16/12/21

Nouvelle réglementation sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations entre entreprises au sein de la chaîne al…

La directive européenne portant sur les pratiques commerciales déloyales B2B au sein de la chaîne de distribution agroalimentaire vient d’être transposée en droit belge par une loi publiée ce 15 décembre 2021 au Moniteur belge. Examinons brièvement son contexte, son champ d’application, les pratiques interdites, ainsi que les sanctions qui seront bientôt en vigueur.

Contexte et objectif

La directive (UE) 2019/633 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire a été publiée le 17 avril 2019 au  Journal officiel de l’Union européenne.

Cette directive a pour but d’interdire certaines pratiques déloyales de la part des acheteurs de produits agroalimentaires (par exemple les détaillants) envers les fournisseurs de ces produits (organisation de producteurs, grossistes, transformateurs). Ceci est expliqué par la vulnérabilité particulière du secteur en raison de la volatilité des revenus des agriculteurs, les risques commerciaux importants auxquels ils font face vu la dépendance de leurs rendements aux conditions météorologiques de plus en plus instables à cause de la crise climatique et la périssabilité de la majorité de leurs produits. Il existe souvent une forte dépendance des fournisseurs aux acheteurs, qui sont majoritairement de taille considérablement plus grande. Dès lors, le législateur européen s’est efforcé d’interdire un certain nombre de pratiques déloyales exercées par ces acheteurs, afin de rendre plus équitables leurs relations économiques avec les fournisseurs.

Cette directive vient d’être transposée en droit belge au travers de la loi du 28 novembre 2021. Cette adoption s’est faite tambour-battant dès lors que le projet de loi avait été déposé le 7 septembre 2021. Il faut dire que le temps avait fini par presser pour le législateur belge puisque la directive prévoyait que les dispositions nationales la transposant devaient être appliquées pour le 1er novembre 2021…

Etant donné que la directive est d’harmonisation minimale, les Etats membres peuvent maintenir ou adopter des règles visant à lutter contre les pratiques commerciales déloyales plus strictes que celles énoncées dans la directive. Il restait à voir si le législateur belge allait faire usage de cette faculté.

Insertion dans le livre VI du Code de droit économique

Assez naturellement, le législateur fait le choix de transposer les dispositions de la directive dans le livre VI du Code de droit économique, plus précisément dans le chapitre relatif aux pratiques du marché déloyales entre entreprises. Une section 4 est ainsi insérée, après celles relatives aux pratiques commerciales déloyales (section 1), aux pratiques commerciales trompeuses (section 2) et aux pratiques commerciales agressives (section 3). Les travaux préparatoires précisent que les dispositions des autres sections complètent bien les nouvelles dispositions. De même, les pratiques du marché déloyales dans le secteur alimentaire pourront être abordées tant par les nouvelles dispositions que par la réglementation sur les clauses abusives.

Champ d’application

Le champ d’application ratione personae de la directive est fixé en tenant compte de la taille relative du fournisseur par rapport à celle de l’acheteur. Différents seuils sont ainsi fixés. Ainsi, par exemple, un fournisseur qui réalise un chiffre d’affaires inférieur à 2 M € sera protégé par la directive si son acheteur réalise un chiffre d’affaires supérieur à 2 M €).

Le champ d’application de la loi, par contre, est élargi. Cette taille relative et ces seuils sont ainsi abandonnés. La loi s’applique quelle que soit la taille de l’acheteur comparée à celle du  fournisseur. Toutefois, seuls les fournisseurs ayant un chiffre d’affaires annuel inférieur à 350 millions d’euros sont visés. Cependant, ce plafond ne s’applique pas aux organisations de producteurs reconnues.

Sur le plan territorial, la loi s’applique dès lors que le fournisseur ou l’acheteur (ou a fortiori les deux) sont établies en Belgique. La loi pourra donc s’appliquer à des fournisseurs ou des acheteurs établis dans un autre Etat membre, voire dans un pays tiers. Sur ce plan, le législateur belge transpose fidèlement la directive.

Pratiques déloyales visées

La directive établit une distinction entre une liste « noire » et une liste « grise » de pratiques. Alors que les pratiques commerciales déloyales de la liste noire sont interdites, quelles que soient les circonstances, celles de la liste grise sont autorisées si le fournisseur et l’acheteur en conviennent au préalable de manière claire et non équivoque. La directive ne contient donc pas de norme générale interdisant les pratiques commerciales déloyales en général, mais cible les pratiques considérées comme les plus dommageables. Sur ce point, le législateur belge transpose fidèlement les listes établies par la directive.

Les pratiques déloyales reprises dans la liste noire sont, en substance, les suivantes :

  • le fait de fixer des échéances de paiement de plus de 30 jours pour les produits agricoles et denrées alimentaires périssables et de plus de 60 jours pour les autres produits agroalimentaires ;
  • l’annulation à brève échéance de commandes de produits agroalimentaires périssables. Toutefois, les contrats scolaires et de soins de santé ne sont pas couverts par cette interdiction ;
  • les modifications de contrat décidées unilatéralement par l’acheteur ;
  • les paiements sans lien avec la vente de produits agricoles et alimentaires ;
  • le transfert des risques de perte et de détérioration sur le fournisseur ;
  • le refus de l’acheteur de confirmer par écrit le contrat de fourniture au fournisseur, malgré les demandes de ce dernier ;
  • l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite de secrets d’affaires du fournisseur par l’acheteur ;
  • le fait de procéder à des représailles commerciales envers le fournisseur ou la menace de procéder à celles-ci, si l’acheteur exerce ses droits légaux ;
  • le transfert, vers le fournisseur, des coûts liés à l’examen des plaintes des clients.

Les pratiques visées par la liste grise sont quant à elle les suivantes :

  • l’acheteur renvoie des produits agricoles et alimentaires invendus au fournisseur sans payer pour ces invendus ou sans payer pour l’élimination de ces produits;
  • le fournisseur est tenu d’effectuer un paiement pour que ses produits agricoles et alimentaires soient stockés, exposés ou référencés ou mis à disposition sur le marché;
  • l’acheteur demande au fournisseur qu’il supporte tout ou partie des coûts liés à toutes remises sur les produits agricoles et alimentaires qui sont vendus par l’acheteur dans le cadre d’actions promotionnelles;
  • l’acheteur demande au fournisseur qu’il paie pour la publicité faite par l’acheteur pour les produits agricoles et alimentaires;
  • l’acheteur demande au fournisseur qu’il paie pour la commercialisation de produits agricoles et alimentaires par l’acheteur;
  • l’acheteur fait payer par le fournisseur le personnel chargé d’aménager les locaux utilisés pour la vente des produits du fournisseur.

Le législateur belge n’a donc pas ajouté de pratiques interdites dans les listes fournies par la directive. Il accorde toutefois la possibilité au Roi de compléter cette liste.

Cependant, contrairement à la directive, le projet de loi n’opère pas de distinction entre :

  • les produits destinés à la consommation par les animaux et par les humains ;
  • la protection accordée pour les produits périssables et non périssables.

Les fournisseurs seront protégés contre les pratiques déloyales concernant tous ces produits de manière indifférente.

Procédure et sanctions

L’autorité de référence en Belgique pour rechercher et constater les infractions, recevoir les plaintes, adresser des avertissements, sur demande ou d’initiative et proposer une transaction suite à des infractions aux nouvelles dispositions sera la Direction générale de l’Inspection économique du SPF Economie. Il est à noter que la nouvelle loi prévoit des modalités de traitement des plaintes, en fixant notamment certains délais et en prévoyant également la possibilité d’assurer la protection de l’identité du plaignant.

De manière intéressante, la nouvelle loi prévoit également la possibilité de rendre publique la décision infligeant une amende administrative à l’entreprise concernée.

Entrée en vigueur

La loi prévoit uniquement une période de transition pour les accords de fourniture conclus avant sa date de publication, soit le 15 décembre 2021. De tels accords doivent être mis en conformité avec la loi pour le 15 décembre 2022. Qu’en est-il toutefois des pratiques unilatérales (visées par la loi) survenant dans le cadre d’un contrat de fourniture existant ? La loi est muette sur ce point. Pour les accords de fourniture conclus après le 15 décembre 2021, la loi s’applique par contre dans les dix jours suivant sa publication, soit le 25 décembre 2021.

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