20/02/20

La liberté d’expression du travailleur, droit absolu ou passible de restrictions ?

Dans son arrêt du 5 novembre 2019, la Cour européenne des Droits de l’Homme s’est prononcée sur la liberté d’expression d’un travailleur au regard de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et a conclu à une violation de ce droit fondamental.

Les faits :

Un ressortissant hongrois était employé par une banque auprès du département des ressources humaines. Ce dernier rédigeait également des articles concernant les pratiques en matière de ressources humaines sur un site internet.

Après avoir pris connaissance des articles publiés, la banque a décidé de procéder au licenciement du travailleur en invoquant une violation des règles de confidentialité et des nuisances à ses intérêts financiers.

Le travailleur a contesté son licenciement devant les juridictions nationales qui se sont prononcées en faveur de la banque en considérant qu’un risque pour les intérêts commerciaux de l’employeur existait et que les articles en question n’étaient pas protégés par la liberté d’expression.

L’employé de la banque a porté sa cause devant la Cour européenne des Droits de l’Homme en invoquant une violation de l’article 10.

La décision :

La Cour constate que le cas d’espèce implique la mise en balance nécessaire de deux droits fondamentaux : d’une part, le droit à la liberté d’expression du travailleur dans le cadre de sa relation professionnelle et d’autre part, le droit de l’employeur à la protection de ses intérêts commerciaux.

Afin d’effectuer cette mise en balance, la Cour analyse si la protection des intérêts commerciaux peut conduire à des restrictions à la liberté d’expression. Elle raisonne en quatre temps et constate que :

1) Les articles litigieux sont de nature à être protégés par la liberté d’expression car ils présentent les caractéristiques d’une discussion d’intérêt public.

2) L’intention de l’auteur n’est pas conflictuelle ou contraire aux intérêts de l’entreprise.

3) Il convient de démontrer en quoi les propos tenus ont occasionné un préjudice pour l’employeur. Il ne suffit pas d’invoquer l’existence d’un préjudice potentiel.

4) La gravité de la sanction imposée est-elle adéquate vu les propos ? En l’occurrence, la perte du travail est une sanction grave renforcée par le fait qu’aucune mesure moins lourde n’a été envisagée.

Vu ces éléments, la Cour a décidé qu’en l’espèce, aucune réelle mise en balance des intérêts de chacune des parties n’avait été effectuée.

Le licenciement intervenu a donc restreint de manière injustifiée à la liberté d’expression du travailleur. En agissant de la sorte, l’employeur a violé l’article 10 de la CEDH.

Que retenir ?

Cet arrêt rappelle que la liberté d’expression du travailleur n’est pas absolue et peut faire l’objet de restrictions. A cette fin, une mise en balance des intérêts en présence doit être effectuée notamment au moyen d’une grille d’analyse composée de 4 critères auxquels se réfère la Cour.

Source : Cour eur. D.H., arrêt Herbai c. Hongrie, 5 novembre 2019, req. n° 11608/15

Thomas Lecomte  

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