11/02/11

Le contribuable a des droits

S’il fallait écouter certains hommes politiques, on en viendrait à croire que l’administration n’a que des pouvoirs, et les contribuables seulement des obligations. Des texts inquiétants, comme le rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur la « grande » fraude fiscale, n’ont pour objet que de favoriser l’accroissement des pouvoirs, déjà considérables, du fisc, au détriment de tous. Beaucoup, parmi ceux-ci, adoptent une attitude résignée, en croyant devoir se soumettre, sans conditions, aux exigences, parfois excessives, de certains agents du fisc.

Pourtant, notre système constitutionnel et légal offre à ce jour encore un large éventail de solutions à ceux qui veulent simplement faire respecter leurs droits.

L’accès aux juges civils

Depuis 2001, les litiges en matière fiscale sont tranchés par les tribunaux ordinaires. Ceux-ci sont, même dans le domaine fiscal, indépendants et impartiaux. C’est là en Belgique un avantage important par rapport au sort réservé dans d’autres pays aux litiges fiscaux, tranchés par des juridictions administratives, reputes plus proches des exigences du fisc.

Le juge applique la loi, et seulement la loi. Devant un tribunal civil, l’administration ne bénéficie d’aucun privilège ; elle doit communiqué un dossier complet, et assume dans l’immense majorité des cas la charge de la preuve de ce qu’elle allègue. Le seul fait, pour un agent du fisc, de savoir que ses actes peuvent être soumis à un juge civil, est déjà de nature à l’amener à respecter plus facilement les droits du contribuable.

Bien plus, il n’est pas nécessaire d’attendre d’être taxé pour recourir au juge. De nombreux actes préparatoires, tels que la volonté du fisc de remonter sur 7 ans au lieu de 3 lors d’un contrôle, ou d’accéder à certains renseignements, peuvent faire l’objet d’un recours direct au tribunal.

Enfin, et contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, les recours contre des impositions ont en Belgique un effet suspensif. L’adage fréquemment répété « payer d’abord, réclamer ensuite » est tout simplement faux. En règle, le fisc ne peut exiger le paiement d’un impôt contesté (sauf vente d’immeuble ou remboursement d’autres impôts) qu’après exercice de tous les droits de recours.

Les impôts sont établis par la loi

La Constitution belge comporte un principe de « la légalité de l’impôt ». C’est le législateur, et lui seul, qui fixe des règles générales, et applicables à tous, déterminant l’impôt dû par chacun. L’administration n’a que le pouvoir d’exécuter. Elle ne peut ni dispenser quelqu’un du paiement de l’impôt, ni réclamer des impôts supplémentaires à quelqu’un par rapport à ce que la loi prévoit, ni fixer des conditions pour accorder une exonération, ni négocier le paiement d’une imposition.

C’est de là que provient un principe essentiel, celui du « choix licite de la voie la moins imposée ». En d’autres termes, le contribuable, du moment qu’il n’enfreint pas la loi, peut s’organiser de la manière qu’il entend pour payer le moins d’impôt possible, pour autant que ses actes soient sincères. Ce principe, aujourd’hui menace par certains courants politiques, est primordial : il implique que la loi fixe les règles du jeu et que seul celui qui ne respecte pas ces règles peut être considéré comme un tricheur …

L’accès au dossier administratif

L’article 32 de la Constitution permet à chacun de consulter et d’obtenir copie des documents administratifs, et, notamment, en matière fiscale, de son propre dossier fiscal.

Certains fonctionnaires ne respectent ce droit constitutionnel qu’avec réticence, voire l’ignorent. Ils considèrent abusive une demande formulée à un moment où le fisc « enquête » sur un contribuable, alors que c’est bien sûr à ce moment là que ce droit présente le plus d’utilité.

C’est aussi une attitude très fermée qu’oppose, sans doute illégalement, le fisc face à toute tentative de connaître ses critères de sélection des dossiers soumis à contrôle.

Le droit à la sécurité juridique

Le minimum qu’on puisse attendre d’un Etat est que les règles à respecter, surtout si c’est à peine de sanctions, puissent être connues de tous et que leur contenu soit clair. Le moins qu’on puisse dire, en lisant la législation fiscale, est que c’est loin d’être le cas. Du moins, en matière fiscale, la confusion des textes est en général tempérée par l’application d’un adage « in dubio contra fiscum » : dans le doute, on applique la « franchise générale des personnes et des choses », ce qui suppose que si la règle n’est pas
claire, l’impôt n’est pas dû.

Il existe toutefois une tendance, au sein des milieux politiques, à amener le contribuable, non pas à trouver la sécurité là où elle devrait se trouver, c’est-à-dire dans la loi, mais des accords avec l’administration. C’est cette idée qui prévaut dans le système dit des « rulings » : un Service des Décisions Anticipées peut accorder au contribuable un accord, qui lie en principe le fisc, sur une operation déterminée, qui doit d’abord lui être expliquée de manière suffisamment détaillée.

Ce système, dont beaucoup de contribuables se contentent, faute de mieux, est pernicieux dans son principe : il induit en effet le législateur à rédiger des textes de plus en plus obscurs, en partant de l’idée qu’il suffira de demander l’accord de l’administration pour savoir ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Cela revient en pratique à transférer le pouvoir d’établir de l’impôt, subrepticement, du législateur au pouvoir exécutif ! De plus, la sécurité juridique offerte par ce système est souvent fallacieuse ; la loi prévoit explicitement que si l’accord se révèle contraire à des Traités internationaux ou à la loi belge elle-même, il ne lie pas le fisc. Comme l’objet de la demande de ruling est précisément de savoir si un texte est ou non conforme à la loi, cela réduit la sécurité juridique effective à peu de chose. De plus, et sans que cela remette en cause la compétence de ses membres, ce service a une fâcheuse tendance à ajouter au texte légal des conditions supplémentaires avant d’accorder son accord, de sorte que ce n’est plus la loi qui est appliquée, mais une jurisprudence fluctuante d’un organe administratif. Tout cela est directement contraire à nos principles constitutionnels.

Ce bref exposé à pour objet de montrer que, comme tout citoyen, le contribuable dispose de droits constitutionnels, et des droits fondamentaux de la personne humaine. Mais, aujourd’hui, il existe un risque important de remise en cause de certains de ces droits, sous prétexte de lutte contre la fraude. Comme si celle-ci, légitime dans son principe, pouvait prévaloir sur la notion d’Etat de droit …

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