29/01/24

Editorial du bâtonnier Emmanuel Plasschaert

Mes chers confrères,

Il y a quelques jours, le ministre Van Tigchelt était interviewé par un journaliste du quotidien L’Echo.

Lorsqu’il fut question des lenteurs de la Justice et donc de l’arriéré judiciaire, le ministre rappela les investissements, notamment en termes de personnel, récemment consentis, pour poursuivre en ces termes :

« Mais cela ne résout pas le problème des délais. Et là, je dois bien le dire : si les avocats, dont je suis un grand défenseur, sont des acteurs cruciaux de l’Etat de droit, je constate que certains bloquent des dossiers et ne contribuent pas à une justice qui fonctionne bien ».

Et d’ajouter :

« La déontologie, ça compte. Je ne veux pas changer la loi car quelques avocats abusent de la procédure. Les bâtonniers doivent veiller à ce que la déontologie soit respectée ».

Ces propos ne peuvent que surprendre, tant ils témoignent d’une méconnaissance du fonctionnement de l’institution judiciaire, de l’autonomie du barreau et du rôle des avocats.

Est-il donc besoin de rappeler au ministre de la Justice, qui fut auparavant avocat général, que les règles de procédure sont de la compétence du législateur et non du barreau ? Les avocats, comme les magistrats, appliquent – sans pour autant se priver du droit de les critiquer – les lois qui sont votées par les autorités compétentes et, si les règles de procédure permettent de soulever tel ou tel moyen, il est normal et légitime qu’il en soit fait usage si cela est nécessaire ou utile à la défense du client.

En faire une question de déontologie est un non-sens, même si l’on peut se réjouir de lire qu’un ministre reconnaît le rôle crucial, dans un Etat de droit, de cet acteur de justice qu’est l’avocat.

S’il met ainsi, comme le relève le journaliste, « une pierre dans le jardin des avocats », serait-ce le signe qu’il aurait constaté une augmentation significative et substantielle des décisions de justice sanctionnant des abus procéduraux auxquels des avocats auraient délibérément pris part ?

Et surtout, est-ce le barreau qui est responsable de la vacance de tant de postes dans la fonction judiciaire, notamment de juges de paix à Bruxelles : cette situation a été récemment encore dénoncée – à juste titre – par les présidents des tribunaux de première instance francophone et néerlandophone de la capitale ?

Doit-on désormais ériger en manquement à la déontologie, en ce qu’il encombrerait les instances de recours, le fait de relever appel d’un jugement lorsqu’il s’agit du seul recours légalement possible s’il a été prononcé par défaut ?

Les avocats seraient-ils subitement devenus les responsables de l’absence de publication, ou de la publication tardive, des places vacantes dans la magistrature et le personnel administratif des différentes juridictions, ou de l’inadaptation des cadres au nombre de dossiers à traiter ?

Faut-il rappeler que ce gouvernement, dont un membre semble reprocher aux avocats de « bloquer les dossiers », est celui qui, depuis 2022, refuse d’exécuter plus de 9.000 décisions prononcées par les juridictions belges à l’occasion de la crise de l’asile, mais aussi de payer les astreintes auxquelles il a été condamné, au point que des saisies ont dû être récemment opérées dans divers cabinets ministériels et même une saisie-arrêt sur des garanties bancaires de l’Etat ?

Faut-il rappeler le nombre de décisions prononcées par les cours et tribunaux, qui retiennent la responsabilité de l’Etat dans l’arriéré judiciaire, ou tout récemment encore, dans une procédure menée par Avocats.be, le condamnent à publier l’ensemble des places vacantes dans la magistrature et les services administratifs des juridictions ?

Faut-il rappeler que les avocats ont déjà formulé et formuleront encore, des propositions concrètes pour combattre l’arriéré judiciaire et prennent leur part dans cette lutte, ne serait-ce qu’en assumant des charges de magistrats suppléants, en particulier dans les justices de paix de l’arrondissement ?

S’il ne faut pas se voiler la face et admettre que, parfois, le comportement de certains peut être discuté voire critiqué, ces quelques cas ne doivent pas cacher le travail considérable accompli par le barreau et les avocats pour assurer le bon fonctionnement de l’institution judiciaire, tant dans l’intérêt collectif que pour répondre aux besoins de leurs clients.

Surtout, il convient de ne pas perdre de vue l’essentiel : le pouvoir judiciaire souffre, depuis des années, d’un sous-financement tel que la bonne volonté, la compétence et la conscience professionnelle de ceux qui y participent, sont arrivées à leurs limites.

Et cela, c’est la responsabilité de l’Etat.

Puissent les candidats aux prochaines élections s’en souvenir lorsqu’ils auront été élus et prendre, enfin, les mesures garantissant un nécessaire refinancement.

Votre bien dévoué,

Emmanuel plasschaert,

bâtonnier

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