29/04/21

Collusion dans les marchés publics – La Commission européenne publie des lignes directrices

La collusion, généralement appelée "bid rigging", désigne des accords illicites entre opérateurs économiques visant à fausser, voire à empêcher la libre concurrence dans la procédure de passation d'un marché public. Le 15 mars 2021, la Commission européenne a publié des lignes directrices à ce sujet. Après tout, dans la pratique, il n'est pas toujours facile pour les pouvoirs adjudicateurs d'identifier et de combattre les (tentatives de) ‘bid rigging’. Cela a été souligné dans la jurisprudence récente. 

COLLUSION OU ‘BID RIGGING’

Les accords illicites entre opérateurs économiques participant à des procédures de marchés publics peuvent prendre de nombreuses formes. Les parties peuvent coordonner le contenu de leurs offres respectives (y compris le prix), retirer tactiquement leur offre ou décider de ne pas soumissionner, recourir à la sous-traitance, modifier la combinaison avec laquelle elles soumissionnent, etc. 

Le bid rigging n'est pas un phénomène nouveau. Il y a dix ans, la Commission européenne a publié des lignes directrices sur la compatibilité de certains accords de coopération avec les règles de concurrence (Communication de la Commission – Lignes directives sur l'applicabilité de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux accords de coopération horizontal Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE (europa.eu)). L'Autorité belge de la Concurrence a également publié en 2017 des lignes directrices sur la ‘collusion dans les marchés publics’ (voir ici). Le ‘détournement’ d'un marché public est une infraction pénale en Belgique depuis de nombreuses années (article 314 du Code pénal). 

La raison de ces nouvelles lignes directrices est la crise sanitaire sur COVID-19, qui oblige les pouvoirs adjudicateurs à agir rapidement et peut inciter des entrepreneurs de moins bonne foi à abuser du chaos.

Un point de référence est non seulement l'article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui interdit les accords qui empêchent, restreignent ou faussent le fonctionnement du marché intérieur, mais aussi le motif facultatif d'exclusion introduit par les Directives sur les marchés publics de 2014 en ce qui concerne les indications plausibles de bid rigging. 

Le législateur belge a intégré ce motif d'exclusion dans la Loi relative aux marchés publics de 2016. Les pouvoirs adjudicateurs ont la possibilité d'exclure des participants de la procédure de passation de marché, à n'importe quel stade de la procédure, s'ils disposent d'indications suffisantes et plausibles que ces participants ont accompli des actes, conclu des accords ou des arrangements, visant à fausser la concurrence. Ce motif d'exclusion est donc une dérogation à l'article 101 du TFUE et, avant 2017, il était déjà possible d'exclure les opérateurs économiques de la procédure d'attribution ou d'arrêter les contrats en cours sur cette base. En outre, ce motif d'exclusion est plus souple en termes de charge de la preuve que la faute professionnelle dite grave, où le pouvoir adjudicateur doit prouver que l'opérateur économique concerné a commis une faute mettant en cause son intégrité. Ici, des ‘indications suffisamment plausibles’ sont suffisantes.

LES NOUVELLES LIGNES DIRECTRICES : QUAND Y A-T-IL COLLUSION ?

Cependant, il n'est pas évident pour les pouvoirs adjudicateurs d’établir ces constatations. Les récentes lignes directrices de la Commission ont pour but d'aider, en expliquant quand ce motif d'exclusion facultatif peut être appliqué et comment les pouvoirs adjudicateurs peuvent détecter ou prévenir la collusion.

Étant donné que ni les Directives sur les marchés publics ni la Loi relative aux marchés publics de 2016 ne développent la notion d'’indications suffisamment plausibles’, les pouvoirs adjudicateurs peuvent prendre en compte toutes les circonstances d'où découle une suspicion de collusion ou dans lesquelles un comportement anticoncurrentiel peut être perçu.

Afin de fournir un cadre à cet égard, les lignes directrices européennes prévoient un certain nombre de situations dans lesquelles il peut être question d’une collusion et où une vigilance accrue est donc requise :

  • Un soumissionnaire conclut un contrat de sous-traitance avec un autre soumissionnaire dans le cadre de la même procédure de passation ;
  • Deux ou plusieurs entreprises liées soumissionnent ;
  • La composition des combinaisons change au cours de la procédure de passation ou certaines parties non sélectionnées soumissionnent à un stade ultérieur ;
  • Les participants font preuve d'un certain comportement concerté du marché: ils ne soumissionnent jamais tous les deux pour le même marché, ils limitent leurs soumissions à certaines régions, ils se relaient dans les procédures de passation, etc.;
  • Les offres contiennent des parties de texte identiques (par exemple, dans le plan d'approche) ou des erreurs identiques (par exemple des erreurs de calcul) ;
  • Les offres contiennent des traces de collaboration, par exemple l'utilisation du même en-tête ou des coordonnées d'un autre soumissionnaire ;
  • Les prix proposés sont suspects, par exemple supérieurs ou inférieurs à ceux de marchés similaires antérieurs, des prix anormaux sont proposés par plusieurs soumissionnaires, un seul soumissionnaire propose un prix normal, etc. ;
  • Participation d'un soumissionnaire précédemment sanctionné pour collusion (indépendamment de la possibilité pour ce soumissionnaire de prendre des mesures correctives) ;  
  • Les offres démontrent des particularités, par exemple, la même personne représente plusieurs soumissionnaires. 
  • Dans ce contexte, il est clair que la sous-traitance, la formation d’une combinaison ou d’une simultanéité de soumissions de sociétés liées sont toutes permises, mais elles doivent donner lieu à une vigilance accrue. Pourquoi, par exemple, l'entreprise X s’inscrit-elle conjointement avec l'entreprise Y, alors que X peut facilement répondre aux exigences par elle-même ?

Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, un pouvoir adjudicateur ne peut pas rejeter de manière automatique et générale des offres soumises de cette manière, mais doit donner aux entreprises concernées la possibilité de prouver que les offres étaient réellement indépendantes les unes des autres. Le pouvoir adjudicateur dispose d'une marge d'appréciation assez large pour évaluer ces preuves. 

En cas de doute, il est toujours possible de contacter l'autorité de la concurrence.

LES NOUVELLES LIGNES DIRECTRICES : COMMENT PRÉVENIR LA COLLUSION ?

Premièrement, la Commission souligne que la procédure de passation peut être conçue de manière à réduire le risque de bid rigging. D’après la Commission, c'est le cas lorsque le plus grand nombre possible de participants nationaux et internationaux ont la possibilité de prendre part à la procédure. Les barrières qui empêchent ou limitent la participation (internationale) sont à exclure. Il est fait référence à l'utilisation de conditions de sélection et d'attribution inutiles, non pertinentes ou discriminatoires, à l'importance excessive accordée au prix le plus bas, à l'absence de solutions innovantes aux besoins publics, à l'absence de publication (autant que possible) du marché, etc. 

Il est également recommandé de réaliser une étude de marché au préalable (qui sont les acteurs, quel est le prix, où puis-je trouver des informations fiables sur les participants potentiels, etc.) et d'éviter la répétition de cahiers des charges ou des conditions prévues dans les cahiers des charges, auxquels les soumissionnaires peuvent anticiper. Il est également conseillé de prévoir un délai suffisant pour la procédure de passation de marché afin que le pouvoir adjudicateur ait le temps d'évaluer les participants et leurs offres. Le recours à des centrales d'achat au sein desquelles le know how et les ressources peuvent être mis en commun est également recommandé. Les contrats-cadres, en revanche, pourraient être propices à la collusion, puisque de nouveaux acteurs du marché ne sont pas impliqués.

Enfin, les documents du marché peuvent exiger une déclaration sur l'honneur quant à la nature indépendante de la soumission. 

En savoir plus? Le 25 mai 2021, Lydian organise un webinaire sur les conflits d'intérêts et la collusion dans les marchés publics. 

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