30/10/19

Un système de vidéosurveillance secret ne viole pas nécessairement le droit au respect de la vie privée

1.Les faits

Soupçonnant certains employés de vols, un directeur de supermarché espagnol décide d'installer des caméras de surveillance dans son magasin. Certaines sont visibles, d'autres sont cachées. Les enregistrements cachés révèlent plusieurs vols et l'employeur licencie les auteurs pour motif disciplinaire. N'ayant pas été préalablement informés de l'installation de la vidéosurveillance, certains travailleurs estiment leur licenciement abusif devant les juridictions du travail en invoquant une violation de leur droit à la vie privée.

Les juridictions espagnoles estiment que la vidéosurveillance cachée était proportionnée compte tenu des soupçons de vols, du but poursuivi par l'employeur et de la nécessité de recourir à ce moyen de surveillance pour éclaircir ses doutes.

Elles concluent au respect de la vie privée des employés, à la validité des vidéos comme éléments de preuve et à la régularité du licenciement des travailleurs.

2. La décision de la CEDH

Saisie d'un recours, la Grande Chambre de la CEDH conclut à la non-violation du droit au respect de la vie privée des travailleurs, en reprenant certains principes tirés de sa jurisprudence constante (cfr. Arrêt B?rbulescu c. Roumanie, GC, 61496/08, 5 septembre 2017).

Les soupçons de vol constituent selon elle des motifs légitimes justifiant une surveillance, dont l'ampleur n'a ici pas excédé ce qui était nécessaire. La Cour opère ainsi une distinction entre le degré d'intimité qu'un employé peut attendre sur son lieu de travail, selon qu'il se trouve dans un endroit relevant de l'intimité (toilettes et vestiaires) ou dans les endroits visibles et accessibles aux collègues ou au public (en l'espèce, les caisses du magasin).

Bien que reconnaissant l'obligation de principe d'une notification préalable des mesures de surveillance, la Cour estime que les juridictions internes ont pu considérer que l'atteinte à la vie privée des employés était proportionnée. En effet, l'existence de soupçons raisonnables d'irrégularités graves et l'ampleur des pertes constatées par l'employeur, sont des justifications sérieuses en l'espèce.

La Cour décide que l'utilisation des images obtenues par vidéosurveillance n'a pas porté atteinte au caractère équitable de la procédure judiciaire. Elle constate en effet que les juridictions espagnoles ont amplement motivé leurs décisions, que les enregistrements n'étaient pas les seuls éléments du dossier et que les employés n'ont d'ailleurs pas contesté leur authenticité.

Que retenir?

La CEDH estime que la mise en place d'un système de vidéosurveillance secret peut se justifier au regard du respect au droit à la vie privée (art. 8 CEDH), moyennant les conditions suivantes :

  • la surveillance est basée sur des motifs légitimes ;
  • elle s'effectue dans les lieux de l'entreprise accessibles au public ;
  • l'ampleur de la surveillance est proportionnée ;
  • impossibilité d'utiliser d'autres moyens par l'employeur.

L'utilisation des images ainsi récoltées, et dont l'authenticité n'est pas contestée, comme preuve pour fonder le licenciement des employés concernés ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable (art. 6 CEDH).

Sources :

Cour Eur. D.H., arrêt Lòpez Ribalda et autres c. Espagne (Grande Chambre), 1874/13 et 8567/13, 17 octobre 2019

Cour Eur. D.H., arrêt Lòpez Ribalda et autres c. Espagne, 1874/13 et 8567/13, 9 janvier 2018

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