17/02/23

Accord UPC | Aperçu général

Le 19 février 2013, vingt-cinq Etats membres de l’Union européenne («l’Union») signaient une convention établissant la «Juridiction unifiée du brevet» («JUB» ; «Unified Patent Court» ou «UPC») (ci-après «l’Accord UPC»), venant compléter le règlement 1257/2012 créant une protection unitaire par le brevet européen et le règlement 1260/2012 réglant le régime des traductions pour ce type de brevet européen. En 2014, un règlement (542/2014) s’est ajouté pour régler la compétence internationale de cette nouvelle juridiction.

Les quatre documents forment un ensemble complexe qui sera ici présenté très succinctement. Des notes ultérieures seront consacrées à des questions particulières.

La position de toutes les entreprises, titulaires ou non de brevets, et dont les activités les exposent à être poursuivies en contrefaçon, doit retenir l’attention.

Bref rappel de la situation actuelle

A l’heure actuelle, le demandeur de protection d’une invention par un brevet dans l’Union européenne a le choix de demander un ou plusieurs brevets nationaux (pays par pays ; le plus souvent sans examen préalable de la brevetabilité) ou un brevet européen pour un ou plusieurs pays (après examen de la brevetabilité par l’Office européen des brevets, ci-après «OEB») dans lesquels ce brevet produit alors les mêmes effets qu’un brevet national. Les deux voies peuvent parfois se cumuler.

Un inconvénient du brevet européen, regretté depuis longtemps, est le coût des traductions à déposer dans les différents pays pour qu’il y prenne effet, ainsi que le coût cumulé des taxes annuelles pour le maintien de la protection dans les pays concernés.

Concernant les brevets nationaux et les brevets européens, on a aussi reproché qu’il faille recourir à des procédures judiciaires distinctes dans les divers pays où le breveté entend faire respecter son monopole par celui qu’il considère comme contrefacteur.

La réforme tend, en substance, à remédier à ces inconvénients.

Le brevet européen à effet unitaire

Après diverses tentatives de solutions et pour résumer ici de longs débats et les évolutions des projets, il a été convenu entre vingt-cinq Etats membres (et non tous les Etats membres de l’Union) de recourir à la procédure dite de coopération renforcée1, limitée donc à ces Etats, conformément aux traités constitutifs de l’Union européenne.

Il en est résulté un «package» composé de trois règlements européens et d’une convention internationale dénommée en bref «l’Accord UPC».

L’ensemble du système est prévu pour entrer en vigueur le 1er juin 2023. Il ne sera toutefois applicable, en un premier temps, que dans dix-sept Etats membres de l’Union européenne2.

Le règlement 1257/2012 institue la possibilité pour le titulaire d’un brevet européen délivré d’attacher à celui-ci un «effet unitaire», et cela par une déclaration à faire dans le mois de la délivrance de ce brevet4. Le brevet européen à effet unitaire est souvent appelé, par simple facilité de langage, «brevet unitaire».

Cet effet unitaire signifiera, d’une part, un caractère unitaire (le brevet européen ne pourra être limité, transféré, annulé ou s’éteindre que pour l’ensemble des Etats concernés en même temps) et, d’autre part, une protection uniforme (même monopole, mêmes exceptions dans l’ensemble de ces Etats).

En outre, le brevet à effet unitaire sera soumis à des taxes annuelles moins élevées que la somme des taxes annuelles à payer dans tous les Etats concernés (dix-sept actuellement). Cet avantage est toutefois discuté compte tenu du Brexit, de la moindre importance économique de certains pays inclus dans le territoire UPC, du caractère «tout ou rien» sur le plan territorial et de la durée effective moyenne des brevets.

L’effet unitaire se produira seulement dans les Etats qui auront ratifié l’Accord UPC, lesquels Etats ne seront donc pas nécessairement tous ceux qui étaient convenus de participer à la coopération renforcée.

Pour ce brevet européen à effet unitaire, le règlement 1260/2012 prévoit un régime plus léger, et donc moins coûteux, en ce qui concerne les traductions5.

Les brevets nationaux subsistent et pourront toujours être demandés.

Quant aux brevets européens tels que connus actuellement (les brevets européens «ordinaires»), ils resteront possibles puisque l’effet unitaire sera une option pour le titulaire.

Toutefois, à l’avenir et en vertu de l’Accord UPC, les effets des brevets européens ordinaires ne seront plus les mêmes en ce qui concerne tant une annulation possible que la contrefaçon.

D’une part, en vertu de l’Accord UPC6, la protection uniforme prévue pour les brevets européens à effet unitaire s’appliquera également aux brevets européens ordinaires. D’autre part, l’étendue géographique de l’annulation sera la même pour ces deux types de brevets européens (tous les pays couverts par l’Accord UPC). Dès lors, et contrairement à ce qui a souvent été annoncé, le système ne se limite pas à ajouter un brevet d’un troisième type aux brevets européens ordinaires et aux brevets nationaux. A terme, il modifiera sensiblement le régime des brevets européens ordinaires.

Par ailleurs, les législations nationales en matière de brevets, bien qu’elles soient assez similaires, n’ont pas fait l’objet d’une harmonisation par le droit de l’Union pour les aligner sur ce qui est prévu dans le «paquet brevet unitaire».

Il en résultera un système très complexe sur le plan territorial, législatif et temporel.

L’accord upc

Il comprend différents aspects qu’on peut résumer en deux axes7.

D’une part, cet accord crée une «Juridiction unifiée du brevet» («JUB» ou «UPC», cf. supra) qui aura compétence exclusive pour le règlement de la plupart des litiges concernant non seulement les brevets européens à effet unitaire mais aussi les brevets européens ordinaires (tels que nous les connaissons actuellement et tels qu’il restera possible d’en obtenir encore à l’avenir). Tous les brevets européens sont et seront donc concernés.

Toutefois, pendant une période transitoire d’au moins sept ans et en ce qui concerne seulement les brevets européens ordinaires8, une action en contrefaçon ou en nullité pourra être formée auprès d’un tribunal national outre qu’elle pourra l’être devant l’UPC. Mais, pendant cette même période, le breveté pourra9 «déroger» à la compétence de l’UPC, entendons par là qu’il pourra demander de mettre son brevet européen ordinaire en dehors («opt-out») de cette compétence (article 83 de l’Accord UPC) et donc de n’être soumis qu’aux juridictions nationales (et au droit national) au sujet de ce brevet. Mis à part ce «opt-out» qui devra être demandé et qui sera limité à la durée de vie des brevets européens ainsi « opted-out », tous les brevets européens seront soumis au système UPC. Nous examinerons dans une note complémentaire les raisons à considérer pour recourir ou non au «opt-out».

La juridiction UPC comprendra un tribunal de première instance et une cour d’appel. Le tribunal comprendra une division centrale établie à Paris (mais avec une section à Munich et une autre probablement à Milan), ainsi que des divisions locales (une à quatre par pays) et une division régionale. Chaque division comprendra une ou plusieurs chambres, composées de juges de nationalités différentes ; des juges «techniciens» sont également prévus. La cour d’appel établie à Luxembourg, comprendra des chambres composées de trois juges juristes et de deux juges «techniciens».

Sommairement résumé, le régime linguistique sera le suivant : la division locale utilise la ou les langues de son pays (ou éventuellement en sus, si l’Etat concerné le prévoit, l’anglais, l’allemand ou le français ; ce sera le cas en Belgique) ; les parties peuvent convenir d’utiliser la langue de la procédure de délivrance du brevet par l’OEB ; la division centrale utilise la langue de délivrance par l’OEB du brevet en litige ; la cour d’appel utilise la même langue qu’en première instance (ou éventuellement la langue de délivrance du brevet).

Dans trois notes complémentaires, nous exposons brièvement les règles de compétence matérielle et de compétence interne et internationale de la juridiction.

Les règles de procédure sont étendues et complexes. L’Accord UPC lui-même contient diverses règles de compétence et de procédure, indiquant déjà largement les avantages et les inconvénients du système. Nous examinerons dans une note complémentaire certains aspects pratiques de la procédure, y compris les frais et remboursements à prévoir.

Indiquons déjà que lorsque, devant une division locale ou régionale, une action en nullité du brevet sera formée en réponse à une action en contrefaçon, diverses possibilités se présenteront, parmi lesquelles celle d’une dissociation des deux actions («bifurcation»).

On notera aussi que les décisions rendues par la juridiction UPC auront effet dans tout le territoire des Etats participants à l’Accord UPC en ce qui concerne aussi bien les brevets européens ordinaires (sauf «opt-out» durant la période transitoire)10 que les brevets européens à effet unitaire11. En d’autres termes, toute décision produira ses effets dans tous les Etats UPC qu’il s’agisse ainsi (notamment) de la nullité du brevet ou des condamnations pour contrefaçon (y compris les mesures d’exécution telles que les astreintes).

D’autre part, l’Accord UPC contient diverses règles importantes touchant au fond du droit («droit matériel») : en substance, elles définissent la contrefaçon directe, la contrefaçon indirecte et les exceptions («limitations»).

Ce droit matériel ainsi défini sera applicable à tous les brevets soumis à l’Accord UPC (brevets européens à effet unitaire et brevets européens ordinaires «non-opted-out») et le droit national sera donc écarté dans cette mesure12.

Les choix du breveté

A long terme13, pour les entreprises demandant ou possédant des brevets, la question sera de choisir entre:

  • le brevet national, d’une part, et
  • un brevet européen (qu’il soit « ordinaire » ou « à effet unitaire ») soumis pour tous les pays UPC à la juridiction UPC et aux règles de fond de l’Accord UPC, d’autre part.

La seconde option présente certes l’inconvénient d’exposer le brevet aux risques d’une annulation pour tout le territoire UPC, mais divers avantages s’y attachent pour poursuivre les contrefacteurs avec efficacité et souplesse devant une juridiction spécialisée. Toutefois, l’aspect des coûts de la procédure sera à considérer également, y compris les risques de devoir dédommager la partie gagnante de ses frais de défense.

S’agissant d’adopter l’effet unitaire pour un brevet européen, c’est-à-dire de demander ou non cet effet lors de la délivrance du brevet européen (plutôt que de suivre la voie du brevet européen ordinaire ou celle du brevet national), le choix repose essentiellement sur le coût total des taxes annuelles, certes plus réduit mais à relativiser.

En un premier temps (période transitoire de sept ans, qui pourra être prolongée jusqu’à quatorze ans), la question sera de savoir si les brevets européens déjà obtenus et à obtenir ne devraient pas faire l’objet d’une déclaration de «opt-out» afin de les faire échapper à la juridiction de l’UPC puisque celle-ci devra, si la demande en nullité d’un brevet européen est fondée, annuler ce brevet pour tout le territoire des Etats concernés (dix-sept aujourd’hui).

La position de l’entreprise exposée aux risques de la contrefaçon

Pour toutes les entreprises (ayant ou non des brevets), le risque, toujours présent, d’être poursuivies en contrefaçon de brevets présentera désormais des aspects plus importants (tout le territoire UPC, procédure très rapide) et plus incertains (forum shopping par le titulaire du brevet, emploi des langues, «bifurcation», dépenses liées à la procédure) si leur adversaire choisit le brevet européen (avec ou sans effet unitaire) plutôt qu’un brevet national et ainsi les possibilités offertes par l’Accord UPC.

Les risques seront d’autant plus présents que l’entreprise concernée entend mettre sur le marché des innovations qui, par nature même, sont davantage exposées à des poursuites en contrefaçon.

Ces risques pourront faire l’objet de mesures de précaution au plan structurel et au plan opérationnel.

En particulier, plus que jamais, la vérification des possibilités d’exploitation d’une innovation («Freedom to operate searches») devra être précoce, étendue territorialement et détaillée selon le type de brevets à considérer.


  1. Décision du Conseil 2011/167/UE du 10 mars 2011 (J.O. n° L76 du 22 mars 2011, p. 53).
  2. Autriche, Allemagne, Belgique, Bulgarie, Danemark, Estonie, Finlande, France, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, Slovénie, Suède.
  3. Pour tous les pays participants et avec les mêmes revendications.
  4. Art. 3(1) et 9(1)(g) du règlement 1257/2012.
  5. Après une période transitoire (douze ans au maximum), aucune traduction ne sera plus requise sauf en cas de litige, et à la demande du prétendu contrefacteur ou de la juridiction. Pendant la période transitoire, une version intégrale en anglais devra être établie et si telle est déjà la langue de délivrance, une version intégrale dans une autre langue. Ce régime s’applique dans les pays participants.
  6. Sous réserve du “opt-out” expliqué ci-après.
  7. Pour simplifier cette présentation, nous ne traitons ici en détail ni des demandes de brevet européen ni des certificats complémentaires de protection (CCP).
  8. Et les CCP pour des produits protégés par des brevets européens. La période transitoire ne concerne pas les brevets européens à effet unitaire.
  9. Par une déclaration au greffe de l’UPC. Ce choix n’appartiendra qu’au breveté et non à l’entreprise, défenderesse ou susceptible de l’être, à une action en contrefaçon.
  10. Art. 34 de l’Accord UPC.
  11. Art. 3(2), 5(1), 5(3), 18(2)(al.2) du règlement 1257/2012.
  12. Par exemple, une entreprise accusée de contrefaçon en raison de certaines activités de recherche ne pourra pas se prévaloir d’une exception peut-être plus large dans sa législation nationale applicable. Ainsi en sera-t-il par exemple en Belgique où, à l’heure actuelle, l’exception est plus large que dans d’autres pays. On observera donc plus généralement que, y compris pour les brevets européens ordinaires, les Etats ne disposeront plus de la liberté, dont ils disposent aujourd’hui, de définir eux-mêmes pour leurs territoires respectifs le contenu du monopole légal, et en particulier des exceptions.
  13. Abstraction faite ici du “opt-out” temporaire tel que décrit plus haut pour les brevets européens “ordinaires” pendant la période transitoire.


Fernand de Visscher, 
Emmanuel Cornu
Eric De Gryse 

Team – Propriété Intellectuelle | upc@simontbraun.eu

Cet article ne constitue pas un avis ou un conseil juridique. Veuillez-vous adresser au conseil juridique de votre choix avant d’agir sur la base des informations contenues dans cet article.

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