05/12/22

Nouvelle procédure de rupture du contrat de travail pour force majeure médicale en vigueur depuis le 28 novembre 2022 !

Dans notre récente Tetralert sur la fin de l’instrumentalisation du trajet de réintégration, nous vous expliquions, d’une part, les modifications apportées au trajet de réintégration, dorénavant appelé le « trajet de réintégration 2.0. », par un arrêté royal du 11 septembre 2022, publié le 20 septembre 2022.

Nous vous parlions, d’autre part, d’un projet de loi déposé à la Chambre le 14 septembre 2022, introduisant, quant à lui, via une modification de l’article 34 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail (ci-après « la LCT »), une nouvelle procédure spécifique de rupture du contrat de travail pour force majeure médicale. 

Ce projet de loi a été adopté en séance plénière de la Chambre le 27 octobre dernier et a été publié au Moniteur Belge le 18 novembre 2022. Le nouvel article 34 de la LCT est donc entré en vigueur 10 jours après sa publication, soit le 28 novembre dernier.

Pour rappel, jusqu’à aujourd’hui, le trajet de réintégration et la rupture du contrat de travail pour force majeure médicale étaient liés, puisqu’en vertu de l’ancien article 34 de la LCT, le contrat de travail d’un travailleur définitivement inapte ne pouvait être résilié pour force majeure médicale qu’après avoir parcouru un trajet de réintégration. En vertu du nouvel article 34 de la LCT, la rupture pour force majeure médicale ne pourra dorénavant s’envisager qu’après avoir parcouru la nouvelle procédure, distincte du trajet de réintégration.

En déconnectant ainsi le trajet de réintégration de la rupture du contrat de travail pour force majeure médicale, le gouvernement a résolument opté pour une approche positive, en encourageant l’atteinte de l’objectif principal du trajet de réintégration, à savoir la réintégration des travailleurs malades, et en mettant fin à l’instrumentalisation du trajet de réintégration, trop souvent initié avec l’objectif « caché » d’une rupture du contrat de travail pour force majeure médicale (pour rappel, sans préavis ni indemnité). 

=> TRAJET DE REINTEGRATION 2.0 => OBJECTIF = REINTEGRATION DU TRAVAILLEUR 

=> PROCEDURE DE RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL POUR FORCE MAJEURE MEDICALE => OBJECTIF = RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL POUR FORCE MAJEURE MEDICALE POUR CAUSE D’INAPTITUDE DEFINITIVE D’EFFECTUER LE TRAVAIL CONVENU

Nouvelle procédure de rupture du contrat de travail pour force majeure médicale

QUAND, PAR QUI ET COMMENT

Une rupture pour force majeure médicale ne peut désormais être initiée, par le travailleur ou par l’employeur, uniquement, qu’après une période de 9 mois d’incapacité de travail ininterrompue et pour autant qu’aucun trajet de réintégration ne soit en cours pour le travailleur concerné.

La période de 9 mois n’est pas considérée interrompue si le travailleur reprend le travail, mais retombe en incapacité de travail au cours des 14 jours suivant cette reprise. 

Lorsque cette condition de 9 mois est remplie, le travailleur ou l’employeur peut notifier, par un envoi recommandé, au conseiller en prévention-médecin du travail (ci-après « le CP-MT ») et à l’autre partie, une demande d’examen médical afin de déterminer s’il est définitivement impossible pour le travailleur d’effectuer le travail convenu.

Cet examen est mené selon la procédure spécifique de l’article 34 de la LCT, dont les modalités pratiques sont détaillées à l’article I.4-82/1, Livre Ier, Titre 4, du Code du bien-être au travail.  

Lorsque la demande émane de l’employeur, il doit être fait mention du droit du travailleur de demander au CP-MT d’examiner les modalités et conditions adaptées pour pouvoir exercer un travail adapté ou un autre travail chez l’employeur, ainsi que de son droit de se faire assister par un membre de la délégation syndicale au cours de la procédure. 

ÉTAPES DE LA NOUVELLE PROCÉDURE 

Le CP-MT invite le travailleur à un examen qui a lieu au plus tôt 10 jours calendrier après la notification de la demande d’examen. Si le travailleur n’accepte pas cette invitation par 3 fois durant une période de 3 mois, avec un intervalle d’au moins 14 jours entre chaque invitation, le CP-MT en informe l’employeur. 

Aucune conséquence sur la procédure ou sanction de la passivité du travailleur n’est toutefois prévue dans ce cas. S’il est clair qu’une telle passivité ne pourra entrainer le constat de la rupture du contrat de travail pour force majeure médicale, la possibilité de la considérer comme constitutive de motif grave pourra être examinée, comme auparavant, au cas par cas. 

Dans le cadre de cet examen de l’impossibilité définitive ou non d’effectuer le travail convenu, le CP-MT peut, avec l’accord du travailleur, se concerter avec son médecin traitant, le médecin qui a délivré le certificat médical ou encore le médecin conseil. Si nécessaire, il peut également examiner le lieu de travail. 

Durant l’examen, le travailleur indique, par écrit, s’il souhaite ou non que le CP-MT examine les conditions et modalités auxquelles un éventuel travail adapté ou un autre travail devraient répondre, sur la base de son état de santé du moment et de son potentiel.

Il appartient in fine au CP-MT de déterminer :

  • si le travailleur est ou non définitivement inapte à effectuer le travail convenu ; 
  • en cas d’inaptitude définitive et si le travailleur l’a demandé, les modalités et conditions auxquelles il pourrait effectuer un autre travail ou un travail adapté.

Le CP-MT communique sa décision par courrier recommandé à l’employeur et au travailleur - et au médecin conseil en cas de décision d’inaptitude définitive à effectuer le travail convenu - au plus tard 3 mois après la réception de la demande d’examen, en indiquant au travailleur la possibilité d’introduire un recours s’il s’agit d’une décision d’inaptitude définitive.

Le travailleur dispose d’un délai de 21 jours calendrier pour introduire un recours contre une décision d’inaptitude définitive, à compter du lendemain du jour de la réception de la décision, par courrier recommandé adressé au médecin inspecteur social compétent de la direction générale Contrôle du bien-être au travail, dont copie à l’employeur. 

Le médecin inspecteur social, le CP-MT et le médecin traitant ont alors 42 jours pour examiner le travailleur et prendre une décision, à la majorité de leurs voix. En l’absence du médecin traitant ou du CP-MT, ou en l’absence d’accord entre les médecins présents, le médecin inspecteur social prend lui-même la décision. 

Le recours donne lieu à la confirmation ou à l’invalidation du constat d’inaptitude définitive à effectuer le travail convenu. Cette voie de recours ne peut être utilisée qu’une seule fois au cours de la procédure.

Suivant le résultat de la procédure de recours, le CP-MT réitère un examen du travailleur.

En cas de décision d’inaptitude définitive à effectuer le travail convenu, le travailleur qui ne l’a pas demandé au cours de l’examen par le CP-MT, a une 2ème occasion pour notifier qu'il souhaite que les conditions et modalités d'un travail adapté ou d'un autre travail soient quand même examinées, au moyen d'un envoi recommandé motivé adressé à l'employeur et au CP-MT dans les 7 jours calendrier après la réception de la constatation d’inaptitude définitive.

Dans ce cas, le CP-MT dispose d’un nouveau délai de 30 jours calendrier pour notifier au travailleur et à l’employeur les conditions et modalités auxquelles un travail adapté ou un autre travail devraient répondre. 

TROIS SCÉNARIOS 

  1. Le CP-MT conclut que le travailleur n’est PAS définitivement inapte à effectuer le travail convenu

Si le CP-MT conclut, le cas échéant dans le cadre d’un recours introduit par le travailleur, que ce dernier n’est pas définitivement inapte à effectuer le travail convenu, la procédure prend fin sans suite.

Dans cette hypothèse, il n’est pas possible de constater la rupture du contrat de travail pour force majeure médicale, à défaut d’inaptitude définitive. 

Un trajet de réintégration 2.0 peut éventuellement être démarré à l’initiative de la partie la plus diligente. Alternativement, l’employeur ou le travailleur pourront réintroduire une nouvelle procédure de rupture du contrat de travail pour force majeure médicale, mais pas avant l’écoulement d’une nouvelle période d’au moins 9 mois d’incapacité de travail ininterrompue, à compter du jour suivant la réception de la décision du CP-MT ou, le cas échéant, du jour suivant la réception du résultat de la procédure de recours.

La procédure spécifique prévue à l’article 34 de la LCT n’annihile pas la possibilité pour l’employeur de mettre fin au contrat de travail moyennant le respect d’un délai de préavis ou le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, étant entendu que la décision de licenciement ne pourra pas reposer sur l’état de santé du travailleur, au risque que le licenciement soit qualifié de discriminatoire, et passible d’une indemnité de protection égale à 6 mois de rémunération.

2. Le CP-MT conclut à l’impossibilité définitive d’effectuer le travail convenu et n’analyse pas les conditions et modalités auxquelles un travail adapté ou un autre travail devraient répondre

Il se peut que le CP-MT constate l’inaptitude définitive à effectuer le travail convenu, ou que ce constat soit le résultat du recours introduit par le travailleur, et que ce dernier ne demande pas – initialement ou tardivement - d’examiner les conditions et modalités auxquelles un travail adapté ou un autre travail devraient répondre.

Dans ce cas, chaque partie, séparément ou de commun accord, peut constater la rupture du contrat de travail pour force majeure médicale, au plus tôt à partir du moment où la voie de recours du travailleur contre la décision d’inaptitude définitive est expirée ou épuisée.

3. Le CP-MT conclut à l’impossibilité définitive d’effectuer le travail convenu et décrit les conditions et modalités auxquelles un travail adapté ou un autre travail devraient répondre

Lorsque le CP-MT constate l’inaptitude définitive à effectuer le travail convenu (ou lorsque ce constat résulte d’un recours du travailleur), ce constat peut s’accompagner de la notification de conditions et modalités auxquelles un travail adapté ou un autre travail devraient répondre (que ce soit en vertu d’une demande du travailleur durant l’examen ou formulée en réaction à un constat d’inaptitude définitive à effectuer le travail convenu).

L’employeur doit alors analyser les possibilités concrètes d’un travail adapté ou d’un autre travail, le cas échéant en tenant compte du droit à un aménagement raisonnable pour les personnes handicapées, après l’expiration du délai de recours de 21 jours du travailleur ou après réception du résultat de la procédure de recours qui confirme l’inaptitude définitive. 

Il dispose d’un délai de maximum 6 mois à compter du lendemain du jour où il a reçu la (première) décision d’inaptitude définitive, pour communiquer au travailleur et au CP-MT :

  • le plan de réintégration dans un travail adapté ou un autre travail, et les explications y afférentes, ou ;
  • un rapport motivé établissant l’impossibilité technique ou objective de réintégrer le travailleur dans un travail adapté ou un autre travail.

Le travailleur dispose d’un délai de 14 jours calendrier, à compter du lendemain de la réception du plan de réintégration, pour accepter ou refuser le plan.

Dans ce scénario, le constat de la rupture du contrat de travail pour force majeure médicale n’est possible que (i) si l’employeur remet un rapport motivé établissant l’impossibilité technique ou objective de réintégrer le travailleur dans un travail adapté ou un autre travail, ou (ii) si le travailleur refuse le plan de réintégration proposé par l’employeur. 

Une difficulté pratique apparait cependant d’emblée lorsque le travailleur, ne l’ayant pas fait lors de l’examen initial, souhaite formuler une demande « tardive » d’examen de modalités d’un nouveau travail ou travail adapté, en réaction à une décision d’inaptitude définitive du CP-MT, tout en souhaitant introduire un recours contre cette décision. 

Les nouvelles dispositions, telles que libellées, ne prévoient en effet pas la possibilité de formuler une demande tardive d’examen des modalités et conditions d’un travail adapté ou autre travail, à la suite d’une décision d’inaptitude définitive qui résulterait d’un recours.  

Conformément aux textes législatifs, le travailleur qui souhaite faire un recours contre une décision d’inaptitude définitive, et se réserver, à titre subsidiaire, la possibilité que soient analysées les modalités d’un nouveau travail ou d’un travail adapté, doit faire cette dernière demande en même temps que le recours. Ceci donnera lieu à une situation alambiquée, voire étonnante dans le chef du CP-MT – probablement perdue de vue par le législateur – qui devra notifier des modalités de travail adapté ou d’un autre travail dans un délai d’environ 40 jours à la suite de son constat d’inaptitude définitive, alors qu’il (accompagné de ses confrères médecins) disposera d’un délai d’environ 60 jours pour confirmer ou invalider sa décision d’inaptitude définitive. 

Le législateur n’a très certainement pas souhaité exclure la possibilité pour le travailleur de formuler une demande tardive en cas de confirmation d’une décision d’inaptitude à l’issue d’un recours, mais le texte ne prévoit pas cette hypothèse. 

Une clarification formelle est d’ores et déjà la bienvenue. 

En résumé

Le nouvel article 34 de la LCT énumère désormais les hypothèses dans lesquelles un contrat de travail peut être rompu pour force majeure médicale.

Lorsqu’un travailleur est déclaré définitivement inapte à effectuer le travail convenu – pour autant que la voie de recours contre cette décision soit épuisée ou expirée – la rupture du contrat de travail pour force majeure médicale pourra être constatée à l’initiative de l’employeur ou du travailleur ou encore de commun accord, dans les trois hypothèses suivantes : 

  1. Lorsque le travailleur n’a pas demandé d’examiner les modalités et conditions relatives à un travail adapté ou à un autre travail ; 
  2. Lorsque le travailleur a indiqué qu’il souhaitait que ces modalités et conditions soient examinées, mais que l’employeur établit, via un rapport motivé, l’impossibilité de réintégrer le travailleur dans un travail adapté ou un autre travail ; 
  3. Lorsque le travailleur a indiqué qu’il souhaitait que ces modalités et conditions soient examinées, mais qu’il refuse le plan de réintégration proposé par l’employeur pour un travail adapté ou un autre travail.

Qu’en penser ?

Depuis l'entrée en vigueur du trajet de réintégration tel que nous le connaissions, il semble qu’une infime partie des trajets effectivement démarrés aient abouti à une réintégration effective du travailleur malade, la majorité des trajets ayant donné lieu à une rupture du contrat de travail pour force majeure médicale. 

L’approche positive du trajet de réintégration 2.0 vise à ce que davantage de trajets conduisent à une réintégration (efficace) des travailleurs.  

Pour ce qui concerne la rupture du contrat de travail pour force majeure médicale, l’entrée en vigueur du nouvel article 34 LCT – bien qu’il implique, en l’absence de clarification, de naviguer entre certains écueils pratiques qui apparaissent d’emblée - devrait limiter le recours à cette procédure aux situations qui donnent réellement lieu à penser que le travailleur est définitivement inapte à effectuer le travail convenu.

Ces objectifs sont positifs et louables. Ne reste qu’à espérer que les parties joueront le jeu et se serviront à bon escient de ces deux (nouveaux) outils distincts, poursuivant des finalités diamétralement opposées. 

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