15/05/19

Nouveauté : les clauses abusives dans les relations B2B

Imaginez…

Vous venez d’investir dans une nouvelle ligne de production dans votre usine anversoise lorsqu’un client important vous annonce qu’il vous abandonne. Heureusement, vous trouvez rapidement un nouveau client. Vous devez certes pratiquer des prix très serrés, mais en échange, le nouveau client est disposé à acheter des volumes importants pendant trois ans. De cette manière, votre investissement ne sera pas déficitaire.

À votre grand étonnement, vous recevez après six mois un courrier par lequel ce nouveau client résilie le contrat moyennant un délai de préavis de 30 jours. Vous l’appelez immédiatement pour lui rappeler que le contrat a été convenu pour une durée déterminée de trois ans et ne peut donc pas être résilié. Selon le client, vous devez consulter d’urgence votre avocat. Vous n’auriez pas bien lu la nouvelle loi belge. Cette loi disposerait en effet que l’on doit toujours pouvoir résilier un contrat moyennant un délai raisonnable de résiliation, même si ce contrat est à durée déterminée. Une durée de 30 jours constitue, selon le client, un tel ‘délai raisonnable’.

Vous êtes de plus en plus surpris. Une nouvelle loi ? Les contrats à durée déterminée résiliables à tout moment ? Il est effectivement temps de consulter votre avocat.


Quelques précisions…

Le 21 mars dernier, le législateur belge a approuvé une loi régulant les relations B2B par le biais de trois mesures.

Premièrement, la loi introduit l’interdiction d’abus de dépendance économique dans les relations B2B. Cette modification de loi entre en vigueur le premier jour du treizième mois suivant la publication au Moniteur belge.

Deuxièmement, la loi étend l’interdiction générale existante en matière de pratiques du marché déloyales dans un contexte B2B par le biais d‘interdictions spécifiques en matière de pratiques trompeuses et agressives. Cette modification de loi entre en vigueur le premier jour du quatrième mois suivant la publication au Moniteur belge.

Troisièmement, la loi limite lesdites « clauses abusives » dans les relations B2B.

C’est cette dernière mesure qui est importante pour notre fabricant.

La loi instaure pour les relations B2B, à l’instar des relations B2C, un principe général selon lequel les clauses qui créent un déséquilibre manifeste entre les parties professionnelles à un contrat, sont abusives et nulles. La clause abusive peut même entrainer la nullité de l’intégralité du contrat lorsqu’elle était à ce point essentielle pour le contrat que celui-ci ne peut subsister sans la clause abusive.

Le principe général est traduit dans une liste noire et une liste grise de clauses abusives. La liste noire contient des clauses qui sont toujours abusives ; la liste grise contient des clauses qui sont présumées être abusives jusqu’à preuve du contraire.

La liste grise stipule notamment que les clauses qui tendent à lier les parties sans qu’un délai raisonnable de résiliation ne soit prévu sont abusives, sauf preuve contraire. La loi n’opère à cet égard aucune distinction entre les contrats à durée indéterminée, pour lesquels il est acquis qu’ils doivent pouvoir être résiliés moyennant un délai de préavis raisonnable, et les contrats à durée déterminée, qui ne sont généralement pas résiliables, sauf disposition contraire dans le contrat.

Il ressort des documents parlementaires préparatoires que la loi vise des circonstances dans lesquelles il est question d’une « durée contractuelle anormalement longue sans délai de préavis raisonnable » ou encore d’une « durée contractuelle trop longue ». Il convient d’apprécier au cas par cas ce qu’est une durée anormalement longue ou une durée trop longue et quelle durée doit avoir un éventuel délai de préavis. Il faudra ainsi notamment tenir compte de la relation entre les parties, de la nature des biens ou services et du secteur concerné, des usages commerciaux et du contexte dans son ensemble.

Les parties au contrat peuvent délibérément convenir d’une clause figurant dans la liste grise, en prévoyant par exemple un délai de résiliation dans un contrat à durée déterminée. Elles courent alors le risque que l’autre partie invoque le caractère abusif de la clause si elle veut se retirer du contrat. C’est le cas du client dans notre exemple. Selon la lettre de la loi, la charge de la preuve de la légitimité d’une clause incombe dans ce cas à la partie qui sollicite le respect de la durée déterminée convenue, en l’espèce le fabricant. Celui-ci pourrait invoquer que les prix très serrés accordés au client ont été établis sur la base de la durée déterminée du contrat et qu’un délai de résiliation de 30 jours est excessivement court pour trouver un nouveau client alternatif à qui la capacité libérée peut être allouée.

La nouvelle législation sur les clauses abusives s’applique à toute relation commerciale B2B, quelle que soit la taille des parties au contrat et indépendamment du secteur. La législation s’applique uniquement aux contrats qui ont été conclus, modifiés ou reconduits après l’entrée en vigueur de la modification de loi. Les contrats en cours ne sont donc pas visés. Cette entrée en vigueur a lieu le premier jour du dix-neuvième mois suivant la publication au Moniteur belge.


Concrètement :

  • Les contrats qui sont conclus, modifiés ou reconduits après le premier jour du dix-neuvième mois suivant la publication au Moniteur belge, doivent être vérifiés au niveau de la présence de clauses abusives.
     
  • Les clauses qui figurent dans la liste noire doivent dans tous les cas être évitées ; les clauses reprises dans la liste grise doivent être appréciées au cas par cas.
     
  • Si une clause de la liste grise est reprise, il est judicieux que les parties préciser pourquoi elles pensent, dans le cas d’espèce, que le dispositif contractuel pris dans son ensemble n’est pas manifestement déséquilibré. Il est préférable de ne pas se limiter à apporter cette précision à l’aide de clauses types (lesdites « boiler plates »), mais aussi sur la base d’une analyse du contrat proprement dit.


En savoir plus :

La loi n’a pas encore été publiée dans le Moniteur Belge. Le texte tel qu’adopté par le Parlement peut être consulté ici : http://www.dekamer.be/FLWB/PDF/54/1451/54K1451008.pdf

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