30/09/16

L'affaire Nyrstar et le rejet des intérêts d'un emprunt de 450 millions d'euros

Jusqu’à présent, le fisc ne manifestait guère de velléités de rejeter la déduction des intérêts. Mais il semble avoir fait volte-face. Et le géant mondial du zinc Nyrstar en a fait les frais. Retour en arrière sur une affaire retentissante.

Par une décision de l’assemblée générale des actionnaires du 18 juin 2012, la société anonyme de droit belge Nyrstar Belgium décide de réduire son capital social à hauteur de 350 millions EUR, au profit de son actionnaire (Nyrstar Netherlands Holdings). Le 29 juin 2012, une assemblée générale extraordinaire décrète une distribution d’un dividende intercalaire de 100 millions EUR. Quelques jours plus tard, Nyrstar Belgium conclut un contrat de prêt de 450 millions EUR avec sa grand-mère (Nyrstar NV), afin de pouvoir financer la mise en paiement de la réduction de capital et du dividende.

GÉNÉROSITÉ SUSPECTE

 La générosité de Nyrstar Belgium à l’égard de son actionnaire hollandais n’était apparemment pas au goût du fisc. Ainsi, celui-ci a-t-il rejeté la déductibilité des charges d’emprunt, en s’appuyant sur l’article 49 du CIR. Cette disposition subordonne la déduction des frais professionnels à la condition qu’ils soient payés "en vue d’acquérir ou de conserver des revenus imposables" (condition de finalité de la dépense). Or, aux yeux de l’administration fiscale, les intérêts ne répondaient manifestement pas à pareille exigence, dès lors qu’ils conduisaient à une réduction des fonds propres de la société. Dans un jugement remarquable du 29 juin 2016, le tribunal de première instance d’Anvers a confirmé le bien-fondé de la position administrative, en se contentant d’invoquer que le contribuable ne prouvait pas que les intérêts avaient été payés en vue d’acquérir ou de conserver des revenus imposables.

Ce raisonnement particulièrement lapidaire laisse songeur. Le tribunal a-t-il pris sa mission à légère? Il faut se garder d’affirmations péremptoires. Le contribuable n’avait en effet pas été en mesure de produire un rapport spécial de son conseil d’administration, établi préalablement à la conclusion du prêt, concernant les motivations économiques de l’opération. Pas un mot non plus dans le rapport annuel. Or, la charge de la preuve de la finalité de la dépense repose bien sur les épaules du contribuable. On voit ce qu’il peut en coûter à une multinationale de faire l’impasse sur la préparation d’une documentation adéquate. On ne badine pas avec la mise en musique juridique, surtout pour des opérations d’une telle ampleur.

UN ARGUMENT REDOUTABLE

Ceci étant dit, Nyrstar Belgium avait axé sa défense sur un argument redoutable: la conclusion de l’emprunt était nécessaire en vue de pouvoir conserver des actifs générateurs de revenus imposables (de source australienne). Autrement dit, si la société avait procédé à une distribution de dividendes/réduction de capital "en nature" (attribution des actifs affectés à son activité) et fait l’impasse sur la conclusion du prêt, elle aurait été privée de revenus imposables. Le magistrat a balayé cette argumentation d’un revers de la main, au motif qu’il ne s’agirait que d’un effet secondaire (sans finalité propre) de la conclusion de l’emprunt.

Le raisonnement du tribunal prête le flanc à la critique. L’intention du contribuable de vouloir conserver une activité bénéficiaire (et, partant, une source de revenus imposables) répond, me semble-t-il, à la condition de finalité. Attention: tout est question d’espèce et de mesure. Si la société finançant la distribution de dividendes/réduction de capital dispose de fonds propres importants, mais n’exerce pas de véritable activité économique, le risque de rejet des intérêts me semble réel.

Suivant une jurisprudence constante, ni l’administration ni le tribunal n’ont le pouvoir de contester l’opportunité d’une dépense. Le contribuable est donc libre de gérer ses affaires, et notamment son mode de financement (fonds propres vs endettement), comme bon lui semble. Ainsi, une réduction de fonds propres peut se justifier quand ceux-ci sont trop élevés pour les besoins réels de la société. Par exemple: lorsque les dirigeants d’une entreprise arrivée à maturité n’arrivent plus à trouver des projets correspondant aux exigences de rentabilité des actionnaires, ce qui permet notamment d’éviter des surinvestissements ou des diversifications hasardeuses. Même si le tribunal s’en défend, on peut ici se demander si cette interdiction de non-immixtion n’a pas été violée.

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