14/05/09

Interview : De plus en plus d’avocats nomades...

Le Legal Interim management progresse rapidement et change le monde des services juridiques en Belgique. En effet, depuis 5 ans, la Belgique suit la tendance initiée aux Etats-Unis mais aussi plus près de chez nous, aux Pays-Bas où ce service est incontournable depuis plus de dix ans. Malgré cette évolution, le concept est encore inconnu de nombreux juristes. Nous avons interrogé Dieter Honoré, general manager de Legal Forces. Legal Forces est une référence dans le monde du legal staffing et propose tant des services de recrutement que du Legal interim management. .

Harold Grondel : Pourriez-vous définir le “legal interim management”?

Dieter Honoré : En très bref, il faut imaginer que chaque legal interim manager intervient pour un besoin temporaire dans une organisation. La notion de temporaire est cependant fort variable. Si certaines missions sont clôturées en 4 à 5 mois, d’autres sont étendues de façon répétée pour finir par dépasser une année.

HG : Y a-t-il des cas spécifiques pour faire appel à un legal interim manager?

DH : Un cas typique : le legal interim manager vient combler une vacance temporaire due à un congé de maternité, une maladie. Mais ce cas ne représente qu’une fraction des problématiques résolues par le service. On voit de plus en plus régulièrement des organisations faire appel à un legal interim manager en attente de l’engagement d’un juriste. Il peut aussi s’agir d’un renfort ponctuel en fonction d’un projet précis. Nous avons ainsi récemment placé un legal interim manager chez un client, qui avait comme mission de gérer une quantité énorme de litiges internationaux. Un autre client a accueilli un interim manager chargé de préparer la partie juridique d’une restructuration importante. Nous intervenons aussi fréquemment pour répondre à des problèmes de surcharge de travail temporaire. Le Legal interim manager donne alors un peu d’air au département juridique.

HG : Qui sont ces ‘legal interim managers’?

DH : Le profil typique bénéficie d’une importante expérience, acquise soit dans un Cabinet d’avocats, soit en entreprise. Une combinaison des deux est un atout très valorisable. On attend de lui un rendement rapide au sein de l’organisation. Il doit dès lors avoir une connaissance imparable des matières juridiques usuelles en entreprise : contrats commerciaux, droit des sociétés,... Enfin, une bonne connaissance des langues est indispensable. Une excellente pratique de l’anglais est souvent une obligation pour les missions.
Mais ce n’est qu’une généralité. Chez Legal Forces, nous avons aussi dans notre pool des juristes juniors ayant 3 années d’expérience et qui, au travers du legal interim management, font leur chemin vers une situation de juriste d’entreprise.

HG : Quelles entreprises ont recours à ce service?

DH : Toute organisation qui a besoin d’un soutien juridique structurel. Il s’agit parfois d’entreprises ayant un département juridique mais aussi d’entreprises qui engagent un legal interim manager pour mesurer si elles sont prêtes pour l’engagement d’un juriste d’entreprise de manière permanente. Il y a donc bien un aspect structurel à la solution « interim manager ». Ils remplissent une fonction pour un temps déterminé plus que pour traiter un dossier spécifique. Cependant, l’avocat joue encore un rôle crucial, comme par exemple pour les litiges. La grande différence entre l’avocat et le legal interim manager est que ce dernier ne travaille pas à la demande et travaille presque dans chaque cas dans les bureaux du client.

HG : Vous utilisez l’image d’avocats qui deviennent nomades. Que voulez-vous dire ?

DH : Il s’agit souvent d’avocats issus de cabinets nationaux ou internationaux qui font le pas vers le legal interim management. Les raisons de cette transition sont personnelles. Il s’agit notamment d’avocats qui se rendent compte qu’ils n’auront pas de place comme associés, d’avocats à la recherche d’une meilleure work/life balance ou d’avocats à la recherche d’un nouveau challenge mais ne voulant pas se fixer dans une entreprise. Ils ont donc un rôle de consultant qui travaille par mission.

HG : Ces juristes free lance choisissent donc de travailler pour une succession de projets?

DH : C’est exact. Les juristes suivent une tendance générale, qu’on retrouve par exemple dans le monde financier ou dans le monde des ressources humaines. Ces missions successives n’affectent pas l’implication dans les projets. Leur durée déterminée permet d’y consacrer beaucoup d’attention. En outre, le legal interim manager témoigne de loyauté et de fidélité envers son client, on peut presque parler de « serial monogamy ».

HG : Comment les legal interim managers trouvent-ils leurs missions ?

DH : Les legal interim managers exercent la plupart du temps en tant qu’indépendants. Certains disposent d’un réseau étendu et l’utilisent pour trouver leurs missions. De nombreux interim managers font appel à des cabinets comme Legal Forces qui reçoivent de nombreuses requêtes de missions de leurs clients.

HG : Qu’en est-il de la stabilité / sécurité de l’emploi ?

DH : Devenir legal interim manager c’est s’aventurer dans l’inconnu. Un interim manager travaille comme un véritable indépendant et, du coup, n’a au sens strict aucune garantie de travail. Ce désavantage est compensé par les conditions financières qui sont attractives comparativement à un emploi fixe. En outre, il apparaît que la demande en Belgique devient très importante et ce, même en ces temps d’incertitude économique.

HG : Vous dites qu’un legal interim manager est bien payé. Est-ce que vous pouvez nous donner une idée de la rémunération d’un legal interim manager ?

DH : (rires) Je m’attendais à cette question. La plupart des interim managers sont payés sur base d’une rémunération journalière. Cela veut dire que l’interim manager se met d’accord avec le client (quand il travaille en direct) ou avec notre bureau (quand ils facturent via Legal Forces) d’un tarif à la journée. A la fin du mois, il est payé en fonction des journées prestées. Les missions full time sont donc fort différentes des part time !
Il est difficile de donner des montants. La rémunération dépend fort de l’expérience nécessaire, des aptitudes managériales attendues, de la spécialisation, de la durée de la mission, … Globalement, on peut dire que la rémunération se situe entre 400 et 700 euros par jour.

HG : Est-ce que, en tant qu’indépendant, on fait facilement le chemin inverse vers une fonction de juriste d’entreprise ou d’avocat ?

DH : Cela va de soi. La plupart des legal interim managers sont satisfaits de la liberté que leur offre leur fonction. Cependant, on voit effectivement de temps à autre des interim managers qui choisissent un poste fixe. C’est souvent la conséquence d’un changement de situation privée. La plupart vont alors travailler de façon fixe pour un ex-client. En effet, une collaboration fructueuse entre un intérim manager et son client peut déboucher sur un contrat d’emploi.
On constate en fait que de nombreuses missions représentent une énorme valeur ajoutée pour le CV du juriste. Celui-ci peut présenter de nombreuses références et fait preuve de flexibilité et de capacité d’adaptation. Il n’est donc pas rare que le CV d’un interim manager finisse au sommet de la pile lors d’une procédure de sélection pour un poste fixe.

HG : Dans les circonstances économiques actuelles, de moins en moins de personnes sont engagées de façon permanente. Quelle en est l’influence sur le legal interim management ?

DH : Nous constatons effectivement que, à cause du climat économique, les cabinets d’avocats et les départements juridiques rechignent à engager. D’un autre côté, nous avons vu durant le premier quarter de 2009 une croissance dans les demandes en interim management. Cela confirme le fait que de nombreuses multinationales ne peuvent engager de façon fixe et trouvent une solution dans le legal interim management.
Nous ne pouvons pas prédire l’avenir mais nous avons de nombreuses indications qui confirment cette tendance et semblent témoigner du fait que les legal interim managers sont épargnés par les circonstances économiques. N’oublions pas qu’en cas de troubles économiques, une entreprise voit généralement croître ses besoins en matière juridique. Nous constatons que de nombreux interim managers travaillent sur de grosses restructurations à l’heure actuelle.

HG : Comment voyez-vous évoluer le legal interim management ?

DH : Regardons d’abord l’évolution sur ces cinq dernières années. En 2004, cette forme de consultance n’était que peu connue et le legal interim manager était une rareté dans le paysage juridique. En cinq ans, ce secteur a connu une énorme évolution. Selon nos estimations, il y a chaque jour plus de cent interim managers en mission en Belgique. Nous sommes donc convaincus que ce service n’en est qu’à ses débuts.

HG : Où réside selon vous le potentiel de croissance ?

DH : En premier lieu, dans les entreprises qui font déjà appel à ce service. On voit que leurs demandes augmentent. Ensuite, il y a de nombreux secteurs ou marchés où la valeur ajoutée du legal interim management serait énorme mais où le principe n’est pas encore suffisamment connu. Il s’agit par exemple de la fonction publique. Mais aussi de PME en croissance rapide pour qui un legal interim manager un jour par semaine est une solution idéale. Enfin, il y a les cabinets d’avocats. On constate que de plus en plus de cabinets anglo-saxons choisissent une structure « lean and mean ». Dans nos pays voisins, les cabinets d’avocats font appel à des legal interim managers pour des transactions spécifiques.

HG : Quelles sont vos prévisions ?

DH : Selon nos estimations, le nombre d’interim managers devrait avoir doublé en 2012 et nous espérons participer à cette évolution.

Propos recueillis par Harold Grondel

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