05/04/24

Orientations pratiques sur l’évaluation de l’existence d’aides dans les mesures de financement du risque

Le 26 janvier 2024, la Commission a adopté des orientations pratiques à l’intention des Etats membres sur l’évaluation de l’existence d’aides pour les mesures visant à faciliter l’accès à un financement pour certaines entreprises.

Les mesures de financement des risques revêtent une importance particulière car elles permettent aux Etats de soutenir les start-ups innovantes, aux petites et moyennes entreprises (PME) ainsi que les petites entreprises de taille moyenne (mi-caps) au premiers stades de leur développement, afin de tirer le meilleur parti de leur potentiel de croissance et de mener les transitions écologique et numérique.

Ces aides peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur en vertu du Règlement Général d’exemption par catégorie (RGEC), qui exempte les aides aux PME et aux start-ups de l’obligation de notification préalable à la Commission sous certaines conditions, ou en vertu des lignes directrices en matière de financement des risques qui autorisent les aides aux PME et aux mid-caps innovantes ou de petite taille sous certaines conditions.

Ces mesures de financement des risques peuvent échapper à la qualification d’aide d’Etat et ne pas être soumise au contrôle de la Commission si l’Etat membre concerné se comporte comme un opérateur privé en économie de marché. Les orientations pratiques visent donc à expliciter plus en détails les conditions d’application du principe de l’opérateur privé à ce type d’investissement.

I. le test de l’opérateur privé en économie de marché

Dans sa communication sur la notion d’aide d’Etat adoptée en 2016, la Commission rappelle qu’un Etat membre peut procéder à des investissements de nature économique sans que ces interventions ne constituent des aides d’Etat, si l’Etat agit comme le ferait un opérateur privé et perçoit en contrepartie du risque qu’il assume une rémunération conforme aux conditions normales du marché. Ce concept a été développé par la Commission européenne dans les années 80 à l’égard des participations en capital et ensuite étendu à toutes sortes de transactions publiques : prêts, garanties, achat ou vente de biens ou de services, abandon de créances, etc.  Dans sa communication de 2016, la Commission formalise sa pratique décisionnelle et la jurisprudence européenne sur le test de l’opérateur économique en économie de marché.

Dans ses nouvelles orientations pratiques, la Commission aborde plus en détails l’application du test de l’opérateur privé en économie de marché aux mesures de financement des risques. A cette fin, les orientations fournissent un certain nombre d’éléments concrets aux Etats membres sur la manière dont ce test peut s’appliquer à de telles mesures.

Ii. les investisseurs privés de référence

Les investisseurs privés pouvant être pris en considération pour cette évaluation sont notamment les établissements de crédit investissant à leurs risques et périls et avec leurs propres ressources, les fondations et les fonds privés, les family offices et les business angels, les compagnies d’assurance, les fonds de pension, les institutions académiques ainsi que les personnes physiques.

Concernant les investissements en provenance d’investisseurs institutionnels tels que la Banque européenne d’investissement (BEI) et le Fonds européen d’investissement (FEI), même s’il ne sont pas des investisseurs privés en tant que tels, la Commission accepte de les prendre en considération comme référence pari passu pour le test de l’opérateur privé en économie de marché.

Iii. l’évaluation de l’existence d’une aide dans le cadre d’une opération pari passu avec des investisseurs publics et privés

En principe, pour qu’un investissement soit conforme au test de l’opérateur privé en économie de marché, la Commission considère qu’il doit être décidé et mis en œuvre simultanément par des investisseurs publics et privés. Ainsi, dans sa communication sur la notion d’aide d’Etat, la Commission explicite les conditions pour qu’un investissement soit considérée comme une opération pari passu, permettant d’exclure l’existence d’une aide dans la mesure où si l’investissement est suffisamment rentable pour un opérateur privé , il l’est présumé l’être également pour l’investisseur public.

Tout d’abord, les mesures de financement des risques peuvent être considérées comme pari passu uniquement si les termes et conditions de l’opération sont identiques pour les investisseurs publics et les investisseurs privés. Autrement dit, les investisseurs publics et privés doivent partager les mêmes risques et avantages et avoir le même niveau de subordination par rapport à la même classe de risque.

Ensuite, pour être apparentées à des opérations pari passu, les mesures de financement des risques  provenant d’investisseurs publics et d’investisseurs privés doivent être réalisées simultanément dans les entreprises cibles.

De plus, les mesures de financement des risques peuvent être assimilées à des opérations pari passu uniquement si la participation des opérateurs privés a une importance économique réelle. A cet égard, la Commission indique qu’un investissement privé représentant au moins 30% du volume total de l’investissement revêt une véritable importance économique. Ce seuil d’investissement privé s’apprécie au niveau de l’intervention des investisseurs publics et privés dans l’entreprise bénéficiaire final. Par ailleurs, les orientations pratiques ajoutent que les investissements avec des ressources publiques, tels que ceux de la BEI et/ou du FEI remplissent les conditions pari passu s’ils sont assortis d’une part au moins égale d’investisseurs privés réels.

Enfin, pour que les mesures de financement des risques puissent être considérées comme pari passu, la position initiale des investisseurs publics et des investisseurs privés doit être similaire en ce qui concerne l’investissement, en tenant compte, par exemple de leur exposition économique antérieure vis-à-vis de l’entreprise concernée, des synergies possibles, etc.

Iv. l’évaluation d’une aide dans le cadre d’une procédure de sélection

Dans ses orientations pratiques, la Commission souligne que la conformité de mesures de financement des risques aux conditions du marché peut également être établie lorsque les investisseurs privés, les intermédiaires financiers et/ou leurs gestionnaires sont choisis par le biais d’une procédure d’appel d’offres concurrentielle, transparente, non discriminatoire et inconditionnelle.

En outre, les orientations pratiques de la Commission rappellent qu’en principe, l’intermédiaire financier est considéré uniquement comme un véhicule de transfert du soutien public, ce qui permet d’exclure une aide d’Etat en faveur. Cependant, des mesures de transfert direct vers un intermédiaire financier peuvent constituer une aide si elles ne sont pas effectuées dans les conditions normal du marché.

Lorsque l'intermédiaire financier ou son gestionnaire sont des entités publiques qui n'ont pas été sélectionnées via une procédure répondant aux critères susmentionnés, les orientations pratiques de la Commission indiquent que leurs frais de gestion doivent être plafonnés,[Al1] [JT2]  leur rémunération doit refléter les conditions normales du marché et ils doivent être commercialement indépendants afin de pouvoir échapper à la qualification d’aides d’Etat.

Conclusion

La Commission européenne a adopté fin 2021  ses Lignes directrices relatives aux aides d’État visant à promouvoir les investissements en faveur du financement des risques. Entrées en vigueur le 1er Janvier 2022, elles ne détaillent pas l’application du principe de l’opérateur privé en économie de marché à ce type de financement particulier. Les Nouvelles orientations de la Commission sont donc les bienvenues pour aider les autorités publiques à établir l’existence ou l’absence d’une aide d’Etat dans leurs projets de financement des risque et à en tirer les éventuelles conséquences dans l’hypothèse où il est nécessaire d’assurer la conformité du financement public aux contraintes en aides d’Etat afin de garantir la sécurité juridique de ce financement.



Annabelle Lepièce

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