19/07/21

Une marque non conventionnelle qui fait “pschitt”

Dans un arrêt du 7 juillet 2021 (T-668/19), le Tribunal de l’Union européenne s’est prononcé, pour la première fois, sur la validité d’un enregistrement d’une marque sonore présentée en format audio.

L’exigence de représentation graphique des signes dont l’enregistrement en tant que marque de l’Union européenne est demandé est supprimée depuis le 1er octobre 2017, ouvrant ainsi la porte à l’enregistrement de marques non conventionnelles, telles que les marques sonores présentées en format audio.

Depuis lors, l’EUIPO accepte les fichiers reproduisant ces marques en format JPEG ou MP3 (de maximum 2 Mo). Les marques sonores pouvaient déjà faire l’objet d’un enregistrement avant le 1er octobre 2017, mais devaient en ce cas faire l’objet d’une représentation fiable du son sous une forme graphique en notations musicales.

Dans la décision commentée, le Tribunal de l’Union européenne a eu l’occasion de se prononcer sur les critères de validité des marques sonores présentées en format audio et il n’a pas remis en cause leur validité de principe.

La marque dont l’enregistrement était demandé dans cette affaire s’est cependant heurtée à un autre obstacle : son absence de pouvoir distinctif.

Le signe sonore dont l’enregistrement était demandé rappelle le son qui se produit à l’ouverture d’une canette de boisson, suivi d’un silence d’environ une seconde et d’un pétillement de bulles d’environ neuf secondes. L’enregistrement de cette marque était demandé pour des produits en classes 6, 29, 30, 33 et 33, notamment des conteneurs métalliques pour boissons ainsi que toute une série de boissons, alcoolisées ou non alcoolisées, pétillantes ou plates.

A l’occasion de son arrêt, le Tribunal rappelle les critères permettant de juger de la distinctivité d’une marque sonore et il censure l’appréciation incorrecte qui avait été faite par la Chambre de recours de l’EUIPO. Cette dernière avait appliqué par analogie le critère dégagé par la Cour de justice concernant l’appréciation du pouvoir distinctif de marques tridimensionnelles ou constituées de l’apparence d’un produit ou de son emballage. Selon ce dernier critère, pour remplir sa fonction d’indication de l’origine commerciale des produits, la marque doit diverger de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur. Dans le présent arrêt, le Tribunal indique que ce critère, propre à l’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles ou constituées de l’apparence d’un produit ou de son emballage, n’est pas transposable aux marques sonores, lesquelles sont des signes indépendants de l’aspect extérieur ou de la forme des produits qu’elles désignent.

Toutefois, cette erreur de droit commise par l’EUIPO quant au critère légal applicable pour apprécier le caractère distinctif de la marque sonore demandée s’est révélé sans incidence, car la chambre de recours de l’EUIPO ne s’étant pas exclusivement fondée sur celui-ci.

Le Tribunal de l’Union européenne confirme dans son arrêt que les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques sonores ne sont pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques. Pour être distinctif, il est nécessaire que le signe sonore dont l’enregistrement est demandé possède une certaine prégnance et soit apte à susciter une certaine forme d’attention auprès du consommateur afin de lui permettre d’identifier l’origine commerciale des produits ou services visés par la demande de marque, sans qu’il soit nécessaire de le combiner avec d’autres éléments. Il faut que le signe en cause ne soit pas perçu comme un élément de nature fonctionnelle ou un indicateur sans caractéristique intrinsèque propre.

En l’espèce, le signe sonore présentait un rapport direct aux produits revendiqués et a été jugé inhérent à l’usage de ces produits. Selon la haute juridiction européenne, le premier élément de la marque, à savoir le son émis lors de l’ouverture d’une canette, est intrinsèque à une solution technique déterminée dans le cadre de la manipulation de boissons lors de leur consommation, indépendamment du fait que les produits contiennent du gaz carbonique ou non. Comme cet élément sera considéré par le public pertinent comme ayant un rôle technique et fonctionnel, il ne sera pas perçu par le consommateur comme une indication de l’origine commerciale des produits en cause.  Les autres éléments composant la marque, à savoir, le silence d’environ une seconde et le son du pétillement d’environ neuf secondes, furent jugés comme des variantes des sons habituellement émis par des boissons au moment de l’ouverture de leur contenant et comme ne permettant pas d’identifier le son en tant que marque. Pris dans leur ensemble, les éléments sonores de la marque et le silence d’environ une seconde manquaient donc de prégnance en ce qu’ils ne possédaient aucune caractéristique intrinsèque leur permettant d’être perçus comme une indication de l’origine commerciale des produits visés par la marque.

Le Tribunal de l’Union européenne a confirmé en conséquence que le signe sonore dont l’enregistrement était demandé était dépourvu de caractère distinctif et devait être refusé à l’enregistrement.

En raison de son manque de prégnance lui permettant d’indiquer l’origine commerciale des produits qu’elle désignait, la marque sonore en cause a, en quelque sorte, fait « pschitt » !

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Emmanuel Cornu et Charlotte Behets Wydemans

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