13/11/20

La nouvelle taxe sur les comptes-titres 2.0 frappe fort

Les masques sont tombés. On y voit enfin plus clair sur les contours de la nouvelle « taxe sur les riches » : celle-ci prendra la forme d’une nouvelle taxe sur les comptes-titres. La taxe sur les comptes-titres 2.0 est devenue sacrément féroce  :  elle ratisse en effet large, bien au-delà des « 1% les plus riches ». Elle est devenue aussi plus robuste : le dispositif est assorti d’une nouvelle mesure générale anti-abus qui devrait permettre de déjouer la plupart des stratégies d’évitement de la taxe.

Résurrection de la taxe sur les comptes-titres

On se souvient que la taxe sur les comptes-titres « 1ère version », introduite par le Gouvernement précédent, avait été annulée par la Cour constitutionnelle le 17 octobre 2019.  La Cour avait jugé que la taxe regorgeait de discriminations, qui pouvaient être difficilement justifiées au regard de l'objectif du législateur de « taxer les plus riches ». Le gouvernement Vivaldi a décidé de revoir sa copie et de « ressusciter » la taxe sur les comptes-titres. Cette nouvelle taxe sur les comptes-titres devrait rapporter 428 millions d’euros par an, soit bien plus que l’ancienne mouture (252 millions d’euros par an). Ces prévisions budgétaires me paraissent justifiées : la nouvelle mouture frappe bien plus fort que l’ancienne !

La taxe sur les comptes-titres 2.0 ratisse large

La nouvelle taxe prend la forme d’une taxe annuelle « d’abonnement », toujours au taux de 0,15 %, prélevée directement (en principe) par les banques sur tous les comptes-titres sur lesquels sont détenus des instruments financiers (les actions et les obligations cotées en bourse, les parts de SICAV, les produits dérivés,…) d'une valeur moyenne supérieure à 1 million d’euros. Les actions nominatives, qui sont inscrites dans un registre d’actionnaires, ne sont par contre pas visées.

La nouvelle taxe vise le compte-titre lui-même. On ne tient plus compte de la capacité contributive du titulaire : si Monsieur Dupont détient 5 comptes-titres de 900.000 euros, il échappera aux mailles du filet (sous réserve de l’application de la nouvelle mesure anti-abus) ; il sera par contre passible de la taxe s’il détient un seul compte-titre de plus d’1.000.000 euros. On ne tient pas davantage compte du nombre de titulaires du compte-titres : un compte-titres de 2.100.000 euros détenu par 3 enfants en indivision sera soumis à la taxe, alors même que la part de chaque enfant est inférieure à 1.000.000 euros. La taxe peut ainsi parfaitement frapper des particuliers possédant un patrimoine (largement) inférieur à 1.000.000 EUR…

Grosse nouveauté : la taxe n'est plus seulement due par les particuliers (comme c’était le cas auparavant), mais elle est étendue aux sociétés. Si une société (PME ou société cotée) investit ses liquidités excédentaires (de plus d’1 million d’euros) dans des actions ou obligations cotées inscrites sur un compte-titres, elle sera passible de la nouvelle taxe. Les actions cotées (inscrites sur un compte-titres) détenues par des riches familles belges à travers des sociétés holdings patrimoniales tomberont par exemple sous le coup de la taxe.

La taxe frappe aussi les comptes-titres détenus par des entités soumises à l'impôt des personnes morales telles que les provinces, les communes, les universités, les hôpitaux, etc. Il est piquant de faire observer que les syndicats (organisés sous la forme d’associations de fait) seraient également visés : leurs « trésors de guerre » (estimés dans certains cas à plusieurs dizaines de millions d’euros) pourraient ainsi être ponctionnés chaque année de 0,15% !

Les comptes-titres détenus par des particuliers au sein de banques étrangères sont également visés, même s’ils sont détenus au travers de certaines « constructions juridiques » étrangères telles qu’un trust à Jersey, une SICAV dédiée luxembourgeoise, une fondation au Liechstenstein, une LLC en Floride, une société (Private Limited Company) hongkongaise, une holding luxembourgeoise (SOPARFI)…

La nouvelle taxe devrait même frapper les comptes-titres détenus dans le cadre de contrats d'assurance-vie de la branche 23, souscrits par des résidents belges auprès de compagnies belges ou étrangères (luxembourgeoises). Inutile de préciser qu’elle met le secteur des assurances en ébullition…

La taxe sur les comptes-titres est robuste

Le gouvernement a cette fois pris soin d’assortir le dispositif d’une mesure générale anti-abus, afin de contrer les stratégies d’évitement de la nouvelle taxe. Celle-ci a même un effet rétroactif à la date à laquelle la taxe a été signalée pour la première fois dans les médias, soit le 30 octobre 2020.

Prenons un exemple. Monsieur Dupont est titulaire d’un compte-titres de 4.500.000 euros. Il pense pouvoir contourner aisément la taxe, en scindant ou saucissonnant son compte-titres de manière à éviter que la valeur totale des titres sur un compte soit de plus d’1 million d’euro (par la détention de 5 comptes-titres d’une valeur de 900.000 euros). Le fisc pourrait dégainer la nouvelle mesure anti-abus s’il a scindé son compte après le 30 octobre 2020.

Risque d’annulation ?

Les filets de la nouvelle taxe sont, on l’a vu, très larges. Le gouvernement espère ainsi éviter le piège des différences de traitement non justifiées, qui a conduit à l’annulation de la première mouture.

Comme on ne fait plus référence à la capacité contributive des contribuables (il s’agit d’une taxe d’abonnement), il y a à mon avis un risque que la Cour constitutionnelle estime que le seuil d’1 million d’euros est arbitraire et entraîne une différence de traitement injustifiée. Le Conseil d’Etat est actuellement en train d’étudier la conformité du texte de l’avant-projet de loi avec la Constitution. Son avis est attendu au début du mois de décembre…

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