28/01/20

La nouvelle loi B2B et le contrat de franchise

La loi du 4 avril 2019 modifiant le Code de droit économique a introduit dans ce dernier un certain nombre de nouvelles règles visant d’une part à sanctionner l’abus de dépendance économique d’une entreprise et d’autre part, à interdire des clauses dites abusives ainsi que les pratiques du marché qui seraient déloyales, trompeuses ou agressives, dans les relations B2B.

Les dispositions relatives à l’abus de dépendance économique seront introduites dans le livre IV du Code de droit économique, et celles relatives aux clauses abusives ainsi qu’aux pratiques du marché dans le livre VI.

Préalablement à l’analyse de l’impact de cette nouvelle loi sur le contrat de franchise (C), nous ferons un bref rappel des principes applicables aux contrats de franchise (A) et reviendrons sur les principes généraux édictés par la loi du 4 avril 2019 (B).

A - Le contrat de franchise

Le contrat de franchise peut être défini comme un mécanisme de collaboration entre deux commerçants indépendants, dénommés respectivement franchiseur et franchisé, qui permet au premier de « concéder à des partenaires franchisés, contre rémunération, le droit d’exploiter une formule de production et/ou de commercialisation de produits, services, de technologies dont il déjà pu vérifier le succès tout en maintenant, par une organisation sous forme de réseau, une uniformité dans les modalités d’exploitation de cette formule ».

En ce sens, la formule de franchise est régie par un certain nombre d’obligations entre les parties.

Le franchiseur a notamment l’obligation de :

transmettre son savoir-faire au franchisé ;
apporter continuellement une assistance commerciale et/ou technique au franchisé tant préalablement au commencement des activités par le franchisé que pendant toute la durée du contrat ;
dans le cas d’une franchise de distribution, et lorsque le contrat contient une obligation dans le chef du franchisé de s’approvisionner auprès du franchiseur ou de certains fournisseurs désignés par lui, le franchiseur a une obligation de livraison dans les délais, et de manière qualitative.

Le franchisé doit en contrepartie :

rémunérer le franchiseur tant pour la transmission de son savoir-faire que pour son assistance continue. Cette rémunération se matérialise par le paiement d’un droit d’entrée mais aussi par des redevances périodiques ;
exploiter le commerce conformément aux règles établies du réseau de franchise.

La mise en place d’un tel système de franchise permet au franchiseur de renouveler sa formule commerciale ou son système de production en lui offrant un rayonnement plus important, sur base du savoir-faire acquis par son expérience personnelle, tout en évitant de procéder à des investissements propres et dès lors, en limitant les coûts liés à cette expansion.

L’investissement concédé permettra, du côté du franchisé, de se lancer en ayant la garantie d’avoir un retour sur investissement tout ou minimisant le risque économique propre au lancement d’une nouvelle activité.

En ce qui concerne le cadre légal, seule la loi du 19 décembre 2005 est venue régir la phase précontractuelle de tous les contrats de partenariat commercial, dont le contrat de franchise fait partie. Comme tout autre contrat, ce dernier n’échappe toutefois pas aux règles existantes en matière de droit des obligations, d’exécution de bonne foi des conventions et aux usages en la matière.

B - Les principes adoptés par la loi du 4 avril 2019

L’abus de dépendance économique

La loi du 4 avril 2019 introduit dans le droit positif belge la nouvelle notion d’ « abus de dépendance économique » et prévoit ainsi, en son article 4, que sera désormais interdit « le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position de dépendance économique dans laquelle se trouvent une ou plusieurs entreprises à son ou à leur égard, dès lors que la concurrence est susceptible d'en être affectée sur le marché belge concerné ou une partie substantielle de celui-ci ».

L’article 2 de la loi définit la position de dépendance économique comme étant la « position de sujétion d'une entreprise à l'égard d'une ou plusieurs autres entreprises caractérisée par l'absence d'alternative raisonnablement équivalente et disponible dans un délai, à des conditions et à des coûts raisonnables, permettant à celle-ci ou à chacune de celles-ci d'imposer des prestations ou des conditions qui ne pourraient pas être obtenues dans des circonstances normales de marché ».

La loi précise ainsi que peut être considéré comme une pratique abusive :

1° le refus d'une vente, d'un achat ou d'autres conditions de transaction ;

2° l'imposition de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables ;

3° la limitation de la production, des débouchés ou du développement technique au préjudice des consommateurs ;

4° le fait d'appliquer à l'égard de partenaires économiques des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ;

5° le fait de subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires économiques, de prestations supplémentaires, qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats.

Clauses abusives entre entreprises

Conformément à ce qui se fait déjà dans le cadre des contrats entre entreprises et consommateurs (« contrats B2C»), le législateur a décidé de lister et d’interdire des clauses (désormais) qualifiées d’abusives entre entreprises. Est abusive, toute clause d’un contrat conclu entre entreprises lorsque, « à elle seule ou combinée avec une ou plusieurs autres clauses, elle crée un déséquilibre manifeste entre les droits et obligations des parties ».

Selon le législateur, sont considérées comme abusives en toutes circonstances, les clauses qui ont pour objet de :

1° prévoir un engagement irrévocable de l'autre partie, alors que l'exécution des prestations de l'entreprise est soumise à une condition dont la réalisation dépend de sa seule volonté ;

2° conférer à l'entreprise le droit unilatéral d'interpréter une quelconque clause du contrat ;

3° en cas de conflit, faire renoncer l'autre partie à tout moyen de recours contre l'entreprise;

4° constater de manière irréfragable la connaissance ou l'adhésion de l'autre partie à des clauses dont elle n'a pas eu, effectivement, l'occasion de prendre connaissance avant la conclusion du contrat.

Sont par ailleurs présumées abusives sauf preuve contraire, les clauses qui ont pour objet de :

1° autoriser l'entreprise à modifier unilatéralement sans raison valable le prix, les caractéristiques ou les conditions du contrat ;

2° proroger ou renouveler tacitement un contrat à durée déterminée sans spécification d'un délai raisonnable de résiliation ;

3° placer, sans contrepartie, le risque économique sur une partie alors que celui-ci incombe normalement à l'autre entreprise ou à une autre partie au contrat ;

4° exclure ou limiter de façon inappropriée les droits légaux d'une partie, en cas de non-exécution totale ou partielle ou d'exécution défectueuse par l'autre entreprise d'une de ses obligations contractuelles ;

5° sans préjudice de l'article 1184 du Code civil, engager les parties sans spécification d'un délai raisonnable de résiliation ;

6° libérer l'entreprise de sa responsabilité du fait de son dol, de sa faute grave ou de celle de ses préposés ou, sauf en cas de force majeure, du fait de toute inexécution des engagements essentiels qui font l'objet du contrat ;

7° limiter les moyens de preuve que l'autre partie peut utiliser ;

8° fixer des montants de dommages et intérêts réclamés en cas d'inexécution ou de retard dans l'exécution des obligations de l'autre partie qui dépassent manifestement l'étendue du préjudice susceptible d'être subi par l'entreprise.

Pratiques du marché déloyales entre entreprises

Outre la nouvelle notion d’abus de dépendance économique et l’introduction de clauses abusives entre entreprises, le législateur a également souhaité interdire des pratiques déloyales entendues comme étant trompeuses et/ou agressives, d’entreprises vis-à-vis d’autres entreprises.

C- Les conséquences de cette nouvelle règlementation sur la relation de franchise

L’abus de dépendance économique

Comme cela fût rappelé sous le point précédent, la position de dépendance économique est définie par la loi comme étant une position de sujétion caractérisée par l’absence d’alternative raisonnablement équivalente et disponible dans un délai, à des conditions et à des coûts raisonnables.

Cette définition trouve une résonance particulière en matière de franchise, dont le système consiste précisément dans une relation de collaboration renforcée entre le franchisé et son franchiseur, pouvant parfois être assimilée à une forme de dépendance.

Il est assez courant à cet égard que le franchisé dispose d’une liberté très cadrée, notamment en termes d’approvisionnement et de conditions de fourniture. Ainsi, et bien que le droit européen de la concurrence interdise l’imposition d’un prix de vente, le franchiseur peut toujours imposer un prix de vente maximal ou recommander un prix de vente.

Si les prescriptions faites au franchisé peuvent se justifier eu égard au système de franchise, ces prescriptions ne risquent-elles dès lors pas d’être considérées comme des éléments entrainant une position de dépendance économique dans le chef du franchisé ?

Les travaux préparatoires confirment d’ailleurs que le législateur vise précisément par cette règlementation la situation des franchisés qui, selon la proposition déposée, sont « souvent confrontés à des conditions générales non équitables, qui restreignent gravement leur liberté économique ».

Il faut cependant tempérer directement l’application possible de cette nouvelle règlementation à tout contrat de franchise.

La loi du 4 avril 2019 comporte en effet un garde-fou important, en ne sanctionnant pas automatiquement toute position de dépendance économique, en précisant qu’un tel abus de dépendance économique est interdit « dès lors que la concurrence est susceptible d’en être affectée sur le marché belge concerné ou une partie substantielle ».

Tout contrat de franchise n’a bien entendu pas pour vocation ou effet d’affecter la concurrence sur le marché belge ou une partie significative de celui-ci. Si, d’une part, cela réduit considérablement le champ d’application de cette nouvelle règlementation, une telle limite entraîne également une certaine incertitude pour chaque acteur concerné : la notion « d’affectation d’un marché national concerné ou d’une partie substantielle de celui-ci » étant une notion floue, qui devra le cas échéant être examinée au cas par cas par les tribunaux.

Les clauses abusives

Les dispositions relatives aux clauses abusives contiennent elles aussi des notions à contenu variable, ce qui a l’avantage de limiter la portée de la réglementation, mais entraîne par voie de conséquence directe une certaine imprévisibilité.

L’article 16 de la loi du 4 avril 2019 édicte la règle générale en la matière et prévoit que « toute clause d'un contrat conclu entre entreprises est abusive lorsque, à elle seule ou combinée avec une ou plusieurs autres clauses, elle crée un déséquilibre manifeste entre les droits et obligations des parties ».

Les contrats de franchise sont toutefois nombreux – si ce n’est pas le cas de tous les contrats de franchise – à renfermer des clauses créant potentiellement un « déséquilibre manifeste » entre les droits et obligations des parties. L’on pense par exemple aux dispositions du contrat qui obligent à s’approvisionner auprès de fournisseurs agréés ou encore celles qui obligent le franchisé à participer au coût du marketing mis en place par le franchiseur, qui sont avant tout des clauses d’adhésion sur lesquels le franchisé a peu ou pas du tout de prise par voie de négociations.

À cette règle générale, l’article 18 de la loi ajoute également qu’est présumée abusive sauf preuve du contraire, la clause qui a pour objet d’« autoriser l'entreprise à modifier unilatéralement sans raison valable le prix, les caractéristiques ou les conditions du contrat ».

Or, la plupart des contrats de franchise comporte des dispositions dont le résultat peut mener à des modifications unilatérales des prix ou de l’exécution du contrat. L’on pense notamment aux dispositions obligeant le franchisé à respecter en tout temps les normes et le manuel édictés par le franchiseur.

Les clauses d’approvisionnement auprès de fournisseurs spécifiquement identifiés par le franchiseur peuvent également, de facto, entrainer une modification unilatérale des prix dès l’instant où le franchiseur déciderait de changer de fournisseur ou que ledit fournisseur augmenterait ses prix.

Il faut cependant à ce stade se garder de toute conclusion trop hâtive, le caractère abusif d’une clause contractuelle devant s’apprécier, selon le législateur, en tenant compte d’un certain nombre d’éléments comme : les circonstances qui entourent la conclusion du contrat et les usages commerciaux en la matière, ce qui ne manquera pas d’être un élément important du débat en matière de contrat de franchise

En ce qui concerne « les circonstances qui entourent la conclusion du contrat », il conviendra de prendre en compte le fait le franchiseur a l’obligation de fournir au candidat franchisé le projet d’accord ainsi que le document d’information précontractuelle et ce, au moins un mois avant la conclusion du contrat de franchise. L’objectif étant précisément de rétablir un certain équilibre entre les parties et de permettre au franchisé de prendre connaissance à suffisance des droits et obligations qui découlent du contrat ainsi que de « l’historique, l’état et les perspectives du marché où les activités s’exercent, (…) ».

Quant aux usages commerciaux, il est acquis de longue date qu’un partenaire commercial puisse voir sa liberté économique quelque peu restreinte en contrepartie des efforts consentis par un autre partenaire depuis de très nombreuses années afin d’aboutir à un système « testé et approuvé ».

Ainsi, les clauses d’approvisionnement de même que les clauses de respect des normes sont des composantes indispensables à la réussite d’un système de franchise et se justifient afin de maintenir une image uniforme du réseau franchisé. De telles dispositions permettent par ailleurs de garantir aux consommateurs un niveau de qualité égale entre tous les points de vente de l’enseigne.

De tels éléments viendront certainement contrebalancer la rigueur du principe énoncé par la loi.

De toute évidence, l’application de cette nouvelle règlementation B2B au contrat de franchise ne manquera pas d’être la source de nombreuses questions pratiques pour les divers acteurs de cette formule (à succès) de coopération.

Loi du 4 avril 2019 modifiant le Code de droit économique en ce qui concerne les abus de dépendance économique, les clauses abusives et les pratiques du marché déloyales entre entreprises.

2 Les dispositions relatives à l’abus de dépendance économique entreront en vigueur le 1er jour du 13ème mois qui suit celui de la publication de la loi au moniteur belge (soit le 1er juin 2020), celles relatives aux clauses abusives, le 1er jour du 19ème mois qui suit celui de la publication de la loi au moniteur belge (soit le 1er décembre 2020). Les dispositions relatives aux pratiques déloyales sont en vigueur depuis le 1er septembre 2019. Eu égard au fait que l’intégralité des dispositions examinées ne sont pas encore en vigueur, le présent article fera référence aux articles de la loi du 4 avril et non aux articles du Code de droit économique.

3 Proposition de loi du 17 mars 2004 réglementant la franchise en vue d’améliorer les pratiques commerciales dans ce secteur, Chambre des représentants, Doc 51 0924/001, p.4.

Code de déontologie européen de la franchise, article 2.2, f).

Code de déontologie européen de la franchise, article 2.2, d).

6 P. Kileste et C. Staudt, Le contrat de franchise, Bruylant, Bruxelles, 2014, p. 169.

7 Proposition de loi modifiant le Code de droit économique en ce qui concerne l’abus de position dominante significative, Doc 54, 1451/001, session 2015/2016, p. 4.

Art. 4 de la loi du 4 avril 2019.

 9  Art. X.28, §1, 2°, g) du Code de droit économique.

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