12/05/14

Les « class actions » deviennent réalité en Belgique

Contexte

Dans la foulée de la plupart des pays anglo-saxons (Etats-Unis, Canada et Australie), huit pays européens ont introduit dans leur ordre juridique la possibilité d’introduire une action collective, soit l’Allemagne, Portugal, l’Espagne, l’Italie, de la Suède, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et le Danemark. Chaque pays règlemente toutefois différemment cette action et en particulier les modalités pour se joindre à une action en réparation.

La Commission européenne invite les Etats Membres à introduire dans leur système juridique des mécanismes judiciaires de recours collectifs afin de garantir un accès effectif à la justice et a publié le 11 juin 2013 une recommandation à cet effet. De cette perspective, la Commission européenne a d'ailleurs approuvé, le même jour, une proposition de directive européenne relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit interne pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence.

La Belgique vient de se conformer à la recommandation européenne. Après un long et difficile processus législatif, la loi du 28 mars 2014 a inséré un titre 2 « De l’action en réparation collective » dans le livre XVII « Procédures juridictionnelles particulières » du Code de droit économique.

Vous trouverez ci-après un aperçu des grands axes de cette loi.

Principe

L’action en réparation collective permet à tous les consommateurs qui ont subi un préjudice suite à une cause commune d’obtenir la réparation collective du préjudice individuel subi.

Les consommateurs seront défendus par un représentant reconnu du groupe. Le représentant du groupe devra satisfaire aux conditions prévues dans la loi. Le Ministre compétent peut notamment reconnaître comme représentant du groupe, des associations qui sont dotées de la personnalité juridique depuis au moins 3 ans.

Il est interdit aux avocats d’agir comme représentant du groupe, ils peuvent uniquement assister les représentants reconnus du groupe durant la procédure en justice.

Consommateurs vs. Entreprises

L’action en réparation collective est réservée aux consommateurs et ne portera que sur la relation entre les entreprises et les consommateurs. Contrairement à ce qui était prévu dans les projets de loi initiaux, l’action peut être relative tant à un préjudice matériel qu’à un préjudice corporel ou moral.

L’action en réparation collective peut seulement être introduite contre une entreprise en raison du non-respect de ses obligations contractuelles ou en raison d’une violation d’une des lois, des arrêtés d’exécution et des règlements européens visés dans la liste exhaustive de la loi. Y sont entre autres visés : le Code de droit économique (pratiques du marché et protection des consommateurs, propriété intellectuelle, concurrence), la loi sur les médicaments, la loi réglementant la construction et la vente d'habitations (loi Breyne), la loi sur le contrat d’assurance terrestre, la loi sur la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données personnelles, la loi relative à l’organisation du marché de l’électricité, les lois concernant le transport maritime, ferroviaire et aérien.

Choix en faveur du système d’ « opt-out » avec des exceptions

Les procédures en réparation collective offrent souvent la possibilité de faire un choix.

Deux systèmes peuvent être utilisés :
1. un système d’ « opt-out » selon lequel les victimes doivent explicitement manifester leur volonté de ne pas faire partie du groupe ;

2. un système d’ « opt-in » selon lequel les victimes doivent explicitement manifester leur volonté de faire partie du groupe.

Malgré le fait que la Commission européenne s’est exprimée en faveur d’un système d’ « opt-in » dans sa recommandation de juin 2013, le législateur belge a préféré le système d’ « opt-out » avec toutefois des exceptions.

Le système d’« opt-in » ne sera ainsi autorisé que si (i) le mécanisme d’ « opt-out » n’est pas adapté à la situation concrète du sinistre, (ii) à l’égard de personnes qui résident à l’étranger, et (iii) pour la réparation des dommages corporels. En effet il est très difficile d’apprécier un préjudice corporel sans savoir qui est affecté par ce dernier.

Voie amiable ou procédure judiciaire

Deux types de procédure pourront être initiées par les consommateurs lésés, et ce en fonction de l'existence d'un accord entre ces consommateurs et l'entreprise responsable.
Dans les deux cas, la procédure est introduite par requête auprès du greffe de tribunal de premier instance de Bruxelles.

« Action en réparation collective »

Lorsque les consommateurs n'ont pas négocié un accord avec l'entreprise responsable, ils porteront l'affaire en justice par le biais d'une « action en réparation collective ».

Cette procédure se déroule en cinq phases :

1) La phase de recevabilité

L’action en réparation collective doit obligatoirement être introduite par le représentant reconnu du groupe. Il s’agit soit d’une association de défense des intérêts des consommateurs qui satisfait aux exigences légales, soit d’une association qui satisfait à des conditions cumulatives précises, soit d’un service public autonome qui agit au nom des victimes.

Après avoir vérifié que la requête contient toutes les mentions obligatoires, le juge vérifiera si les conditions de recevabilité contenues dans la loi sont remplies. En outre, le recours à une action en réparation collective doit sembler plus efficace qu’une action de droit commun.

Au cas où le juge déclare l’action recevable, il indique dans sa décision une description précise du préjudice collectif et du groupe de victimes. Cette décision de recevabilité est publiée au Moniteur Belge ainsi que sur le site internet du SPF Economie.

2) Phase de choix

La publication de la décision de recevabilité fait courir un délai pour exercer le mécanisme d’ « opt-out ». Dans sa décision, le juge détermine le délai (min. 30 jours/max. 3 mois) et les modalités selon lesquelles les consommateurs peuvent exercer leur droit d’option afin de ne pas faire partie du groupe.

3) Phase de négociation

Après la décision sur la recevabilité, les parties peuvent exprimer leur préférence, soit pour la négociation, soit pour une procédure judiciaire.

Chacune des parties peut demander de suspendre la procédure en vue de négocier un accord en réparation collective (voir infra « Procédure d’accord de réparation collective »). Ceci suspendra tant le délai d’option que la procédure judiciaire.

Si les négociations aboutissent, le juge homologuera l’accord en réparation collective.

Le délai pour négocier un accord ne peut être inférieur à trois mois ni supérieur à six mois.

4) Continuation de la procédure

Si les négociations échouent, le délai d’option recommence à courir et la procédure judiciaire se poursuit.

Le juge prend ensuite une décision sur le fond de l’affaire. Celle-ci est susceptible d’appel et peut éventuellement faire l’objet d’un pourvoi en cassation.

5) Publicité et exécution

La décision est rendue publique par sa publication au Moniteur Belge et sur le site internet du SPF Economie.

Dans sa décision, le juge désigne aussi un « liquidateur » qui doit garantir l’exécution correcte de la décision. Ce dernier devra transmettre un rapport trimestriel au juge sur l’exécution de sa mission. L’entreprise-défenderesse devra exécuter son obligation de réparation sous le contrôle du liquidateur. Le juge reste saisi jusqu’à ce que l’exécution de la réparation au bénéfice de tous les membres du groupe soit complète.

« Procédure d’accord en réparation collective »

Si les consommateurs préjudiciés ont négocié, en dehors des tribunaux, un accord avec l'entreprise responsable, ils peuvent faire homologuer cet accord par un juge, en vue de son exécution.

Cette procédure d’accord en réparation collective se déroule également en 5 étapes :

1) Phase de négociation

Les parties doivent s’accorder sur une série de points essentiels qui sont énumérés dans la loi.

2) Homologation

L'accord est soumis au juge pour homologation. Ce dernier devra vérifier si l’accord est conforme aux exigences légales. Il peut également refuser l’homologation si un certain nombre d’éléments sont « manifestement déraisonnables ».

3) Publicité

L’accord homologué est communiqué aux victimes connues et est publié en outre au Moniteur Belge et sur le site internet du SPF Economie, ainsi que dans divers journaux, afin que toutes les personnes concernées puissent exprimer leur volonté d’obtenir réparation.

4) Choix

La loi prévoit ici aussi un système d’« opt-out » par lequel les victimes doivent explicitement dire qu’elles ne veulent pas faire partie du groupe.

Les consommateurs doivent faire connaître leur choix au greffe du tribunal de première instance de Bruxelles dans le délai d’option fixé dans la décision homologuée.

5) Exécution

Après le dépassement du délai pour l’exercice du droit d’option, l’accord peut être exécuté et les victimes dédommagées.

Entrée en vigueur

La loi a été publiée au Moniteur belge de ce 29 avril 2014. Un arrêté royal publié le même jour a fixé son entrée en vigueur au 1er septembre 2014. Les actions en réparation collective ne pourront cependant être introduites que lorsque la cause du préjudice est apparue après l’entrée en vigueur de la loi, et ce afin de garantir la sécurité juridique.

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