05/12/18

La Région wallonne adopte de nouvelles règles en matière d’expropriation

Le Parlement wallon a adopté, le 21 novembre 2018, un décret relatif à la procédure d’expropriation, qui remplace l’ensemble des procédures ordinaire, d’urgence et d’extrême urgence en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique. Nous en traçons les grandes lignes.

Dans le cadre de la Sixième Réforme de l’Etat, les Régions sont devenues compétentes pour fixer la procédure applicable en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique.

Le 24 février 2017, la Région flamande a adopté un décret relatif à l'expropriation d'utilité publique, entré en vigueur le 1er janvier 2018. La Région wallonne lui a emboîté le pas et le Parlement a voté, le 21 novembre 2018, un décret relatif à la procédure d’expropriation.

Le décret entrera en vigueur à une date à déterminer par le Gouvernement et ne sera applicable qu’aux dossiers et demandes d’arrêtés d’expropriation déposés ou introduites après cette date. Les procédures judiciaires qui font suite à des dossiers ou demandes antérieurs à la date d’entrée en vigueur du décret demeurent également régies par les dispositions en vigueur lors du dépôt ou de l’introduction de ces dossiers ou demandes.

A.    Extension du champ d’application de l’expropriation

Jusqu’à présent, l’expropriation s’est toujours limitée à l’acquisition forcée de la propriété d’un immeuble. Or, il est parfois suffisant d’exproprier des droits de manière plus limitée ou seulement certaines parties d’un immeuble, par exemple lorsque l’ensemble du bien ou de la propriété n’est pas nécessaire à la réalisation du but d’utilité publique.

L’expropriation peut donc avoir pour objet le transfert d’un droit de propriété sur un bien immobilier. Toutefois, le décret prévoit également que l’expropriation peut viser la suppression d’un droit réel démembré, d’un droit indivis d’un droit réel ou d’un droit personnel sur le bien en vue de permettre à l’expropriant de réunir en ses mains l’ensemble des droits sur le bien immobilier exproprié.

En outre, l’expropriation peut être limitée à un volume en sous-sol, ce qui peut s’avérer utile notamment pour la pose de canalisations. L’arrêté d’expropriation peut également imposer des servitudes nécessaires à la réalisation du but d’utilité publique, en surplomb du sous-sol exproprié par exemple.

B.    Unicité de la procédure

Le décret organise une procédure unique, tant pour la phase administrative et que la phase judiciaire de l’expropriation. La phase administrative est ainsi destinée à remplacer toutes les procédures administratives déjà prévues par les législations particulières, tandis que la phase judiciaire vient remplacer les trois anciennes procédures – ordinaire, d’urgence et d’extrême urgence – datant respectivement de 1835, 1926 et 1962.

Il n’existe donc plus qu’une seule procédure ordinaire. Le législateur est toutefois parti du constat que les projets d’utilité publique doivent pouvoir être réalisés rapidement. La procédure mise en place s’inspire donc des mécanismes de la loi du 26 juillet 1962 relative à la procédure d’extrême urgence en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique. Par ailleurs, elle est assortie de délais de rigueur relativement brefs.

C.    Phase administrative

La compétence d’adopter un arrêté d’expropriation est désormais également dévolue aux communes.

Ainsi, le conseil communal de la commune sur le territoire de laquelle est situé le bien immobilier visé par l’expropriation adopte l’arrêté d’expropriation lorsque l’expropriant est la commune, le CPAS, une régie communale autonome ou une fabrique d’église. L’objectif est de permettre aux intérêts communaux de s’émanciper de la « tutelle » de la Région qui pourrait refuser une expropriation, et ainsi empêcher la réalisation d’un projet jugé d’intérêt local.

Dans tous les autres cas, le Gouvernement adopte l’arrêté d’expropriation. Le Gouvernement adopte également l’arrêté d’expropriation lorsque le projet d’utilité publique s’étend sur des biens immobiliers situés sur le territoire de plusieurs communes.

En cas de projets concurrents sur un même bien immobilier, le projet relevant de la compétence du Gouvernement aura la priorité.

Le conseil communal et le Gouvernement notifie leur décision à l’expropriant dans un délai de 130 jours, à dater de l’introduction par l’expropriant d’un dossier administratif dont le contenu est déterminé par le décret et sur la base des avis des autorités et instances consultées.

Ce délai peut être réduit à 60 jours si le délai de 130 jours est incompatible avec les nécessités de l’utilité publique.

Dans le cadre de la phase administrative, le décret prévoit une obligation pour les titulaires des droits qui ont été informés de l’introduction d’un dossier d’expropriation de communiquer une copie de ce dossier aux tiers qui détiennent un droit personnel ou réel sur le bien immobilier. S’ils ne le font pas, ils sont redevables envers ces tiers de l’indemnité que ces derniers auraient pu percevoir.

Si l’arrêté d’expropriation identifie le tracé de voiries à désaffecter, celles-ci  sont désaffectées au jour de la publication par extrait de l’arrêté au Moniteur belge.

Enfin, l’arrêté d’expropriation est périmé de plein droit s’il n’est pas mis en œuvre dans les 10 ans de sa notification ou du délai pour ce faire à l’expropriant. S’il n’est mis que partiellement en œuvre, l’arrêté est périmé pour la partie non mise en œuvre.

D.    Négociation amiable préalable à la phase judiciaire

La question se posait de savoir si, dans le cadre de la loi du 26 juillet 1962 relative à la procédure d’expropriation d’extrême urgence, la phase de négociation constituait une étape indispensable avant de lancer la procédure judiciaire ou si elle était seulement facultative. Le choix a été fait de confirmer le caractère obligatoire de la négociation amiable préalable, afin d’éviter, lorsque cela est possible, de longues et coûteuses procédures judiciaires.

La tentative d’acquisition amiable est toutefois encadrée et tient compte des hypothèses dans lesquelles il serait difficile d’identifier les propriétaires, ceux-ci refuseraient de négocier ou seraient domiciliés à l’étranger.

La requête en expropriation n’est donc recevable que si, au préalable, une tentative de cession amiable a eu lieu. La tentative de négociation peut toutefois se limiter à l’envoi par l’expropriant, par envoi recommandé, d’une offre de cession des droits visés dans l’arrêté d’expropriation. Par dérogation, la requête non précédée d’une offre de cession sera néanmoins recevable si l’expropriant est dans l’impossibilité d’identifier l’exproprié ou l’endroit auquel l’offre peut lui être adressée.

L’envoi recommandé doit être adressé à toute personne renseignée comme détentrice des droits par le cadastre et à toute autre personne qui se serait manifestée ou aurait été renseignée à ce titre.

Lorsque l’exproprié ne conteste pas la légalité de l’expropriation, les parties peuvent convenir que l’expropriant prend possession des biens immobiliers avant la réalisation des formalités requises en vue de la création ou du transfert des droits.

E.    Jugement provisionnel

Il a été choisi de conférer au tribunal de première instance la compétence de statuer sur une demande d’expropriation, et non plus au juge de paix.

Les arguments invoqués en faveur de ce transfert de compétence tiennent essentiellement à la technicité de la matière et à la volonté de concentrer les affaires entre les mains d’un nombre plus restreint de juridictions, ce qui aura pour avantage de permettre la spécialisation de magistrats ou de chambres ainsi qu’une uniformisation de la jurisprudence.

Les délais de procédure ont été assouplis par rapport à la procédure d’extrême urgence mais restent relativement rapides.

Ainsi, la comparution sur les lieux doit avoir lieu au plus tard le 21e jour qui suit le dépôt de la requête en expropriation.

Lorsqu’aucune partie n’a manifesté l’intention de contester la légalité de l’expropriation lors de la comparution sur les lieux, le tribunal statue sur la requête en expropriation dans les 8 jours qui suivent la comparution. Si l’une des parties manifeste l’intention de contester la légalité de l’expropriation lors de la comparution sur les lieux, le tribunal fixe la date de l’audience de plaidoiries, laquelle ne peut intervenir plus d’un mois après la comparution sur les lieux.

Le jugement tranchant la contestation de la légalité de l’expropriation est prononcé dans les 20 jours de la clôture des débats.

Le jugement provisionnel statue sur la légalité de l’expropriation et fixe, par voie d’évaluation sommaire, le montant de l’indemnité provisionnelle dont l’expropriant est redevable.

Un appel de ce jugement est ouvert aux parties, uniquement en ce qui concerne la question de la légalité de l’expropriation. L’objectif est de clôturer d’abord et rapidement le débat sur la légalité de l’expropriation. Contrairement à ce que permettent les règles actuelles, il ne sera donc plus possible de contester à nouveau la légalité d’une expropriation lors des discussions relatives à l’indemnité d’expropriation définitive.

Le jugement – ou l’arrêt – définitif sur ce point opère transfert de propriété et fixe l’indemnité provisionnelle. Si cette décision définitive est prononcée en appel, la cause est ensuite renvoyée en première instance pour fixer l’indemnité.

F.    Etat descriptif et prise de possession

S’il est fait droit à la requête en expropriation, l’expert désigné par le tribunal établit l’état descriptif des biens immobiliers. Cet état doit permettre de prendre connaissance de l’état de l’immeuble au moment de la prise de possession.

L’expropriant, qui supporte dans tous les cas les frais d’expertise en première instance, peut demander à l’expert d’établir l’état descriptif même si le tribunal n’a pas encore statué sur la légalité de l’expropriation.

Par ailleurs, si l’expropriant n’a pas reçu copie de l’état descriptif dans les cinq jours qui suivent le délai prévu à cet effet, il peut établir lui-même l’état descriptif, après que l’exproprié et les parties reçues intervenantes aient été invités à assister à l’établissement de cet état et averties qu’il y sera procédé même en leur absence.

La prise de possession peut intervenir à la signification du jugement ou de l’arrêt, du certificat de dépôt de l’indemnité et de l’état descriptif.

G.    Jugement sur les indemnités

Après mise en état de l’affaire, le tribunal fixe les jour et heure de l’audience de plaidoiries, au terme de laquelle il détermine le montant de l’indemnité due du chef de l’expropriation.

Ce jugement est susceptible d’appel mais la contestation ne portera que sur le montant de l’indemnité.

H.    Rétrocession

Le champ d’application du droit à la rétrocession est plus clairement défini par le nouveau décret.

Le droit à la rétrocession naît si les travaux n’ont pas débuté dans un délai de 5 ans à dater du jour de la prise de possession effective par l’expropriant. Ce droit ne s’applique qu’au transfert de propriété. Il ne pourra donc pas être invoqué pour récupérer un droit réel démembré, un droit indivis ou un droit personnel.

En cas d’expropriations multiples, c’est-à-dire s’il est nécessaire d’acquérir plusieurs parcelles appartenant à des propriétaires différents pour réaliser le projet en cause, le délai de cinq ans débute à la prise de possession de la dernière parcelle.

Dans l’hypothèse particulière où des travaux ne doivent pas être réalisés sur le bien immobilier exproprié, la rétrocession ne pourra intervenir si l’affectation d’utilité publique – même temporaire – est réalisée dans les cinq ans de la prise de possession.

Le droit de rétrocession doit être invoqué dans les trois ans de sa naissance, à peine de forclusion.
 

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