19/11/19

La Cour européenne des droits de l'homme autorise l'utilisation de la vidéosurveillance secrète des employés

Dans une affaire récente et historique du 17 octobre 2019 (nos 1874/13 et 8567/13, López Ribalda c. Espagne), la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme juge que l'utilisation par un supermarché espagnol de caméras de vidéosurveillance secrètes ayant entraînée le licenciement de plusieurs travailleurs coupables de vols, ne constitue pas une restriction au droit à la vie privée de ces travailleurs.

L'affaire concerne un certain nombre de travailleurs, dont des caissiers et des vendeurs. En l’espèce, le directeur du supermarché soupçonnait que des vols prenaient place au sein de l’enseigne vu l’écart important constaté entre les stocks et les chiffres de vente.

En réaction, celui-ci a donc décidé d’installer un système de surveillance par caméras. Les travailleurs avaient alors été tenus au courant de l’installation d’un système sans toutefois être informés de l'existence de caméras cachées.

Après le rappel par l'autorité espagnole de traitement des données de l’obligation d'information à l’employeur, ce dernier avait en effet indiqué à ses travailleurs qu'il existait une surveillance par caméra dans le supermarché, sans cependant en indiquer l'emplacement.

Des vols et détournements ont ensuite été enregistrés et 14 travailleurs se sont vu licenciés sur cette base. Cinq de ces travailleurs ont ensuite poursuivi leur employeur devant les tribunaux espagnols où leurs demandes furent rejetées. Ceux-ci décidèrent donc finalement de porter l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Dans son arrêt du 17 octobre 2019, la Grande Chambre examine donc si les juridictions espagnoles ont rendu leur arrêt conformément à l'article 8 de la CEDH (droit à la vie privée), ce qui semble bien être le cas en l’espèce.

En effet, selon la Cour, la vidéosurveillance était notamment justifiée par les soupçons de vols. Il a notamment été soulevé que les caméras secrètes se limitaient à filmer la caisse enregistreuse, endroit sensible au niveau des vols.

En outre, la durée du contrôle n'était pas excessivement longue et n'allait pas au-delà de ce qui était nécessaire pour confirmer lesdits soupçons. Dès lors, selon la Cour, de telles mesures n’étaient pas contraires au droit à la vie privée, la surveillance par caméra ayant duré dix jours et s'étant arrêtée lorsque suffisamment de preuves étaient disponibles et les coupables identifiés.

La Cour tient ensuite compte des attentes raisonnables que pourraient avoir les employés sur leur lieu de travail en matière de protection de la vie privée. En l’espèce, dès lors que les caméras fonctionnaient en permanence, les travailleurs ne pouvaient pas échapper à cette vidéosurveillance d’une part, et d'autre part, ceux-ci évoluaient dans un endroit accessible au public au sein duquel il y avait un contact continu avec la clientèle. Les travailleurs ne pouvaient donc légitimement s'attendre à une grande intimité. Il ne s'agissait en effet pas d'un endroit privé (tels que des toilettes ou un vestiaire par exemple).

De telles attentes légitimes en matière de protection de la vie privée pourraient en revanche constituer un obstacle dans un lieu de travail plus fermé, comme un bureau par exemple. Cependant, même dans un tel endroit, les attentes en matière de protection de la vie privée doivent être moindres lorsque celui-ci est visible, accessible à des collègues ou encore au grand public.

Enfin, la Cour a jugé que l’information des travailleurs quant à la mise en place d’une vidéosurveillance constituait une obligation fondamentale, surtout dans une relation de travail dans laquelle l'abus de pouvoir doit être évité. Toutefois, la Cour rappelle que cette obligation d'information n'est que l'un des critères d'évaluation d'une violation du droit à la vie privée.

Un impératif supérieur, privé ou public, en ce compris notamment les intérêts économiques d’un supermarché (l’employeur), pourrait donc justifier l’absence d’information préalable.

Pour reprendre les termes de la Cour : " En effet, si elle (la Cour) ne saurait accepter que, de manière générale, le moindre soupçon que des détournements ou d’autres irrégularités aient été commis par des employés puisse justifier la mise en place d’une vidéosurveillance secrète par l’employeur, l’existence de soupçons raisonnables que des irrégularités graves avaient été commises et l’ampleur des manques constatés en l’espèce peuvent apparaître comme des justifications sérieuses. Cela est d’autant plus vrai dans une situation où le bon fonctionnement d’une entreprise est mis à mal par des soupçons d’irrégularités commises non par un seul employé mais par l’action concertée de plusieurs employés, dans la mesure où cette situation a pu créer un climat général de méfiance dans l’entreprise. ».  

Par conséquent, la Cour décide qu’aucune violation au droit à la vie privée n’existe en l’espèce.

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