29/05/19

Procédure de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice et droit pour le cessionnaire de reprendre…

Dans l’affaire C-509/17 EU:C:2019:424, la Cour de justice a été saisie d’une question préjudicielle par la cour du travail d’Anvers le 21 août 2017 en ces termes :

« Le droit de choisir conféré au repreneur à l’article 61, paragraphe 4, de la […] loi relative à la continuité des entreprises du 31 janvier 2009 (devenu article 61, paragraphe 3, de cette loi), disposition faisant partie du chapitre 4 du titre 4 de cette loi belge dans lequel est réglée la “réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice”, est-il conforme à la directive 2001/23/CE (1) du Conseil du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements, et plus particulièrement aux articles 3 et 5 de cette directive, dans la mesure où cette “réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice” est appliquée en vue du maintien de tout ou partie du cédant ou de ses activités ? ».

Le litige au principal vise une employée qui conteste le fait de ne pas avoir été reprise par le cessionnaire suite au transfert sous autorité de justice introduit par son employeur; le repreneur rejetant cette demande sur pied de l’article 61, §4 de la loi relative à la continuité des entreprises (aujourd’hui incorporée dans le Code de droit économique (art. XX.86 §3), qui donne au repreneur le droit de choisir les travailleurs qu’il souhaite ou non reprendre, pour autant, d’une part, qu’un tel choix soit dicté par des raisons techniques, économiques ou organisationnelles et, d’autre part, qu’il n’y ait pas de différenciation interdite. Pour le repreneur, il n’y a donc aucune obligation de réengager l’employée suite à la résiliation du contrat de travail qui liait cette dernière au cédant.

Dans son considérant 37, la Cour rappelle que, « aux termes de l’article 5, §1er, de la directive 2001/23, sauf si les Etats membres en disposent autrement, les articles 3 et 4 de cette directive ne s’appliquent pas aux transferts d’entreprises lorsque (i) le cédant fait l’objet d’une procédure de faillite ou d’une procédure d’insolvabilité analogue ouverte (ii) en vue de la liquidation des biens du cédant et se trouvant (iii) sous le contrôle d’une autorité publique compétente.

La Cour s’interroge alors sur la question de savoir si le transfert sous autorité de justice relève de l’exception prévue à l’article 5, §1er, de la directive 2001/23 en examinant les trois conditions cumulatives pour satisfaire à l’exception :

  • s’agissant, tout d’abord, de la condition selon laquelle le cédant doit faire l’objet d’une procédure de faillite ou d’insolvabilité analogue, la Cour constate qu’une procédure de réorganisation judiciaire ne peut pas être considérée comme tel et même dans l’hypothèse où une procédure de réorganisation judiciaire devait aboutir à la faillite de l’entreprise concernée, une telle conséquence n’apparaît en soi ni automatique ni certaine ;
  • concernant, ensuite, la condition selon laquelle la procédure doit être ouverte en vue de la liquidation des biens du cédant, il ressort de la jurisprudence de la Cour que ne remplit pas une telle condition une procédure visant la poursuite de l’activité de l’entreprise concernée (arrêt du 22 juin 2017, Federatie Nederlandse Vakvereniging e.a. contre Smallsteps BV, C-126/16). Or, pour la Cour, il ressort du libellé même de la question posée que le tribunal de commerce a ordonné une procédure de réorganisation par transfert sous autorité de justice en vue du maintien de tout ou partie de l’entreprise cédante ou de ses activités1 ;
  • enfin, s’agissant de la condition selon laquelle la procédure en cause doit se trouver sous le contrôle d’une autorité publique compétente, il ressort de la législation nationale que, d’une part, le mandataire de justice désigné par le jugement qui ordonne le transfert est chargé de l’organiser le transfert ou de le réaliser au nom et pour le compte du débiteur. D’autre part, ce mandataire doit solliciter des offres en veillant prioritairement au maintien de tout ou partie de l’activité de l’entreprise tout en ayant égard aux droits des créanciers. En cas de pluralité d’offres comparables, la priorité est accordée à celle qui garantit la permanence de l’emploi par un accord social. Le contrôle ainsi exercée par le mandataire de justice dans le cadre de la procédure de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice a une portée plus restreinte que celui exercé par le mandataire dans le cadre d’une procédure de faillite ».

Il découle de ce qui précède qu’une procédure de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice ne satisfait pas aux conditions prévues à l’article 5, §1er, de la directive 2001/23 et que par conséquent, le transfert effectué dans de telles conditions ne relève pas de l’exception prévue à cet article.

Ainsi, il y a lieu de constater que les articles 3 et 4 de la directive 2001/23 demeurent applicables.

En vertu de l’article 4, §1er, de la directive 2001/23, le transfert d’entreprise ne constitue pas en lui-même un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire. Cela étant, cette disposition ne fait pas obstacle à des licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d’organisation qui impliquent des changements sur le plan de l’emploi.

En l’occurrence, la législation belge prévoit (article XX. 86, §3, al.2 du Code de droit économique) que le cessionnaire a le droit de choisir les travailleurs qu’il souhaite reprendre, ce choix devant toutefois être motivé par des raisons techniques, économiques et organisationnelles et s’effectuer sans différenciation interdite.

Il apparaît cependant que l’article XX. 86, §3, al.2 précité vise, contrairement à la perspective dans laquelle s’inscrit l’article 4, §1er, de la directive 2001/23, non pas les travailleurs qui font l’objet d’un licenciement, mais ceux dont le contrat de travail est transféré, étant entendu que le choix de ces dernières personnes par le cessionnaire se fonde sur des raisons techniques, économiques et organisationnelles. Ce faisant, force est de constater que le cessionnaire n’est soumis à aucune obligation de démontrer que les licenciements intervenus dans le cadre du transfert sont dus à des raisons d’ordre économique, technique et organisationnelle.

En conclusion pour la Cour, l’application de l’article XX.86, §3 du Code de droit économique est de nature à compromettre sérieusement le respect de l’objectif principal de la directive 2001/23, tel que précisé par l’article 4, §1er, de celle-ci, à savoir la protection des travailleurs contre les licenciements injustifiés en cas de transfert d’entreprise.

*  *  *  *

Quel enseignement et conséquences tirées de cet arrêt ?

1.    La directive européenne, en ce qui concerne le transfert sous autorité de justice et le droit du cessionnaire de choisir les travailleurs qu’il souhaite reprendre, a été incorrectement transposée en droit belge ;

2.    L’employée qui est lésée par la non-conformité du droit national à la directive pourrait néanmoins se prévaloir de la jurisprudence issue de l’arrêt Francovich e.a. pour obtenir de l’Etat belge réparation du dommage subi.

1 Selon le professeur Cédric Alter, « la procédure belge a un caractère hybride.
Certes, à certains égards, le législateur semble avoir donné une préférence à la sauvegarde de l’activité sur le désintéressement des créanciers, puisqu’il est demandé au mandataire de justice de rechercher et de solliciter des offres « en veillant prioritairement au maintien de tout ou partie de l’activité de l’entreprise tout en ayant égard aux droits des créanciers » (art. XX.87, § 1er, al. 2, CDE) et qu’« [e]n cas de pluralité d’offres comparables, la priorité est accordée par le tribunal à celle qui garantit la permanence de l’emploi par un accord social » (art. XX. 89, § 1er, al. 1er, CDE).
Mais le législateur n’en a pas oublié pour autant l’objectif de « maximisation du désintéressement collectif des créanciers », et a été inscrit en préalable à toute prise en considération d’une offre par le tribunal. « Pour qu’une offre puisse être prise en considération », énonce en effet l’article 87, § 1er, dernier alinéa, du Code de droit économique, « le prix offert pour l’ensemble des actifs vendus ou cédés doit être égal ou supérieur à la valeur de réalisation forcée estimée en cas de faillite ou de liquidation » in slides remis lors de la Conférence organisée par le Jeune Barreau de Bruxelles le 2 avril 2019 : « la procédure de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice.

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