30/09/21

Révision de Solvabilité II: la Commission a parlé. Un premier aperçu.

Le 22 septembre 2021, la Commission européenne a publié un ensemble global de propositions et de documents liés relatifs à la révision de la directive Solvabilité II [1] .

La Commission européenne a notamment adopté deux propositions de directive, l'une concernant la révision du cadre existant de Solvabilité II [2], l'autre harmonisant les procédures de redressement et de résolution à la suite de (probables) défaillances d'entreprises d'assurance ou de réassurance [3]. 

La Commission n'a pas formulé de proposition pour l'harmonisation des régimes nationaux de garantie d'assurance. Cette décision pourrait surprendre certains observateurs, dans la mesure où l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles ("AEAPP") avait recommandé une telle harmonisation dans son précédent avis sur la révision de Solvabilité II [4]. La Commission explique cette décision en se référant aux "incertitudes économiques créées par la pandémie COVID-19, ainsi qu'à la nécessité de se concentrer sur la reprise économique" [5] et réévaluera cette décision de nature politique à l'avenir. 

DES PROPOSITIONS ATTENDUES DEPUIS LONGTEMPS

La révision de Solvabilité II était attendue depuis longtemps. En effet, la directive elle-même prévoit que la Commission européenne devrait revoir au moins quatre aspects de la directive en 2020 (ce délai ayant été étendu jusqu'en 2021 en raison de la COVID-19) :

  • Les mesures de garanties à longue échéance et des mesures concernant le « risque sur actions » [6],
  • Les méthodes, hypothèses et paramètres standard à utiliser pour le calcul de la formule standard du Capital de Solvabilité Requis ("SCR") [7],
  • Les réglementations des États membres et les pratiques des autorités de contrôle adoptées e concernant le calcul du Minimum de Capital Requis ("MCR") [8] et
  • La surveillance du groupe et gestion du capital au sein d'un groupe d'entreprises d'assurance ou de réassurance [9].

En outre, la Commission a adressé une demande d'avis technique à l'AEAPP le 11 février 2019, que cette dernière a remis le 17 décembre 2020 [10]. 

L'avis technique (et sa demande), tout comme les propositions actuelles de la Commission européenne, ne portent pas seulement sur les quatre domaines énumérés ci-dessus. Au contraire, la Commission européenne a revu la directive Solvabilité II de manière globale, en se basant sur l'expérience pratique des 5 premières années d'application de la directive. En outre, la révision envisage d'aligner la directive sur les objectifs politiques actuels de l'Union européenne, c'est à dire le financement de la reprise économique post COVID-19, l'Union des marchés de capitaux et le Green Deal européen. 

Selon la Commission européenne, ces propositions permettraient un allègement du capital d'un montant consolidé qui pourrait aller jusqu'à 90 milliards d'euros à court terme et, compte tenu de la mise en œuvre progressive d'exigences de capital plus strictes pour certains (ré)assureurs, de 30 milliards d'euros à long terme.

"L'ÉVOLUTION PLUTÔT QUE LA RÉVOLUTION"

L'AEAPP présente les révisions proposées comme une évolution plutôt qu'une révolution. En effet, le cadre réglementaire global existant est en cours d'affinement, et non de refonte. Les propositions ne contiennent toutefois pas moins de 224 pages de révisions et seront encore complétées par voie de révision du règlement délégué Solvabilité II [11] et d'actes d'exécution. 

Il est donc conseillé aux entreprises d'assurance et de réassurance d'analyser soigneusement l'impact de la révision sur leurs exigences en matière de capital, leur système de gouvernance, leurs rapports et leurs activités quotidiennes. De même, il est conseillé aux groupes de sociétés d'assurance et aux sociétés holding d'analyser avec attention l'impact qu'auront les révisions proposées sur leur organisation, ainsi que de déterminer les changements qui seront nécessaires suite à ces révisions.

Nous résumons ci-dessous les éléments les plus pertinents de la révision de la directive. Compte tenu de la nature globale et détaillée des propositions de la Commission, ce résumé n'est toutefois pas exhaustif.

(i)    Proportionnalité

Afin de répondre aux préoccupations des entreprises de petite taille sur la complexité et la lourdeur des exigences réglementaires, la Commission a augmenté les seuils à appliquer par les États membres pour l'exemption des entreprises de petite taille de l'application de Solvabilité II. 

En outre, elle propose d'étendre le champ d'application du principe de proportionnalité en permettant aux entreprises dites "à faible profil de risque" de bénéficier des exemptions applicables aux entreprises de petite taille. L'article 29bis de la proposition de directive définit de manière détaillée les "entreprises à faible profil de risque". La définition proposée opère une distinction entre les assureurs vie et non-vie et prend notamment en compte le fait que l'entreprise ait des activités transfrontalières significatives (>5%), les provisions techniques (vie) ou les primes émises (non-vie), les investissements dans des investissements non traditionnels et les primes de réassurance perçues par l'entreprise. Toutefois, la définition exclut de son champ d'application les entreprises utilisant un modèle interne pour le calcul de leur SCR et les entreprises mères d'un groupe d'assurance (sauf si le groupe est qualifié de "groupe à faible profil de risque").

(ii)    Qualité de la supervision

Les propositions renforcent les pouvoirs de surveillance des autorités nationales compétentes ("ANC") en améliorant la coopération entre les autorités (par exemple, le partage d'informations prudentielles, l'évaluation conjointe des demandes d'agrément) et en attribuant des pouvoirs supplémentaires aux autorités en ce qui concerne la surveillance des exigences d'honorabilité et de compétence des membres de l'organe d'administration, de gestion ou de contrôle ("OAGC"). 

(iii)    Reporting

La Commission propose d'examiner avec une attention accrue le principe de proportionnalité applicable aux obligations d'information, plus particulièrement en ce qui concerne la catégorie nouvellement introduite des "entreprises à faible profil de risque".

En outre, les propositions formulées par la Commission ont un impact sur les principes et la fréquence du rapport de surveillance régulier ("RSR") et la structure du rapport sur la solvabilité et les conditions financières (en anglais « Solvency and Financial Condition Report», ci-après SFCR"), qui sera divisé en une partie adressée aux assurés et une partie adressée aux autres parties prenantes.

Le bilan prudentiel, le bilan du groupe et/ou le SFCR unique seront désormais soumis à une obligation d'audit.

(iv)    Mesures de garantie à long terme

La directive [12] Omnibus II a introduit des mesures de garanties à longue échéance (en anglais "Long-term guarantees" ou "LTG") dans Solvabilité II pour atténuer l'impact des fluctuations à court terme du marché sur les positions de solvabilité des (ré)assureurs. L'ensemble actuel de révisions introduit diverses modifications techniques à ces mesures de garantie à long terme. 

Avec ces changements, la Commission européenne entend libérer des capitaux dans l'économie et encourager les entreprises d'assurance et de réassurance à fournir des capitaux à long terme aux entreprises. Elle poursuit cet objectif en prévoyant des allègements de capital pour les investissements en actions à long terme et en réduisant les incitations à un comportement procyclique.

Les changements proposés ont un impact, entre autres, sur les critères d'éligibilité de la classe d'actifs des actions à long terme (avec un traitement préférentiel du capital).

En outre, les propositions modifient les règles applicables à l'extrapolation de la structure à terme des taux d'intérêt sans risque, à la correction pour volatilité (les fluctuations à court terme du marché auront moins d'impact sur la position de solvabilité des assureurs), à la correction symétrique du risque sur actions, au sous-module du risque sur actions basé sur la durée, et aux mesures transitoires sur les taux d'intérêt sans risque et sur les dispositions techniques.

Des clarifications supplémentaires seront apportées par des nouveaux actes délégués et d'exécution ou par modification aux actes déjà existants. Bien que la Commission ait clarifié ses intentions à cet égard dans sa communication au Parlement européen et au Conseil [13], elle n'a pas encore publié le texte officiel de ces mesures de niveau 2.

(v)    Outils macro-prudentiels

La Commission européenne propose d'intégrer des considérations et des analyses macroéconomiques dans l'évaluation interne des risques et de la solvabilité ("ORSA") et d'appliquer le principe de la personne prudente aux investissements.

En outre, les propositions de la Commission introduisent des exigences supplémentaires applicables à la gestion et la planification des liquidités.

Enfin, la Commission propose d'attribuer des pouvoirs supplémentaires aux ANC en cas de circonstances exceptionnelles, par exemple en leur octroyant la possibilité d'imposer un gel temporaire des options de rachat des contrats d'assurance-vie ou pour suspendre ou restreindre les distributions de bénéfices.

(vi)    Green Deal européen

La Commission introduit une nouvelle exigence d'analyse des scénarios de changement climatique, en imposant l'identification de toute exposition significative au risque de changement climatique et, le cas échéant, en imposant une évaluation de l'impact des scénarios de changement climatique à long terme sur l'activité de l'entreprise. La Commission a annoncé qu'elle pourrait étendre cette exigence à d'autres risques environnementaux à l'avenir.

En outre, la Commission propose de mandater l'AEAPP pour qu'elle rende, d'ici 2023, un rapport sur la nécessité éventuelle d'un traitement prudentiel spécifique des expositions liées à des actifs ou à des activités associés de manière substantielle à des objectifs environnementaux et/ou sociaux et pour que l'AEAPP réalise des tests de résistance climatique dans le secteur de la (ré)assurance.

(vii)    Supervision de groupe

La Commission propose des modifications complètes du cadre réglementaire applicables aux groupes d'assurance et les sociétés holding.

Les modifications portent notamment sur la définition des groupes d'assurance et des sociétés holding, sur le champ d'application de la surveillance des groupes, sur le champ d'application de la déclaration des transactions intragroupes, sur le renforcement des pouvoirs de surveillance des ANC, sur la méthode de calcul de la solvabilité des groupes, sur le système de gouvernance au niveau des groupes, etc.

(viii)    Surveillance des activités d'assurance transfrontalières

Les révisions proposées visent à améliorer l'échange d'informations entre les ANC. A cet effet, la Commission impose aux demandeurs d'agrément d'indiquer si une éventuelle demande antérieure dans un autre État membre a été rejetée ou retirée et en introduisant des accords supplémentaires de partage d'informations entre les ANC. 

En outre, la Commission propose de renforcer les pouvoirs de l'AEAPP, au cas où les ANC ne parviendraient pas à s'entendre dans des affaires transfrontalières complexes ou en cas de conflit entre les autorités compétentes d'origine et d'accueil.

(ix)    Redressement et résolution

La proposition la plus conséquente de la Commission concerne l'harmonisation des règles de redressement et de résolution des entreprises d'assurance et de réassurance. Les propositions s'inspirent du cadre réglementaire applicable dans d'autres domaines des services financiers, tout en reflétant, selon la Commission, les spécificités du secteur des assurances. Les règles de recouvrement et de résolution s'appliqueront dans le pire des scénarios, c'est-à-dire lorsque le cadre réglementaire de Solvabilité II n'a pas permis d'éviter une (probable) défaillance de l'entreprise.

La proposition relative au redressement et à la résolution est exhaustive. Si cette proposition est adoptée, chaque État membre instituera une  autorité nationale de résolution dotée d'outils et de pouvoirs de surveillance conséquents. Des exigences supplémentaires visant à prévenir et/ou à préparer une éventuelle défaillance seront applicables supplémentaires aux entreprises d'assurance et de réassurance. Ces règles prévoient, entre autres, que la plupart des entreprises d'assurance et de réassurance devront élaborer un plan de redressement préventif. En outre, toutes les entreprises d'assurance et de réassurance seront soumises à la surveillance de l'autorité de résolution en cas de (probable) défaillance. Cette dernière peut, dans ce cas, imposer, entre autres, un transfert obligatoire de portefeuille, retirer l'autorisation de conclure de nouveaux contrats d'assurance, prendre le contrôle de l'entreprise, écarter ou remplacer les membres de la direction ou imposer un bail-in.

Un (ré)assureur peut faire l'objet de mesures de résolution lorsqu'il enfreint le MCR ou qu'il est autrement défaillant ou susceptible de l'être, lorsque toutes les autres mesures d'intervention (par exemple, les mesures de redressement au titre de Solvabilité II) ont été épuisées ou lorsqu'une mesure de résolution est nécessaire à l'intérêt public (par exemple, lorsque la liquidation de l'entreprise dans le cadre d'une procédure d'insolvabilité normale risquerait d'entraîner une instabilité financière prolongée ou un résultat plus défavorable pour les assurés).

PROCHAINES ÉTAPES

La Commission européenne a envoyé les propositions de révision au Parlement européen et au Conseil pour examen. Après négociation et adoption des textes finaux, les États membres devront transposer les directives finales en droit national et appliquer les mesures, et ce au plus tard 18 mois après l'entrée en vigueur du texte législatif final.

En outre, la Commission a annoncé que les propositions actuelles seraient complétées par une révision du règlement délégué Solvabilité II et par des actes d'exécution. Bien qu'elle n'ait encore publié sa proposition de modification du règlement, la Commission a annoncé qu'elle entamerait des discussions avec les parties prenantes, parallèlement au processus législatif initié en vue de la modification de Solvabilité II.

L'AEAPP pourrait également publier des directives réglementaires supplémentaires (par exemple sous la forme de lignes directrices), comme le suggère son avis sur la révision de Solvabilité II.

Enfin, nous prévoyons une révision de la directive (UE) 2016/97 du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016 sur la distribution d'assurances ("IDD") en 2022. Cette révision pourrait déboucher sur des propositions susceptibles de modifier encore le cadre actuel de la réglementation des assurances de manière significative.

[1] Directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009  sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice. Version consolidée disponible sur Eur-Lex.

[2] Commission européenne, Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil
modifiant la directive 2009/138/CE en ce qui concerne la proportionnalité, la qualité de la surveillance, l'établissement de rapports, les mesures de garantie à long terme, les outils macroprudentiels, les risques de durabilité, la surveillance des groupes et la surveillance transfrontalière, disponible en anglais sur Eur-Lex.

[3] Commission européenne, Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre pour le redressement et la résolution des entreprises d'assurance et de réassurance et modifiant les directives 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2009/138/CE, (UE) 2017/1132 et les règlements (UE) n° 1094/2010 et (UE) n° 648/2012, disponible en anglais sur Eur-Lex.

[4] AEAPP, "Opinion on the 2020 review of Solvency II", 17 décembre 2020, disponible en anglais sur le site web de l'AEAPP, partie 13.

[5] Traduction libre de "economic uncertainties created by the COVID-19 pandemic, as well as the need to focus on economic recovery", Commission européenne, "Questions et réponses : Propositions de modifications de la directive Solvabilité II et d'une nouvelle directive sur le redressement et la résolution des problèmes d'assurance", 22 septembre 2022, disponible sur le site web de la Commission européenne ; Commission européenne, "Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur le réexamen du cadre prudentiel de l'UE pour les assureurs et les réassureurs dans le contexte de la relance post-pandémie de l'UE", 22 septembre 2021 ,disponible sur le site web de la Commission européenne, section 5.1.

[6] Article 77 septies, Solvabilité II.

[7] Article 111.3, Solvabilité II.

[8] Article 129, Solvabilité II.

[9] Article 242, Solvabilité II.

[10] AEAPP, "Opinion on the 2020 review of Solvency II", 17 décembre 2020, disponible en anglais sur le site web de l'AEAPP.

[11] Règlement délégué (UE) 2015/35 de la Commission du 10 octobre 2014 complétant la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice, JO L 12 du 17.1.2015, p. 1-797.

[12] Directive 2014/51/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 modifiant les directives 2003/71/CE et 2009/138/CE ainsi que les règlements (CE) n° 1060/2009, (UE) n° 1094/2010 et (UE) n° 1095/2010 en ce qui concerne les compétences de l'Autorité européenne de surveillance (Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles) et de l'Autorité européenne de surveillance (Autorité européenne des marchés financiers), JO L153, 22.05.2014, p.1.

[13] Commission européenne, "Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur le réexamen du cadre prudentiel de l'UE pour les assureurs et les réassureurs dans le contexte de la relance post-pandémie de l'UE", 22 septembre 2021 ,disponible sur Eur-Lex, partie 4.

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