12/08/13

Annulation d’une vente immobilière pour réticence dolosive: applications récentes en cas d’infractions urbanistiques

Les Cours d’appel de Bruxelles et de Liège ont confirmé récemment, sur la même base légale, l’annulation de ventes immobilières au motif que le consentement des acquéreurs était vicié par la réticence dolosive de leurs vendeurs, qui leur ont caché des infractions urbanistiques essentielles.

Des vendeurs peu scrupuleux

Dans la première affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 1er février 2013 (R.G. : 2009/AR/2772), l’acquéreur s’était rendu compte, à l’occasion de travaux réalisés dans l’immeuble postérieurement à la vente, que le vendeur y avait exécuté des travaux de transformation sans se conformer aux règles de l’art, sans permis d’urbanisme et sans intervention d’architecte.

Dans la seconde affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 19 février 2013 (2011/RG/659), l’acquéreur avait été informé, postérieurement à la vente de l’immeuble, que son acquisition était illégale au motif que les permis de lotir et de bâtir octroyés, entre autres, sur le bien, n’avaient pas été respectés. L’acquéreur avait en effet acheté un appartement faisant partie d’un immeuble auquel les permis précités imposaient de maintenir un caractère unifamilial, avec l’interdiction corrélative de vendre séparément certains lots.

Dans un cas comme dans l’autre, les vendeurs avaient intentionnellement passé sous silence ces informations pourtant essentielles, de sorte que le consentement de leurs acquéreurs s’en était trouvé vicié, provoquant l’annulation de la vente, la restitution du prix et le paiement de dommages et intérêts complémentaires.

Dol-nullité

Selon l’article 1116 du Code civil, « le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté ».

Le dol-nullité visé par cet article est le dol principal, à savoir celui qui a été la cause déterminante du
consentement de la partie victime du dol, c'est-à-dire celui sans lequel la partie victime n'aurait pas conclu le contrat.

Il est à distinguer du dol incident qui est celui qui n'a eu pour effet que d'influencer les conditions d'un contrat qui aurait de toutes façons été conclu, même à défaut de la commission d'un tel dol, mais à d'autres conditions. Le dol incident n’ouvre le droit qu’à la postulation de dommages et intérêts.

Le dol comporte un élément matériel, soit les manœuvres provoquant ou entretenant une erreur dans le chef de l’autre partie et qui peuvent être tant des manœuvres positives que, cas le plus fréquent en pratique, des réticences dolosives, consistant à cacher intentionnellement à l’autre partie un élément dont on a connaissance, alors que cet élément peut exercer une influence déterminante sur le consentement.

Le dol comporte également un élément intentionnel, à savoir la volonté de tromper.

En l’espèce : Cour d’appel de Bruxelles

Dans la première affaire, la Cour d’appel de Bruxelles relève tout d’abord que l’acte authentique de vente dispose que « le vendeur déclare et certifie qu'il n'a pas effectué de transformation ou construction extérieure au bien présentement vendu, nécessitant un permis d'urbanisme, depuis son acquisition et qu'il n'a effectué aucune transformation récente pouvant entraîner une révision du Revenu Cadastral » et que « le vendeur déclare [...] que le bien ne recèle aucune infraction aux normes applicables en matière d'urbanisme et d'aménagement du territoire ».

La Cour en déduit souverainement que les vendeurs ont, au moment de la vente, caché un élément essentiel, soit la réalisation antérieure de travaux de transformation importants sans obtention d'un permis d'urbanisme, dont ils connaissaient parfaitement l'ampleur pour les avoir fait réaliser eux-mêmes, de sorte qu’ils ont, « sans conteste », retenu volontairement une information pouvant exercer une influence déterminante sur le consentement de l’acquéreur.

Pour appuyer le caractère intentionnel du dol, la Cour note également que les vendeurs « avaient d'autant plus conscience de leur obligation d'informer qu'ils ont déclaré, dans l'acte authentique de vente, ne pas avoir effectué de transformation au bien depuis son acquisition, nécessitant un permis d'urbanisme ».

La Cour en conclut donc que sans l'omission intentionnelle des vendeurs, l’acquéreur n'aurait pas acquis le bien litigieux, impropre à l'usage d'habitation rénovée auquel il le destinait, et confirme donc l’annulation de la vente et la restitution du prix, sans préjudice de dommages et intérêts additionnels.

En l’espèce : Cour d’appel de Liège

La Cour d’appel de Liège rappelle en premier lieu que l’obligation d’informer l’acquéreur d’un bien immobilier de l’existence de permis de lotir et/ou d’urbanisme portant sur ledit bien, constitue une obligation légale contenue à l’article 85 du CWATUPe applicable lors de la vente, en 2005.

Selon la Cour, « il en résulte que le vendeur est tenu de mettre à disposition de l'acquéreur un immeuble régulier d'un point de vue urbanistique. Il a l'obligation de déclarer explicitement et expressément à l'acquéreur la situation urbanistique du bien. A défaut, le vendeur peut engager sa responsabilité envers l'acquéreur » (souligné par nous).

Or, en l’espèce, l’acte de vente ne comportait nulle mention de l’existence des permis de lotir et de bâtir relatifs au bien, et aucun élément du dossier ne permettait de penser que l’acquéreur avait été informé avant ou lors de la vente de la situation urbanistique du bien.

La Cour observe donc que ce silence du vendeur quant à la situation urbanistique du bien, non seulement en qualité de vendeur normalement loyal, prudent et avisé, mais aussi comme vendeur d'un bien immobilier sur lequel pèse une obligation légale d'information, constitue une réticence dolosive. En effet, il existe dans le chef du vendeur « une rétention volontaire d'informations alors qu'elle était tenue d'une obligation de parler et de révéler à l'autre partie des éléments d'information qu'elle connaissait. Cette obligation de parler résulte de la loi et plus spécifiquement de l'article 85 du Cwatup ».

En outre, comme l’avait déjà relevé à juste titre le premier juge, cette réticence dolosive a été commise lors de la signature de l'acte sous seing privé de vente et s'est poursuivie jusqu'à et y compris l'acte authentique de vente.

La conclusion de la Cour est dès lors sans appel : sans cette réticence dolosive, l’acquéreur n'aurait pas acheté l'appartement puisque la vente est illégale et contraire aux prescriptions urbanistiques résultant du permis de lotir et du permis de bâtir. La Cour confirme donc l’annulation de la vente et la restitution du prix, sans préjudice de dommages et intérêts additionnels.

Conclusion

Beaucoup de vendeurs d’immeubles pensent encore souvent pouvoir se débarrasser facilement de leur bien vicié en cachant sciemment à l’acquéreur des éléments essentiels, de sorte qu’il est heureux de constater que la jurisprudence applique sans hésitation les règles relatives aux vices de consentement, en particulier le dol et la réticence dolosive.

Ces décisions rationnelles et légitimes ne permettent cependant pas d’éviter l’écueil principal lié aux actions en annulation/résolution de ventes immobilières, à savoir le délai d’obtention d’une décision définitive en appel, et le blocage corrélatif, pendant toute la durée de la procédure, de l’immeuble litigieux, invendable sinon en droit, au moins au fait. Dans les deux affaires annotées, 7 à 8 années se sont écoulées entre la signature du compromis de vente et la confirmation, en appel, de l’annulation de la vente…

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