13/06/12

Transfert sous autorité de justice : priorité à l’emploi

« Transfert sous autorité de justice » : voilà bien une notion trop méconnue du monde des affaires. Le présent article a pour objet de préciser les contours de cette procédure et de mettre en lumière les possibilités que celle-ci peut apporter à la sauvegarde de l'emploi lorsqu'une société est en difficulté. Dans la plupart des cas, un transfert sous autorité de justice peut en effet être une réelle alternative pour tout ou partie d'une société en difficulté par rapport à la faillite.

Quelques repères préalables

Le transfert sous autorité de justice est l'un des trois objectifs de la nouvelle procédure en réorganisation judiciaire introduite par la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises.

En adoptant cette nouvelle loi, le législateur a souhaité mettre fin au régime du concordat judiciaire et réformer en profondeur le droit applicable aux entreprises en difficulté en ayant pour objectif premier de préserver au mieux leur continuité et leurs emplois (voir à ce sujet le supplément de La Libre du 28 avril 2012).

La procédure en réorganisation judiciaire offre à l'entreprise en difficulté un « portail » de trois solutions pour opérer sa restructuration : (i) la réorganisation judiciaire par accord amiable (l'entreprise en difficulté conclut un accord amiable avec deux ou plusieurs de ses créanciers visant à réduire ses dettes et/ou à étaler leurs paiements); (ii) la réorganisation judiciaire par accord collectif (l'entreprise établit un plan de réorganisation pour l'ensemble de ses dettes avec l'accord de ses créanciers - cet objectif est celui qui se rapproche le plus de l'ancien concordat judiciaire - cet objectif est celui qui se rapproche le plus de l'ancien concordat judiciaire) ; et enfin (iii) la réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice (tout ou partie de son entreprise ou de ses activités est transférée à un ou plusieurs tiers).

Un O.J.M.I.?

Malgré près de trois années d'existence, la réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice reste souvent un O.J.M.I. (objet juridique mal identifié) pour de nombreux acteurs de terrain.

Il faut avouer que ce transfert est particulier à plus d'un égard. Tout d'abord, le transfert est ordonné par le tribunal de commerce et il est organisé et réalisé par un mandataire de justice. Si les dirigeants n'ont aucun rôle actif dans le cadre de cette procédure, il convient tout de même de souligner qu'ils conservent leur pouvoir de direction et de gestion de l'entreprise.

Ensuite, il peut être volontaire ou forcé. En effet, le législateur a prévu que le transfert sous autorité de justice peut être demandé (i) à l'initiative de l'entreprise en difficulté ou (ii) à l'initiative du Procureur du Roi, d'un créancier ou de toute personne ayant un intérêt à acquérir tout ou partie de l'entreprise. Ce second type de transfert est dit forcé ou imposé. Ce transfert forcé peut paraître choquant étant donné qu'il peut - sous le respect de certaines conditions - être ordonné sans le consentement du débiteur. Toutefois, dans certaines situations, il peut être une issue salutaire pour une entreprise en difficulté et ses travailleurs, comme l'a démontré l'actualité récente.

En effet, la reprise des activités de la société Laboratoires Thissen, société pharmaceutique, et la sauvegarde de la moitié de ses emplois résulte de l'application d'un transfert sous autorité de justice forcé à l'initiative du Procureur du Roi, ce qui a permis d'éviter la faillite de cette société que voulaient ses dirigeants et actionnaires.

Continuité pour les travailleurs aussi ?

Le transfert sous autorité de justice a également une autre particularité : le législateur a désiré privilégier la sauvegarde d'un maximum d'emplois. Ainsi, dans l'hypothèse où il y a plusieurs offres qui se présentent pour reprendre l'entreprise en difficulté et que ces offres sont comparables, la priorité doit être accordée à celle qui garantit la sauvegarde du plus grand nombre d'emplois.

Et dans quelles conditions ?

La question de la protection des droits des travailleurs dans le cadre de ce type de transfert a donné du fil à retordre au législateur : fallait-il en effet opter (i) pour le régime de protection maximal applicable au transfert conventionnel d'entreprise qui prévoit le maintien des droits des travailleurs (dont leur ancienneté, leurs conditions de travail et de rémunération) et donc le transfert automatique de tous les contrats de travail, ou (ii) pour le régime plus souple applicable à la reprise de l'actif après faillite qui permet au repreneur de choisir librement les travailleurs qu'il désire reprendre et de rediscuter des conditions de travail de ces travailleurs.

La question a été réglée par un « compromis à la belge » : le législateur a opté pour un régime distinct qui était censé être provisoire (celui-ci devant être remplacé par la convention collective de travail (« CCT ») n°102 conclue entre les partenaires sociaux le 5 octobre 2011).

Le principe général de ce compromis est le maintien des droits et obligations des travailleurs avec une possibilité pour le repreneur et les représentants des travailleurs de modifier les conditions de travail dans le cadre d'une négociation collective. Par ailleurs, le repreneur peut choisir les travailleurs qu'il souhaite reprendre sous deux conditions : le choix du repreneur doit être dicté par des raisons techniques, économiques ou organisationnelles et s'effectuer sans différenciation interdite.

Enfin, le législateur a également entendu privilégier le principe de la transparence vis-à-vis des travailleurs et ce dès le début de la procédure. L'entreprise en difficulté doit ainsi notamment se conformer aux obligations d'information et de consultation des travailleurs, que ce soit via leurs organes de représentation ou individuellement.

La CCT n°102 qui entrera en vigueur bientôt n'apporte pas de changement fondamental quant à ces principes. Elle tend toutefois à compléter le régime prévu dans la loi en précisant notamment les dérogations au maintien des droits des travailleurs, le sort des dettes liées aux contrats de travail et l'obligation de conclure une convention de transfert réglant les modalités sociales de celui-ci.

Une piste à suivre...

Le transfert sous autorité de justice n'est certes pas un remède miracle pour toutes les entreprises en difficulté mais cette procédure a le mérite d'assurer la continuité d'une entreprise avec le maintien du fonds de commerce, contrairement à la faillite qui engendre la discontinuité du fonds de commerce et une perte de valeur de celui-ci.

En cette matière, comme en beaucoup d'autres, il faut donc avant tout informer pour changer les mentalités et ainsi entrouvrir une porte vers une réelle alternative à envisager que la faillite d'une entreprise en difficulté.

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