble utile de rappeler avant toute chose que la mise en place de piquets de grève, dans le cadre d’une action collective, ne fait l'objet d'aucune réglementation spécifique en droit belge. La décision commentée ici, qui décide qu'un piquet non annoncé n'excède pas les limites de l’exercice normal du droit de grève, ne fait pas l’unanimité.

Les faits qui ont été soumis à la Cour d’appel sont les suivants.

Suite au licenciement brutal d’un travailleur protégé, un conflit collectif éclate subitement au sein de l’entreprise. Sans préavis, les travailleurs grévistes bloquent l’accès aux locaux par l’installation de piquets.

Pour mettre fin à ces « voies de fait », l’employeur saisit le Président du Tribunal de Première instance par le biais d’une requête unilatérale. Par son ordonnance, le magistrat casse le piquet et interdit, sous peine d’astreinte, tout acte qui aurait pour conséquence de bloquer l’accès à l’entreprise.

Deux travailleurs introduisent un recours en tierce opposition devant le Tribunal de Première instance. Le Tribunal déclare leur action recevable mais non fondée et donne raison à l’employeur.

La cause est portée en appel. La Cour donne cette fois raison aux travailleurs et réforme la décision prise en première instance. A cette occasion, la Cour d’appel de Mons prend position dans le débat relatif à la qualification des « voies de fait » et aux limites que la jurisprudence tente de poser au droit de grève depuis quelques années.

1.

La Cour rappelle tout d’abord que le droit de grève n’est pas absolu. Les travailleurs ne peuvent, par l’action collective, porter atteinte à un droit subjectif, qu’il soit propre à l’entreprise ou à tout particulier. Par conséquent, la compétence du Président du Tribunal de Première instance est pleinement justifiée en vue de protéger l’exercice par une entreprise ou des particuliers de leurs droits subjectifs. Dans ce cadre, l’intervention du magistrat ne constitue pas une atteinte qui serait portée à l’exercice normal du droit de grève en tant que tel.

Bien qu’il ne soit pas nécessairement le juge « naturel » pour connaître des conflits entre employeurs et travailleurs, le Président du Tribunal de Première instance a la possibilité d’intervenir et de prononcer des injonctions à l’encontre des atteintes portées à des droits subjectifs (droit à la propriété, libre circulation, liberté de commerce et d’industrie, droit au travail des membres du personnel non-grévistes).

2.

A propos de l’intérêt à agir, la Cour affirme ensuite qu’il importe peu que le conflit collectif ne soit plus actuel ou que l’ordonnance vise l’ensemble des travailleurs, sans distinction, puisque les parties en cause ont pu justifier de leur intérêt à agir à l’époque des faits.

3.

La Cour reconnaît enfin que les travailleurs grévistes n’avaient pas eu d’autres choix que de recourir à l’action collective et aux piquets, en réaction au non-respect par l’employeur de la procédure relative au licenciement d’un travailleur protégé.

Cette circonstance peut, selon la Cour d’appel de Mons, justifier de l’atteinte temporaire à certaines libertés fondamentales, telles que celles liées au travail, à la propriété, au commerce ou à l’industrie.

Quand l’équilibre qui doit présider dans les relations entre employeurs et travailleurs est rompu, les piquets de grève ne peuvent, toujours selon la Cour, être assimilés à des « voies de fait ».

En résumé :

La Cour d’appel de Mons se rallie à une jurisprudence qui défend l’idée selon laquelle les « voies de fait » doivent s’apprécier en fonction du comportement de l’employeur. Le recours par les travailleurs à certaines méthodes ou certains comportements (comme le blocage des accès à l’entreprise) pourrait se justifier, dès lors qu’ils seraient eux-mêmes victimes d’un abus de droit.

La position de la Cour, qui estime ici que des piquets n’excèdent pas l'exercice normal du droit de grève, est toutefois loin de faire l’unanimité au sein de la jurisprudence. D’autres juridictions ont en effet considéré que le simple fait de bloquer l’accès aux locaux d’une entreprise doit bel et bien être qualifié de « voie de fait » et ne constitue pas un « exercice normal » du droit de grève.

Comme toujours, la situation factuelle devra donc toujours être soigneusement analysée, au cas par cas.

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