15/06/21

Marchés publics. Fausses déclarations d'un tiers à la capacité duquel il est fait appel: exclusion automatique du soumissionn…

Le droit des marchés publics permet aux candidats et aux soumissionnaires de faire appel à des tiers pour remplir les critères de sélection établis, et ce, quel que soit le lien juridique avec ce tiers (sous-traitant, entreprise affiliée, tiers absolu). Pour ce tiers, s'il s'agit d'un marché devant faire l'objet d'une publicité au niveau européen, le Document Unique du Marché européen (DUME) doit être rempli afin de pouvoir vérifier si ce tiers ne doit pas être exclu sur la base des motifs d'exclusion. À cet égard, le tiers concerné peut se rendre coupable de fausses déclarations. Dans son arrêt du 3 juin 2021 (CURIA - Liste des résultats (europa.eu)), la Cour de justice s'est prononcée sur la manière dont le pouvoir adjudicateur doit traiter les fausses déclarations des tiers à la capacité desquels il est fait appel.

1 RECOURS À LA CAPACITÉ D’UN TIERS | DUME À COMPLÉTER

Si un candidat ou un soumissionnaire ne peut pas respecter les critères de sélection qualitatifs imposés par le pouvoir adjudicateur pour un marché public spécifique, il peut avoir recours à la capacité d'autres entités afin de respecter les critères de sélection (cf. art. 78 Loi sur les marchés publics du 17 juin 2016). A cet égard, le candidat ou soumissionnaire doit démontrer qu'il peut effectivement se prévaloir de la capacité de ce tiers en présentant un engagement au nom du tiers (art. 73 AR Passation 18 avril 2017). Dans ce cas, le Document Unique du Marché européen (DUME) doit également être rempli pour ce tiers (art. 73 §1 de la Loi sur les marchés publics). L'absence de ce DUME entraîne la non-sélection cq. l'irrégularité de l'offre (voir également C.E. 10 juillet 2018, n° 242.902). Un DUME distinct devra être rempli pour chaque entité à laquelle il est fait appel à la capacité (voir également C.E. 24 août 2018, n° 242.220).

2 MOTIFS D’EXCLUSION À L’ÉGARD D’UN TIERS À LA CAPACITÉ DUQUEL IL EST FAIT APPEL

Les motifs d'exclusion applicables au candidat ou au soumissionnaire sont également applicables à toute entité à laquelle il est fait appel à la capacité (art. 64, 3° AR Passation). Si un motif obligatoire d'exclusion est invoqué à l'encontre du tiers (par exemple, dettes sociales ou fiscales) ou s'il est reproché au tiers de ne pas remplir le critère de sélection pour lequel sa capacité est requise, le pouvoir adjudicateur doit exiger le remplacement du tiers. Si le motif d'exclusion est facultatif (par exemple, faute professionnelle grave), le pouvoir adjudicateur peut exiger ce remplacement. Si le candidat ou le soumissionnaire ne donne pas suite à cette demande de remplacement, il sera exclu (art. 73 AR Passation). L'un des motifs facultatifs d'exclusion est la réalisation de fausses déclarations graves en rapport avec les motifs d'exclusion ou les critères de sélection (art. 69, 8° Loi sur les marchés publics).

3 LE RAD SERVICE – ARRÊT DU 3 JUIN 2021

Dans une procédure de passation de marché italienne, un soumissionnaire a été exclu parce que l'entité tierce à laquelle il avait fait appel avait fait une fausse déclaration dans son DUME, c'est-à-dire qu'il avait dissimulé un jugement ayant acquis force de chose jugée imposant une sanction à cette entité tierce. En conséquence, le pouvoir adjudicateur italien a considéré que l'obligation de répondre dans le DUME à la question de savoir si une faute professionnelle grave avait été commise avait été violée (cf. art. 69, 3° Loi sur les marchés publics). En vertu du droit italien des marchés publics, le soumissionnaire doit dans ce cas être exclu de plein droit, sans que le soumissionnaire ait la possibilité de remplacer le tiers en question. La Cour de justice a été invitée à vérifier la compatibilité de cette solution avec les directives européennes sur les marchés publics.

Selon la Cour, il résulte des règles relatives aux mesures correctrices (art. 70 de la Loi sur les marchés publics) que ce n'est qu'à titre subsidiaire, si aucune mesure correctrice n'a été prise ou si ces mesures sont jugées insuffisantes, que le remplacement du tiers peut être exigé. C'est encore plus vrai pour les motifs d'exclusion facultatifs, appliqués à des entités tierces sur lesquelles le candidat ou le soumissionnaire n'a aucun contrôle (cf. CJUE 30 janvier 2020, C-395/1). La Cour se réfère, entre autres, à la portée du principe de proportionnalité, tel que contenu dans le considérant 101 précédant la directive 24/2014/UE.

En résumé, la sanction automatique italienne d'exclusion d'un soumissionnaire qui fait appel à la capacité d'un tiers qui fait une fausse déclaration dans son DUME en ce qui concerne les condamnations pénales antérieures (affectant l'intégrité professionnelle) est contraire aux directives sur les marchés publics. Le pouvoir adjudicateur doit prendre en compte les moyens dont dispose le soumissionnaire pour vérifier la véracité des déclarations faites par le tiers concerné. En outre, il est prévu que le pouvoir adjudicateur puisse demander le remplacement de ce tiers, une sanction automatique à l'encontre du soumissionnaire, assortie de la peine disproportionnée de l'exclusion, est démesurée par rapport à l'objectif poursuivi par la réglementation concernée. Toutefois, la Cour rappelle que, en cas de remplacement du tiers, l'offre ne peut être modifiée afin d'assurer l'égalité de traitement des soumissionnaires et la transparence de la procédure.

4 LEÇON POUR LA PRATIQUE BELGE

Les règles belges en matière de marchés publics ne prévoient pas d'exclusion automatique, comme indiqué ci-dessus. En effet, les entités tierces doivent même pouvoir bénéficier de la possibilité de mesures correctrices (cf. article 73, §1, al.2 AR Passation). Or, l'article 70 Loi sur les marchés publics exige que les mesures correctrices soient fournies par le candidat ou le soumissionnaire de sa propre initiative (voir notre précédent e-zine). Cela est potentiellement problématique en ce qui concerne les tiers. Il est donc préférable pour le candidat ou le soumissionnaire prudent de questionner le tiers auquel il veut faire appel à la capacité, c'est-à-dire lors de l'établissement du DUME pour ce tiers, sur la nécessité de signaler des mesures correctrices. En outre, dans l’engagement que doit prendre le tiers, il peut être précisé ce qui se passera si le candidat ou le soumissionnaire n'est pas retenu en raison, par exemple, de fausses déclarations faites par ce tiers.

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