04/10/18

Dans quelle mesure es‑tu, en tant qu’entreprise dominante, libre de déterminer tes prix ?

Imaginez...
Vous travaillez pour une entreprise qui peut se prévaloir d’être le numéro un incontesté du marché dans son domaine.

Dans une tentative d’exploiter au mieux cette position de leader sur le marché, vous suggérez au conseil d’administration d’augmenter sensiblement les prix des produits sur lesquels l’entreprise détient la part de marché la plus importante. Sur la base de vos calculs,  un important retour financier peut être attendu de cette augmentation. La concurrence n’est en effet pas en mesure de fournir des produits de la même qualité, de sorte que les clients achèteront vos produits, même plus chers, et n’iront pas s’approvisionner ailleurs.

Le conseil d’administration vous félicite pour votre travail et donne son accord en vue de l’exécution de votre plan. Si tout se passe comme prévu, vous pourriez même avoir une promotion. Comme vous voulez faire avancer les choses, vous décidez de ne pas consulter le département juridique. Ils ne feraient que compliquer inutilement les choses.

Cependant, au bout de quelques mois, vous êtes vous-même contacté par le département juridique qui vous informe que l’autorité nationale de la concurrence a ouvert une enquête contre votre entreprise pour pratique de prix excessifs. Vous pouvez dire adieu à votre promotion !

Durant l’enquête, vous voulez proposer à l’autorité nationale de la concurrence de s’abstenir d’imposer une amende à votre entreprise, dans la mesure où elle serait disposée à baisser les prix de ses produits à un niveau nettement inférieur aux prix initialement pratiqués.

L’autorité nationale de la concurrence ne se satisfait absolument pas de votre proposition et vous fait savoir qu’elle y voit une stratégie visant à évincer vos concurrents du marché en proposant des produits à des prix trop bas.

Vous êtes abasourdi. Prix excessifs ? Prix déraisonnablement bas ? Pratique illégale ? Amendes ? Une entreprise n’est-elle même plus libre de décider seule de ses propres prix ?

Quelques précisions.
Les entreprises qui occupent une position dominante ont une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par leur comportement, à une concurrence effective et non faussée. Elles ne peuvent abuser de leur position dominante en recourant à des pratiques d’éviction ou d’exploitation.

L’une des conséquences de cette responsabilité particulière est qu’une entreprise en position dominante ne peut appliquer des prix déraisonnables (“excessifs”) à l’égard de ses clients. Il s’agit-là d’un abus d’exploitation interdit.

Un prix excessif est un prix qui ne présente pas un lien raisonnable avec  la valeur économique du bien fourni ou du service presté. Il est difficile de déterminer si un prix est ou n’est pas excessif. Plusieurs méthodes sont appliquées à cet effet, parmi lesquelles la comparaison des prix avec les coûts de production, la comparaison des prix avec les prix pratiqués dans d’autres pays et la comparaison des prix de vente avec les prix pratiqués précédemment. Un prix n’est pas considéré comme excessif lorsqu’il existe une justification économique objective à son augmentation, comme, par exemple, l’augmentation des prix des matières premières ou l’augmentation des frais de recherche et de développement.

En dépit de problèmes de preuve, diverses entreprises ont récemment été condamnées pour pratique de prix excessifs, notamment en Belgique, en Italie, au Royaume-Uni, en France et en Lettonie.

Inversement, il est également interdit à une entreprise qui détient une position dominante de pratiquer des prix trop bas, à savoir lorsque ces prix procèdent d’une stratégie prédatrice. Il s’agit-là encore d’un abus d’éviction interdit.

Les prix inférieurs aux coûts variables moyens sont présumés être des prix prédateurs, tandis que les prix supérieurs aux coûts variables moyens, mais inférieurs aux coûts totaux moyens, sont des prix prédateurs, lorsque ces prix s’intègrent dans le cadre d’un plan visant à évincer un concurrent du marché.

Une entreprise dominante a généralement d’importantes réserves financières et peut ainsi se permettre d’essuyer des pertes pendant une période. Elle peut alors évincer du marché les concurrents restants avec de plus faibles réserves financières. Ensuite, elle peut récupérer les pertes en pratiquant à nouveau des prix plus élevés.

Concrètement :
Une entreprise dominante doit respecter le droit de la concurrence lors de la fixation de ses prix. Plus précisément, elle doit appliquer les règles pratiques suivantes :

Éviter toute tarification qui vise à exploiter des consommateurs ou à évincer des concurrents.
Veiller à ce que toute augmentation de prix soudaine et importante repose sur une justification objective, telle que l’évolution des prix des matières premières, l’augmentation des frais de recherche et de développement ou l’introduction de nouvelles obligations légales.
S’en tenir aux mêmes principes pour la vente de produits à un prix inférieur au prix de revient. Cette pratique doit également être clairement justifiée, par exemple, par le lancement d’un nouveau produit, la nécessité d’écouler un stock obsolète ou l’impossibilité de vendre certains biens à un prix ‘normal’.

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