26/06/12

Durée impérative du droit d’emphytéose: implications et limites

La durée minimale et maximale d’un droit d’emphytéose étant impérative, il est intéressant d’analyser si et dans quelle mesure cette règle peut être légalement contournée, notamment à l’aune de certaines clauses rencontrées dans la pratique.

Principe et position du problème

Le droit d’emphytéose ne peut être établi pour un terme excédant 99 ans, ni inférieur à 27 ans. Cette obligation est inscrite à l’article 2 de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit d’emphytéose et son caractère impératif ne fait guère débat.

La question est dès lors de savoir si et dans quelles circonstances un droit d’emphytéose pourrait, le cas échéant, avoir une durée inférieure à 27 ans ou supérieure à 99 ans.

S’il est convenu dès l’origine que l’emphytéose aura une durée inférieure au minimum légal ou supérieure au maximum légal, la contrariété à la règle impérative ne fait pas de doute et l’emphytéose serait d’office ramenée, respectivement, à un minimum de 27 ans ou à un maximum de 99 ans, sous réserve, dans le premier cas, d’une éventuelle requalification en bail de longue durée.

Plus délicate est la question de savoir quelle est la valeur juridique d’une clause qui, sans en avoir l’objet, a pour effet direct ou indirect de contourner la durée légale minimum et/ou maximum.

Condition résolutoire

Il n’est pas rare de trouver, dans les baux emphytéotiques, la clause selon laquelle le droit d’emphytéose sera résolu de plein droit en cas de faillite ou d’autre procédure d’insolvabilité frappant l’emphytéote, ou plus généralement en cas de dissolution de l’emphytéote personne morale.

La validité de ce type de clause a été admise par la Cour de cassation, selon laquelle l’article 2 de la loi du 10 janvier 1824 « ne fait pas obstacle à ce que les parties prévoient dans leur bail la clause que l’emphytéose pourra prendre fin, même avant l’expiration du terme minimum de 27 ans, en cas de procédure en constatation d’insolvabilité ou en dissolution de la personne morale qui est l’emphytéote » (Cass., 30 mars 2006, C.04.0486.N).

Cette solution nous paraît pleinement justifiée et transposable à d’autres types de conditions résolutoires, encore qu’il faille bien en mesurer les pourtours. En effet, il nous semble que l’enseignement de la haute Cour contient à tout le moins deux conditions en arrière-plan : (i) d’une part, la condition résolutoire ne peut être rédigée telle que, dès l’origine, il serait acquis que la durée de l’emphytéose sera inférieure à 27 ans ; (ii) d’autre part, la condition résolutoire doit comporter un élément extrinsèque tel qu’elle ne puisse se réaliser par la seule volonté des parties. En d’autres termes, il doit donc s’agir d’une réelle condition, à savoir un événement futur et incertain, qui ne peut être potestative.

Clause de renouvellement automatique

La validité des clauses prévoyant un renouvellement automatique de l’emphytéose, ou octroyant à une des parties (la plupart du temps l’emphytéote) un droit de renouvellement à l’issue de la période initiale, peut également susciter des problèmes.

Il n’est pas contesté, ni même contestable, que ce type de clause sera valide lorsque le renouvellement n’implique aucun dépassement de la durée maximale d’un droit d’emphytéose. Ainsi, une emphytéose octroyée pour 49 ans peut valablement contenir un droit de renouvellement pour la même durée, automatique ou par la volonté d’une des parties, dès lors que la durée de l’emphytéose renouvelée restera en deçà de 99 ans.

En revanche, nous sommes d’avis que les clauses qui ont pour but ou pour effet de permettre au droit d’emphytéose de survivre à l’issue des 99 ans ne sont pas valides.

Il faut tout d’abord rappeler qu’aux termes de l’article 14 de la loi du 10 janvier 1824, l’emphytéose ne peut se renouveler tacitement, mais elle peut continuer d’exister jusqu’à révocation.

En outre, la durée de l’emphytéose est une règle impérative et, à ce titre, le propriétaire ne peut y renoncer que lorsque la règle a pu jouer, lorsqu’elle a eu son plein effet. Ce n’est donc qu’après l’expiration des 99 ans que le propriétaire peut valablement renoncer à cette durée maximale légale.

Il convient cependant de préciser qu’en pratique, l’illicéité de principe d’une telle clause – qu’il n’est pas rare de rencontrer – pourrait n’avoir aucun effet juridique, dès l’instant où aucune des parties ne s’oppose à l’application de la clause et à la prolongation subséquente du droit d’emphytéose.

Cette situation peut toutefois mettre l’emphytéote dans une situation de risque et d’incertitude s’il n’est pas en mesure de démontrer une intention de nover dans le chef du propriétaire, ou à tout le moins le consentement éclairé du propriétaire, tacite ou exprès, à savoir l’approbation consciente de la constitution d’un nouveau droit, en parfaite connaissance du caractère impératif de la durée maximale de l’emphytéose expirée.

A défaut, le propriétaire pourrait soulever, dans certaines circonstances, et même des années plus tard, le caractère impératif de la durée de l’emphytéose pour y mettre fin, dans les mêmes conditions que celles qui prévalent en cas de maintien de l’emphytéote dans les lieux au terme de l’emphytéose, à titre précaire et de simple tolérance du propriétaire, jusqu’à révocation.

Terminons par un mot sur un dernier type de clause qui se rencontre le plus souvent dans les emphytéoses octroyées à des personnes physiques et qui stipule qu’en cas de cession de l’emphytéose, le propriétaire accepte de mettre un terme à l’emphytéose en cours et d’octroyer un nouveau droit d’emphytéose, qui pourra à nouveau courir pendant 99 ans. Le but est bien entendu de pouvoir faire profiter ses héritiers de l’emphytéose, et pourquoi pas de manière perpétuelle.

Il nous semble que ce type de clause, qui emporte en réalité novation par changement d’emphytéote, pourrait être invalidée dès l’instant où, dans les circonstances de la cause, elle aurait pour effet de réduire la liberté pleine et entière du propriétaire d’octroyer un nouveau droit d’emphytéose à l’issue des 99 ans, ce qui sera généralement le cas. En effet, considérer l’inverse aboutirait à des situations dans lesquelles le droit d’emphytéose pourrait devenir, de fait, perpétuel, et ainsi priver définitivement un propriétaire de son bien. Or, ce caractère perpétuel pourrait quant à lui s’apparenter aux charges féodales de l’Ancien Régime, celles-là même que le législateur de 1824 a précisément voulu interdire en abolissant les emphytéoses perpétuelles.

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