12/02/21

Lancez l’alerte ! Nouvelle protection européenne pour les lanceurs d’alerte.

Imaginez…

Vous êtes CEO et un jour, une collaboratrice senior du département Finances vous demande un entretien entre quatre yeux. Lors de cette rencontre, la collaboratrice vous signale qu’elle soupçonne sérieusement son supérieur de commettre des fraudes. Elle nourrit ce soupçon depuis un petit temps, mais ne savait trop qu’en faire. La politique de l’entreprise stipule en effet que les collaborateurs doivent signaler les éventuelles infractions à leur manager supérieur. La collaboratrice en question ne pouvait donc pas suivre cette procédure puisqu’elle visait son supérieur. 

À la fin de l’entretien, elle ajoute que la politique de votre entreprise doit être revue de toute urgence. À ses yeux, les entreprises devront prochainement instaurer un système permettant aux travailleurs de signaler les éventuelles infractions en toute sécurité, sans courir le risque de représailles. Vous devez bien admettre que vous n’étiez pas au courant de ce changement. Qu’en est-il véritablement ? Il est temps de contacter votre département juridique…


Quelques précisions.

De grands scandales récents, tels que les Dieselgate, Luxleaks, Panama Papers et Cambridge Analytica ont été révélés par des individus, principalement des employés, qui ont fait part de leur inquiétude quant à d’éventuelles violations de législations importantes, souvent à leurs risques et périls. Dans la pratique, la protection des « lanceurs d’alerte » est extrêmement fragmentée dans l’Union européenne. De nombreux lanceurs d’alerte potentiels s’abstiennent de signaler des infractions par peur de représailles.  

En octobre 2019, l’Union européenne a dès lors approuvé une directive instaurant une protection minimale commune au sein de toute l’Union européenne pour les lanceurs d’alerte. Cette directive doit être transposée dans le droit national de chaque État membre à la fin de cette année (au plus tard le 17 décembre 2021). 

Quelles sont les infractions concernées ? La protection des lanceurs d’alerte s’applique aux infractions à la législation importante de l’Union européenne. La législation concernée est spécifiée dans la directive, et  couvre entre autres la matière des marchés publics, des services financiers, la sécurité des denrées alimentaires et des produits, la protection de l’environnement, la protection de la vie privée, l’impôt des sociétés et le droit de la concurrence. Cette directive n’édicte qu’une protection minimale. Les États membres peuvent donc fixer ou appliquer des règles plus favorables aux lanceurs d’alerte. 

Qui bénéficie d’une protection ? La protection vise le signalement d’informations, obtenues dans un contexte professionnel par un travailleur ou un indépendant, relatives à des infractions. Elle s’étend aux tiers liés, comme des collègues ou des membres de la famille des lanceurs d’alerte. La protection s’applique pour le signalement d’infractions commises par l’organisation pour laquelle travaille le lanceur d’alerte, ou par des organisations avec lesquelles il a été en contact dans le cadre de son travail, notamment des concurrents, des fournisseurs ou des clients. Il faut toutefois que le lanceur d’alerte ait eu des motifs raisonnables de penser que les informations qu’il transmet sur les éventuelles infractions sont véridiques. La protection ne s’applique pas aux signalements malveillants, fantaisistes ou abusifs. 

Quelles sont les initiatives à entreprendre pour les entreprises ? Toute entreprise comptant au moins 50 travailleurs, quelle que soit la nature de ses activités, est tenue d’instaurer des canaux de signalement interne. Elle peut gérer ces canaux en interne ou en confier la gestion à un tiers. Dans les deux cas, le signalement doit pouvoir être donné oralement ou par écrit, l’identité du lanceur d’alerte doit être protégée et un suivi rigoureux doit être assuré par un département ou une personne impartial(e). Le suivi implique entre autres que l’auteur d’un signalement reçoive un accusé de réception dans les sept jours et un retour d’informations dans un délai raisonnable (qui n’excédera pas trois mois). Les canaux de signalement interne doivent également mettre à disposition des informations concernant les canaux de signalement externes, aux autorités. 

Le lanceur d’alerte est-il également protégé s’il adresse son signalement en dehors de l’organisation ? Oui. Les canaux de signalement externes doivent être désignés par les États membres de l’UE conformément à la directive. Le lanceur d’alerte bénéfice dans certains cas de la protection visée par la directive même s’il révèle l’infraction par voie de presse. C’est le cas lorsque les canaux de signalement interne et externe n’ont pas pris de mesures adéquates suite à un signalement antérieur. 

Last but not least : de quelle protection jouit le lanceur d’alerte ?La protection est très vaste. Elle comprend une interdiction de toute forme de représailles. Par représailles, l’on entend par exemple le licenciement, la discrimination, l’intimidation, le refus de promotions, ou encore l’ajout sur une liste noire ayant pour conséquence que le lanceur d’alerte ne pourra plus trouver d’emploi dans le secteur concerné. Si un fournisseur ou un client agit en qualité de lanceur d’alerte, il est interdit de résilier de façon anticipée son contrat en guise de représailles. La directive impose aux États membres de prévoir des mesures de protection à l’encontre de ce type de représailles. Ainsi, ils doivent par exemple prévoir que les lanceurs d’alerte ne peuvent être tenus responsables pour leur signalement ou révélation dans le cadre de procédures judiciaires à leur encontre, qu’il s’agisse de procédure en diffamation, en violation de secrets d’affaires ou de la règlementation en matière de protection de données à caractère personnel. 


Concrètement:

  • Une protection minimale sera applicable dans l'UE pour des auteurs de signalement d’infractions présumées de législations importantes s’appliquera d’ici fin 2021. Les États membres peuvent aller plus loin et instaurer un régime plus favorable. 

  • Toute entreprise comptant au moins 50 travailleurs doit prévoir des canaux de signalement interne garantissant l’anonymat des lanceurs d’alerte et doit assurer un suivi rigoureux des signalements. 

  • Les lanceurs d’alerte doivent être protégés de toute forme de représailles et ne peuvent être tenus responsables d’un signalement d’infractions dénoncées, même si ce signalement entraine une violation de leurs obligations de confidentialité.  

  • La protection s’applique non seulement aux lanceurs d’alerte, mais aussi à leurs collègues et aux membres de leur famille. Les lanceurs d’alerte sont également protégés s’ils signalent les infractions aux autorités compétentes et éventuellement à la presse. 


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