15/11/22

Le lancement d’alerte dans le secteur privé

Aujourd’hui (le 15 décembre 2022), la Loi sur la protection des personnes qui signalent des violations au droit de l'Union ou au droit national constatées au sein d'une entité juridique du secteur privé a été publiée dans le Moniteur belge.

La loi entrera en vigueur le 15 février 2023. En ce qui concerne la mise en place de canaux de signalement internes, il existe une dérogation pour les entités juridiques du secteur privé comptant entre 50 et 249 travailleurs : ces règles spécifiques ne leur seront applicables qu’à partir du 17 décembre 2023. Toutefois, les autres règles de la loi (ex: la protection des lanceurs d’alerte) leur seront déjà applicables le 15 février 2023. 

1. Champ d’application matériel

Le champ d’application matériel de la politique relative au lancement d’alerte est défini de manière plus large que ce que prévoyait la Directive européenne en ce qu’il couvre également la fraude et l’évasion fiscale. En outre, la loi reprend également une liste non-limitative de lois nationales qui ont transposé les directives et règlements européens. 

Les systèmes existants, tels que la possibilité pour les travailleurs de demander une intervention en cas de harcèlement ou de tout autre risque psychosocial tel que le stress ou le burn-out, (sur la base de la Loi du bien-être des travailleurs) ou le droit individuel d’être assisté par et/ou de consulter un syndicat ou un représentant des travailleurs, ne sont pas affectés et restent donc applicables. 

2. Champ d’application personnel

La règlementation sera applicable aux travailleurs/fonctionnaires qui ont pris connaissance d’informations dans un contexte professionnel. Les consultants indépendants, les stagiaires, les anciens travailleurs, les administrateurs et les actionnaires seront également protégés lorsqu’ils signaleront une infraction de bonne foi. 

3. Champ d’application “proportionnel”

Les principes généraux de la règlementation s’appliquent à tous les lanceurs d’alerte qui prennent connaissance d’informations à propos de violations dans un contexte professionnel. 

Cependant, seules les entités juridiques privées (entreprises, en ce compris les associations de fait) comptant 50 travailleurs ou plus (également les petites et moyennes entreprises appelées (PME)) doivent prévoir un canal et une procédure de signalement internes pour les lancements d’alerte. Il n’y a qu’une seule exception: les PME financières et économiques privées et les PME exerçant des activités liées à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme qui doivent toujours mettre en place une procédure interne, quel que soit le nombre de travailleurs. 

Les entreprises du secteur privé comptant au moins 250 travailleurs doivent disposer d’un canal et d’une procédure de signalement internes le 15 février 2023. 

Les entreprises comptant entre 50 et 249 employés disposent d'un peu plus de temps et doivent mettre en place des systèmes de signalement internes au plus tard le 17 décembre 2023. Ce délai plus long ne s'applique toutefois pas aux entreprises concernés du secteur financier : celles-ci doivent être en conformité le 15 février 2023.

Les entreprises qui appartiennent à un groupe international ne pourront se contenter de la mise en place d’une politique globale. Cette politique devra toujours respecter les éventuelles règles plus strictes applicables au niveau local. La mise en place d’une politique globale standard comportant une annexe par pays qui prévoit les dérogations nécessaires parait être une bonne pratique. 

Les seuils du nombre de travailleurs sont calculés conformément aux règles applicables aux élections sociales. 

4. Canal et procédure de signalement internes

Un canal et une procédure de signalement internes doivent respecter un certain nombre de formalités (notamment la possibilité de lancer une alerte tant oralement que par écrit, la possibilité d’avoir un entretien concernant le signalement, la remise d’un accusé de réception spécifique après le signalement…). Les entreprises disposent évidemment encore d’une certaine souplesse pour mettre en œuvre le système. Ils pourraient choisir la personne ou le service le plus approprié pour recevoir et suivre les signalements, tant que leur indépendance est garantie et qu’il n’existe pas de conflit d’intérêts. La culture de l’organisation, le budget et les ressources seront des éléments déterminants à cet égard. 

La manière dont les règles doivent être mises en œuvre n’est pas définie. Celle-ci peut être assurée dans le cadre du règlement de travail, d’une convention collective de travail ou d’une simple politique. Compte tenu de la possibilité de modifier une politique à la seule initiative de l’employeur, nous vous conseillons de choisir cette dernière option. Dans tous les cas, la concertation sociale (à savoir la procédure d’information et de consultation des représentants des travailleurs) doit être respectée conformément au système de cascade connu : conseil d’entreprise, délégation syndicale, comité pour la prévention et la protection du travail ou directement avec les travailleurs de l’entreprise. 

Le lancement d’alerte reste une possibilité et non une obligation. Un lanceur d’alerte peut lui-même choisir d’utiliser le canal de signalement interne ou le canal de signalement externe, le but étant toutefois que le recours au canal de signalement interne soit privilégié/encouragé autant que possible. 

5. Signalement externe

Une “autorité de lancement d’alertes”, indépendante et autonome, devra être désignée pour servir de canal de signalement externe. Cette autorité sera compétente pour recevoir les signalements, donner un feedback et assurer le suivi des signalements. Différentes autorités (existantes) pourront se voir accorder des compétences spécifiques dans les domaines concernés (ex : l’Autorité de Protection des Données (APD), l’Autorité des Services et Marchés Financiers ou l’Autorité de la Concurrence) et certaines données pourront être échangées entre les autorités. 

En dernier recours, si aucune mesure appropriée n’a été prise en réponse à un signalement externe après un certain délai, le lanceur d’alerte sera autorisé à divulguer cette information aux médias. Tel sera le cas lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser qu’il existe un danger imminent ou réel pour l’intérêt public, ou lorsqu’il y a un risque de représailles ou de destruction de preuves. 

6. Signalement anonyme

Les entreprises de plus de 250 travailleurs doivent prévoir la possibilité de faire un signalement anonyme. Les entreprises comptant moins de 250 travailleurs n’y sont pas tenues. L’APD avait toutefois indiqué précédemment que cette différence de traitement entre les entreprises comptant plus ou moins de 250 travailleurs devait être à tout le moins expliquée plus en détail. L’Exposé des motifs justifie ce seuil en soulignant la charge que représente la mise en place d’un système de signalement anonyme. Selon l’APD, le signalement anonyme doit également rester facultatif et exceptionnel. 

7. Protection spéciale pour les lanceurs d’alerte

Les lanceurs d’alerte sont protégés contre les actes de représailles. La protection ne vaut pas uniquement pour les travailleurs. Elle vaut également pour les personnes qui ont une autre qualité et qui font un lancement d’alerte. 

En ce qui concerne les travailleurs, cette protection s’applique contre toutes sortes d’actions prises par l’employeur telles que le licenciement, l’évaluation négative, l’absence de possibilité de promotion ou la rétrogradation, la modification des conditions de travail,  les sanctions disciplinaires, le non-renouvellement d’un contrat de travail à durée déterminée, le harcèlement ou l’intimidation…  

Les lanceurs d’alerte peuvent bénéficier du régime de protection à condition qu’au moment du signalement, ils aient eu des raisons raisonnables de croire que les informations signalées étaient véridiques et que les informations tombaient sous le champ d’application de la loi, et qu’ils aient fait soit un signalement interne ou externe, soit une divulgation publique. 

Les lanceurs d’alerte qui sont néanmoins victimes de représailles ont droit à une indemnisation spécifique de dix-huit à vingt-six semaines de rémunération (ou dans le cas d’une violation de la législation relative aux services, produits et marchés financiers ou sur la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme: une indemnité de six mois de rémunération ou une réparation du dommage effectivement subi; dans ce cas, le travailleur a également droit à une réintégration, ce qui est tout à fait exceptionnel en droit belge). 

L’indemnité susmentionnée ne peut pas être cumulée avec une éventuelle indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable (CCT n°109). 

L’employeur doit prouver que toute mesure prise à l’encontre d’un travailleur n’a aucun lien avec le fait qu’il ait fait un lancement d’alerte, et ce sans limite de temps. Le CNT avait recommandé au législateur belge de limiter ce renversement de la charge de la preuve dans le temps (comme c’est par exemple le cas dans d’autres réglementations, telles que la Loi bien-être dans laquelle après 12 mois, il appartient au travailleur (et non plus à l’employeur) de prouver que le licenciement ou les autres mesures de représailles ont été prises en raison du fait qu’il ait signalé un certain comportement et qu’il ait exercé son droit de lanceur d’alerte protégé).  

Enfin, les lanceurs d’alerte disposeront d’un droit légal à l’assistance d’une organisation syndicale. 

8. Sanctions en cas de non-respect

Les entreprises qui ne respectent pas les obligations relatives aux signalements internes et à leur suivi, ou à l’archivage des signalements, peuvent encourir des amendes administratives de 2.400 à 24.000 EUR, voire des sanctions pénales (amendes de 4.800 à 48.000 EUR et/ou une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans).  

Le CNT a souligné, dans son avis, que des sanctions efficaces devaient également être prévues pour les personnes qui font des lancements d’alerte de mauvaise foi ou qui font délibérément de faux signalements. Cette recommandation a été suivie dans le projet de loi. Ainsi, les auteurs de signalement seront sanctionnés en vertu des articles 443 à 450 inclus du Code pénal (atteintes portées à l’honneur ou à la considération des personnes) s’il est établi qu’ils ont sciemment signalé ou divulgué de fausses informations. Les personnes qui ont subi un dommage résultant d’un tel signalement ou d’une telle divulgation auront droit à des dommages et intérêts conformément aux règles relatives à la responsabilité contractuelle et extracontractuelle. 

À faire: Chaque entreprise doit se demander s’il doit mettre en place un canal de signalement interne et, le cas échéant, dans quel délai celui-ci doit être mis en place. S’il existe déjà une politique de lancement d’alerte au sein de l’organisation, il conviendra de vérifier si celle-ci est conforme à la nouvelle réglementation et de la modifier si nécessaire. 

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