12/12/12

L’égalité entre actionnaires : un principe de responsabilité sociétale désormais réglementé en droit des sociétés

Le nouvel article 551bis du Code des sociétés prévoit désormais l’obligation pour une société anonyme de respecter le principe d’égalité de traitement entre ses actionnaires qui se trouvent dans une situation identique. Cette disposition soulève in certain nombre d’interrogations quant à son application pratique.

La loi du 20 décembre 2010 a introduit un nouvel article 551bis dans le Code des sociétés qui stipule que : « la société veille à assurer l'égalité de traitement de tous les actionnaires qui se trouvent dans une situation identique » et figure dans le chapitre du Code des sociétés réservé aux assemblées générales au sein des sociétés anonymes.

Le principe d’égalité de traitement des actionnaires, en plus d’être un principe général de bonne gouvernance d’entreprise, est désormais également une obligation légale faisant l’objet d’un texte législatif en vigueur depuis le 1er janvier 2012. Il ne s’agit donc plus d’une recommandation adressée à la société mais bien d’une obligation de celle-ci d’agir de manière égale vis-à-vis de ses actionnaires, pour autant que ceux-ci se trouvent dans une situation identique.

Le contenu du texte de ce nouvel article 551bis du Code des sociétés soulève deux questions majeures qui ne trouvent pas de réponse dans le corps de son texte.

La première question concerne la notion d’égalité de traitement entre actionnaires. Même si celle-ci est à l’origine de nombreux débats, elle continue de susciter l’interrogation quant à sa définition et sème le doute quant à son application réelle dans le fonctionnement de la société. Derrière cette notion se traduirait « une idée de justice, de démocratie, qui s’inspirerait du modèle de démocratie parlementaire » . Le but serait donc clairement de protéger, en faisant référence à une règle de droit fondamentale, les actionnaires minoritaires d’une société vis-à-vis des majoritaires dans le cadre du processus décisionnel. La recherche constante, faite par la loi, de l’équilibre entre la protection des minoritaires , la règle de la majorité et l’intérêt économique de la société par l’apport de capitaux importants tend à consacrer pleinement la réalité de l’égalité entre actionnaires.

La seconde question renvoie à la notion de situation identique. Peu d’encre a coulé sur cette expression et la simplicité de ses propos détonne avec la complexité de qualification qu’elle peut engendrer pour les actionnaires de la société. Le législateur se borne en effet à émettre un principe d’égalité subordonné à la réunion d’une condition sans en définir les contours. Ce vide législatif peut être lourd de conséquences puisqu’il appartiendra à la société, et donc à ses organes, d’estimer si oui ou non les actionnaires se trouvent dans une situation identique pour déterminer s’ils ont l’obligation de les traiter de manière égalitaire. On pourrait considérer qu’à défaut de catégorisation explicite entre actionnaires, expressément prévue par les statuts de la société et pouvant créer une distinction dans le régime de traitement applicable, la société doit considérer que les actionnaires bénéficient des mêmes droits et obligations et qu’il convient donc de les traiter de la même façon.

Le nouvel article 551bis du Code des sociétés consacre le principe de l’égalité de traitement des actionnaires se trouvant dans une situation identique, dans le cadre de l’organisation et du fonctionnement de l’assemblée générale. Son intégration dans le Code des sociétés est une première consécration d’un principe important de corporate gouvernance dans un texte législatif et un premier pas du législateur vis-à-vis des actionnaires mais il y en a encore beaucoup à faire. En effet, le législateur s’est limité à énoncer un principe général en reprenant des termes vagues et en évitant toute tentative de détermination de son champ d’application. Les travaux préparatoires ne comportent aucun développement sur cette question.

Le législateur énonce donc sa volonté d’accorder davantage d’importance à la régulation des relations entre la sociétés et ses interlocuteurs, dont ses actionnaires, en transposant un principe général en hard law, mais ne prend pas de risques quant à son interprétation. Par ailleurs, en instaurant ce principe dans le Code des sociétés, le législateur instaure un régime de sanctions puisqu’en cas de non-respect de cette obligation d’égalité par les dirigeants de la sociétés, ceux-ci encourent le risque de voir leur responsabilité engagée pour violation du Code des sociétés sur base de l’article 528. Il leur appartiendra alors de démontrer que les actionnaires ne se trouvaient pas dans une situation identique pour justifier leur décision de ne pas leur appliquer un traitement égal.

Par ailleurs, il est à noter que ce principe de corporate governance est placé dans un endroit bien spécifique du Code des sociétés, à savoir dans le titre consacré aux assemblées générales des sociétés anonymes. Il aurait sans doute été plus sage de la part du législateur d’énoncer ce principe dans le titre réservé aux dispositions applicables à toutes les sociétés afin d’éviter qu’en cas de non-respect de ce principe dans une société privée à responsabilité limitée, l’organe de gestion puisse éviter toute responsabilité grâce au placement malheureux de la disposition dans le Code des sociétés dans un titre réservé aux sociétés anonymes.

Cette nouvelle disposition constitue un nouveau pas vers le renforcement de l’importance d’un principe de responsabilité sociétale dans le cadre des relations entre la société et ses investisseurs/actionnaires et permet la mise en place d’un régime de mise en cause de la responsabilité en cas de non-respect de ce principe mais laisse malheureusement un grand vide juridique concernant l’application réelle de cette disposition au sein des sociétés et à son interprétation par les différents intervenants.

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