07/04/11

Assurance vie Homicide volontaire: le fait intentionnel est une déchéance … et non une exclusion

Par un arrêt du 3 mars 2011 , la Cour de cassation se prononce, une fois encore, sur la dichotomie bien connue du droit des assurances et qui pousse à dis-tinguer l’exclusion de la déchéance, spécialement du point de vue de leurs effets et plus particulièrement à l’occasion d’un sinistre intentionnel.

On sait qu’une cause d’exclusion est opposable à tous les bénéficiaires d’un contrat tandis qu’une cau-se de déchéance ne permet de priver du bénéfice du contrat que celui des bénéficiaires qui s’est rendu coupable du manquement sanctionné par la clause de déchéance. Cette distinction a été au coeur d’un débat d’interprétation d’une police d’assurance-vie.

Les faits peuvent se résumer de la façon suivante. Monsieur D., époux de Madame C.D., souscrit deux polices d’assurance sur la vie auprès de la compagnie Zélia les 14 et 17 novembre 1986. Les polices pré-voient un capital assuré en cas de décès, mais égale-ment de vie. Il est également prévu qu’en cas de décès de D., le bénéfice des sommes assurées revien-dra « à son conjoint ». Enfin, par deux avenants éta-blis le jour de la passation de l’acte authentique d’un crédit hypothécaire, Monsieur D. cède le bénéfice du contrat d'assurance au profit de la compagnie Zélia qui accepte, jusqu'à concurrence des sommes qu'il pourrait lui devoir lors de l'exigibilité du capital assu-ré, le surplus éventuel revenant aux beneficiaries désignés dans le contrat.

L’épouse C.D. assassine ensuite son mari. Par juge-ment du 24 juin 1999, le tribunal correctionnel décla-re établie à charge de Madame C.D. la prévention d'homicide volontaire avec intention de donner la mort sur la personne de son époux. Les héritiers assi-gnent la compagnie en paiement – on peut le suppo-ser – du solde qui leur revient et celle-ci leur oppose une cause d’exclusion prévue à l’article 3, alinéa 4 des conditions générales. Suivant cette disposition : « N'est pas couvert, le décès de l'assuré survenu par le fait intentionnel ou à l'instigation du preneur d'as-surance ou d'un des bénéficiaires, lequel de ce fait serait exclu du bénéfice du contrat ».

S’agit-il d’une clause de déchéance, excluant unique-ment l’épouse, du bénéfice du contrat ou d’une clau-se d’exclusion, à portée générale ?

La cour d’appel de Liège, dans un arrêt du 24 novem-bre 2006, estime qu’il s’agit d’une cause de déchéan-ce, en appuyant son interprétation sur le terme « lequel » qui évoque les effets relatifs de cette sanc-tion tout en relevant que « (...) Il n'est pas contraire à l'ordre public ni aux bonnes moeurs de prévoir contractuellement que la survenance d'un homicide de la tête assurée n'entraîne que la déchéance du bénéfice de la police dans le chef de cet auteur, à l'exclusion des autres bénéficiaires étrangers à l'ho-micide. Aucune disposition impérative ne s'oppose à cette stipulation. C'est d'ailleurs la solution adoptée par la loi du 25 juin 1992 en son article 8 ».

La compagnie d’assurance Swiss Life, venant aux droits de Zélia, a formé un pourvoi sur la base de la violation de l’article 16 de la loi du 11 juin 1874 sur les assurances qui, selon elle, est d’ordre public, et devait entraîner la nullité de la clause telle qu’inter-prétée par la Cour d’appel de Liège.

La Cour de cassation rejette le pourvoi pour les mo-tifs suivants : « En interprétant l'article 3, alinéa 4, des conditions générales de la police d'assurance-vie en ce sens qu'il déchoit du bénéfice de l'assurance le seul bénéficiaire impliqué dans le fait intentionnel et en considérant que cette clause de déchéance est valable, l'arrêt ne viole pas l'article 16 de la loi du 11 juin 1874 sur les assurances, suivant lequel n'est pas à la charge de l'assureur la perte ou le dommage causé par le fait ou par la faute grave de l'assuré, et ce, quel que soit le moment auquel il s'est placé pour apprécier la notion d'ordre public ».

Même s’il faut être prudent à la lecture d’un arrêt de rejet, arrêt qui de surcroît contrôle l’interprétation d’une clause faite par le premier juge, cette jurispru-dence confirme la tendance à considérer le sinistre intentionnel comme une cause de déchéance, même sous l’empire de l’ancienne loi du 11 juin 1874 (où il était pourtant admis qu’il s’agissait d’une exclusion).

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