06/10/20

Quand le gouvernement Vivaldi veut mettre fin à la procédure de régularisation fiscale…

Si le gouvernement Vivaldi devient une réalité, il pourrait, d’après un article paru dans le quotidien flamand De Tijd (25 septembre 2020), être mis fin en 2023 à la possibilité d’introduire une régularisation fiscale. Pourtant, le système actuel – également appelé « DLU quater » dans le jargon des fiscalistes - avait été introduit en 2016 en tant que système permanent, avec une augmentation annuelle des taux du prélèvement de régularisation jusqu'au 1er janvier 2020.

En période de crise, réformer la fiscalité sans l’alourdir, dans un Etat dont les finances sont aux abois, relève de la quadrature du cercle.  En mettant fin à ce système d’amnistie, le gouvernement espère bien obtenir des recettes supplémentaires. Le raisonnement du gouvernement Vivaldi est le suivant : si les gens se rendent compte qu'il ne leur reste qu'une seule chance de régulariser leurs manquements fiscaux du passé, ils devraient être bien plus enclins à le faire…

On peut toutefois douter que ce soit réellement le cas.

1. De nombreux fraudeurs ont déjà régularisé leur situation

D’abord, les personnes qui souhaitaient utiliser le système de régularisation actuel l'ont probablement déjà fait lorsque les taux du prélèvement de régularisation étaient au plus bas. Depuis le 1er janvier 2020, les taux de régularisation ont atteint des sommets difficilement supportables. Pour régulariser les « revenus fiscalement non prescrits », il faut en effet payer l’impôt au taux d’imposition normal, majoré d’un prélèvement de régularisation de 25 %.  Quant aux « capitaux fiscalement prescrits », ceux-ci peuvent être régularisés moyennant un prélèvement de 40%.  Tentons d’éclaircir ces règles arides à l’aide d’un exemple.

Monsieur Dupont a hérité d'un portefeuille-titres logé sur un compte au Luxembourg ou en Suisse en 2000, sans le déclarer dans une déclaration de succession. Sur ce compte, il a perçu des revenus mobiliers (dividendes, intérêts,…) qui n'ont pas non plus été déclarés dans sa déclaration fiscale à l’IPP. S'il devait procéder à une régularisation fiscale aujourd'hui, il devrait (au pire) payer un prélèvement de régularisation de 40% sur le solde de son compte au 31 décembre 2012 (c’est-à-dire sur le « capital fiscalement prescrit »).  S’agissant des revenus mobiliers non déclarés recueillis au cours des années de revenus 2013 et suivantes, il devra payer l’impôt au taux d'imposition normal, majoré de 25 %. Si l’on prend par exemple les revenus mobiliers recueillis à partir de l'année de revenu 2017, Monsieur Dupont devra payer son tribu au fisc à hauteur de 55% des revenus mobiliers éludés (taux d’imposition ordinaire sur les revenus mobiliers de 30% + 25% = 55%).

Et puis il y a aussi les « sceptiques », c’est-à-dire ceux qui se sont résignés à régulariser leur situation après l’introduction de la DLU quater, en raison de l’intensification des échanges automatiques d’informations sur la scène fiscale internationale depuis septembre 2017. En effet, les autorités fiscales belges reçoivent sur un plateau d’argent des renseignements sur les comptes financiers détenus par des résidents belges auprès d’institutions financières établies dans 99 États, notamment le Luxembourg, la Suisse, le Liechtenstein, Hong Kong, Singapour, les Émirats arabes unis (et donc notamment l’Émirat de Dubaï), les Iles Vierges britanniques, les îles Caïmans et le Panama. Lorsque les informations reçues par le fisc belge font apparaître que le contribuable n’a pas déclaré des revenus, le fisc n’hésite pas à envoyer une demande de renseignements, voire un avis de rectification.  Beaucoup ont donc préféré régulariser leur situation, plutôt que de s’exposer aux foudres du fisc.

2. Le coût fort élevé de la régularisation actuelle risque de dissuader les derniers récalcitrants 

Cette perspective va-t-elle convaincre les retardataires récalcitrants de procéder à une régularisation fiscale ? Rien n’est moins sûr.

Ceux-ci peuvent en effet avoir des raisons légitimes de ne pas avoir effectué de régularisation fiscale à ce jour, comme le manque de pièces justificatives. Dans le système actuel, un contribuable ne peut pas se limiter à la régularisation, par exemple, de revenus mobiliers fiscalement non prescrits provenant d'un compte étranger, mais il devra également régulariser le capital fiscalement prescrit sur ce compte. Le contribuable ne peut y échapper que s'il peut démontrer, au moyen d'une preuve écrite, que le capital a été soumis à son régime fiscal normal. Mais comme ces comptes ont souvent été ouverts il y a longtemps, cette preuve écrite (extraits bancaires) n'est souvent plus disponible. Dans ce cas, le contribuable qui souhaite procéder à une régularisation fiscale serait obligé de payer un prélèvement de régularisation élevé de 40 % sur le capital fiscalement prescrit, qui peut le cas échéant avoir déjà (partiellement) subi son régime fiscal normal. Il s’agit d’une pilule difficile à faire avaler aux derniers récalcitrants … A défaut de régularisation, ils s’exposent au risque d’une investigation du fisc concernant les revenus non fiscalement prescrits … et même à des poursuites pénales (pour cause de blanchiment) pour les capitaux fiscalement prescrits! Dans le cadre d’une enquête pénale, la charge de la preuve concernant l’origine illicite des capitaux fiscalement prescrits repose toutefois sur les épaules du parquet.

3. L’impact des récents scandales de blanchiment dans le secteur bancaire

Dans le contexte des récentes révélations sur le blanchiment d'argent dans le secteur bancaire, il ne peut néanmoins être exclu que certains titulaires de comptes en Belgique soient encore obligés de recourir à la régularisation fiscale. En pratique, les banques belges n’hésitent pas à mettre fin à leur relation avec des titulaires de comptes qui sont en défaut de fournir des informations précises sur l'origine de leur capital ou une attestation de régularisation. En règle générale, ces titulaires de comptes ne pourront pas non plus se rendre dans une autre banque belge, puisque l'origine du capital devra également y être justifiée. En conséquence, ils n'auront d'autre choix que de procéder à une régularisation fiscale (potentiellement très coûteuse) ! Et si la banque belge ne s'est pas interrogée sur l'origine de ce capital à l'époque, ces questions pourraient encore être posées aujourd'hui…

En conclusion, il nous paraît peu probable que l’abrogation de la DLU quater entraînera une précipitation « ultime » vers le Point de Contact Régularisations. On peut aussi se demander s’il ne serait pas plus efficace (sur le plan budgétaire) de maintenir le système permanent de régularisation fiscale, tout en le rendant plus « attrayant » (à la faveur d’une baisse des taux du prélèvement de régularisation).

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