05/03/12

Blanchiment : modifications reprises dans le projet de Loi-programme

Le projet de loi-programme 52-2081 déposé à la Chambre le 24 février passé (Doc. parl., Chambre, sess. 2011-2012, n° 53-2081/001) contient, en ses articles 161 à 166, de nouvelles dispositions visant à modifier le volet préventif de la lutte contre le blanchiment d'argent, en d'autres termes la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme (ci-après « la Loi »).

Dans la présente brève, nous présenterons les nouveautés et l'éventuel impact de celles-ci en matière de compliance. Il est à noter que la section législation du Conseil d'Etat n'a émis aucune remarque concernant ces modifications.


1. Paiement en espèces

a. Modification de l'article 20 de la Loi - biens immobiliers

La législation actuelle prévoit que le prix de la vente d'un bien immobilier ne peut être acquitté qu'au moyen d'un versement bancaire ou d'un chèque, exception faite d'un montant n'excédant pas 10 % du prix de la vente, et pour autant que ledit montant ne soit pas supérieur à 15.000 euros.

L'article 161 du projet de Loi-programme vient réformer sensiblement le régime, puisqu'il prévoit une interdiction ferme de paiement en espèces au 1er janvier 2014. Jusqu'à ce terme, la limitation des paiements en espèces est ramenée à 5.000 euros au lieu de 15.000 euros initialement prévus.

Il est important de noter que pour l'application de la loi, le paiement avec un chèque n'équivaut pas un paiement en espèces : le chèque, lui, peut en effet parfaitement être tracé (p. 117 du projet).

b. Modification de l'article 21 de la Loi - biens mobiliers

La législation actuelle prévoit que le prix de la vente d'un ou de plusieurs biens ne peut être acquitté en espèces si son montant est de 15.000 euros ou plus. Cette interdiction s'applique indépendamment du fait que la vente soit effectuée en une seule opération ou sous la forme d'opérations fractionnées qui apparaissent liées (p. 117 du projet).

Les infractions à cette disposition sont punies d'une amende de 250 à 225.000 euros (art. 41 de la loi - à multiplier par 6, soit l'application des décimes additionnels), sans pour autant qu'elle excède le seuil de 10 % des sommes indûment réglées en espèces.

Selon le nouveau dispositif (art. 162 du projet), la limitation de 15.000 euros passe à 5.000 euros, et ce afin d'uniformiser les montants au regard des sommes « plafond » établies dans les autres pays de l'Union européenne.

En outre, la législation belge actuelle exclut de son champ d'application les prestations de services (contrairement à la plupart des pays européens). La modification prévue dans le projet de Loi-programme y remédie.

Enfin, tout comme en matière immobilière, la modification majeure interviendra au 1er janvier 2014, date à laquelle la limite susvisée sera ramenée à 3.000 euros (soit le seuil déjà établi en France). D'un point de vue compliance, il est conseillé d'appliquer d'ores et déjà ce seuil de 3.000 euros.

c. Le maintien involontaire d'un vide législatif ?

Le 24 septembre 2009, le tribunal correctionnel de Bruxelles (Corr. Bruxelles (49e ch.), 24 sept. 2009, Dr. Pen. Entr., 2010/2, p. 122), refusa à juste titre de condamner un prévenu - commerçant - qui avait fait l'achat d'un bien meuble - à un non commerçant - par le biais d'un paiement en espèces de plus de 15.000 euros : l'article 21 ne visant pas cette hypothèse expresse, nous avions évoqué la nécessaire modification de la disposition légale.

En effet, et contrairement à la France, seule l'hypothèse d'une transaction de 15.000 euros ou plus au bénéfice d'un commerçant est envisagée en droit belge. Nous nous étonnons que le législateur n'ait pas profité de la modification des seuils pour corriger cette imperfection et établir une réciprocité des obligations de vigilance.

(voir A. LECOCQ, M. FERNANDEZ-BERTIER, « Blanchiment : interdiction de recevoir des payements en espèce de 15.000 EUR ou plus », note sous Corr. Bruxelles, 24 septembre 2009, Droit Pénal de l'Entreprise, Larcier, 2010, n° 2, pp. 123-132 ; G. STESSENS, « De omzetting van de derde witwasrichtlijn in het Belgische recht: de wet van 18 januari 2010 », R.W. 2011-12 ; nr.13,26 novembre 2011, p.605)

2. Dénonciations à la CTIF

Suite à la Commission parlementaire en matière de Grande fraude fiscale, un accent particulier a été mis sur le renforcement nécessaire des organes et services compétents en matière de lutte contre la fraude, mais également sur le renforcement des échanges d'informations entre lesdites instances.

Dans ce cadre, l'article 165 du projet de Loi-programme prévoit que fonctionnaires des services administratifs de l'Etat, les curateurs ainsi que les administrateurs provisoires sont désormais « tenus » (contre la simple faculté, aujourd'hui), dans l'exercice de leurs missions ou de leur profession, d'informer sans délai - par écrit ou par voie orale - la Cellule de Traitement des Informations Financières (ci-après CTIF) lorsqu'ils constatent des faits qu'ils savent ou soupçonnent être liés au blanchiment de capitaux.

Notons que lorsque le curateur ou l'administrateur provisoire est un avocat, nous estimons que l'exception prévue à l'article 26 de la Loi ne s'applique pas. En effet, dans ce cadre, l'avocat exerce une « autre » profession.

Enfin, suite à la modification des seuils en matière de paiement en espèce pour les biens mobiliers (art. 21 de la Loi), les commerçants et les prestataires de services constatant un manquement à cette règle devront le signaler à la CTIF.

3. Collaboration entre CTIF et OCSC

Dans le cadre d'une lutte renforcée contre la criminalité économico-financière, on constate une évolution des politiques criminelles davantage orientées vers une sanction patrimoniale. L'objectif est de priver des agents infracteurs de leur principale motivation : la réalisation d'un profit.

Cette évolution d'un modèle de lutte contre la criminalité vers un modèle de contrôle de la criminalité, et donc d'une approche orientée sur l'auteur vers une approche orientée sur le butin (travaux parlementaires de la loi du 19 décembre 2002 étendant les possibilités de saisie et de confiscation, Doc. parl., Chambre, sess. 2001-2002, n° 50-1601/001, pp. 5-6), implique donc l'application systématique de peines de confiscation dans le cadre d'infractions économiques.

Néanmoins, pour que cette confiscation (peine) soit effective, il est essentiel de procéder au plus tôt aux saisies nécessaires (mesure de sûreté en l'attente du jugement répressif). Dans le cas contraire, le risque est de voir disparaître les sommes litigieuses en cours d'instance et de priver les juridictions d'une récupération effective des profits soumis à confiscation.

Le projet de loi du 24 février 2012 (art. 164) prévoit ainsi une « collaboration structurée » (p. 120 du projet) entre la Cellule de Traitement des informations financières et l'Organe central pour la saisie et la confiscation (ci-après OCSC). L'OCSC, qui agit en étroite collaboration avec les parquets et juges d'instruction, est chargé de la gestion des actifs saisis et de l'exécution des sanctions patrimoniales.

Cette collaboration entre CTIF et OCSC, salutable selon nous, implique que toute transaction suspecte dénoncée à la CTIF et à laquelle cette dernière aura fait opposition devra être communiquée « sans délai » à l'OCSC. Le but étant que l'Organe central pour la saisie et la confiscation en réfère au parquet dans le but de (suggérer de) procéder à une saisie pénale et se voir transmettre, le plus rapidement possible, les fonds litigieux.

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