20/08/20

La crise du COVID et le renflouement d’entreprises en difficulté : quel impact fiscal ?

La crise actuelle justifie de faire le point sur les incidences fiscales de deux modes de renflouement de sociétés en difficultés : l’abandon de créance et la capitalisation de créance.

Abandon de créance

Voici une société mère qui détient une créance contre une filiale en difficulté. Pour résorber les fonds propres de sa filiale, la société mère peut envisager de procéder à un abandon de sa créance. L’abandon crée en principe (i) une charge déductible chez la société mère et (ii) un produit financier exceptionnel imposable chez la société filiale. Cette imposition de la filiale est généralement théorique puisque ce produit sera absorbé par ses pertes fiscales reportées. Cette technique d’assainissement est à première vue attrayante : la société mère peut déduire une perte, sans que la société filiale ne soit corrélativement imposée. Ceci revient en quelque sorte à faire participer le Trésor public au renflouement de la filiale en difficulté à hauteur du quart (soit l’économie d’impôt des sociétés réalisée) !

Pareil abandon est légitime lorsqu’il est justifié par le souci d’aider une filiale en péril. En revanche, si l'abandon est motivé à des fins purement fiscales, le fisc pourrait tenter (i) de rejeter la déductibilité de l'abandon (article 49 du CIR) ou (ii) d'empêcher la société filiale d'imputer ses pertes fiscales sur le produit financier (article 207 du CIR). Le Service des Décisions Anticipées a publié, le 31 octobre 2019, un modèle de demande de décision anticipée en matière d’abandon de créance. On retiendra que le fisc est enclin à admettre l’abandon, en particulier lorsque celui-ci est assorti d’une clause de retour à meilleure fortune.

Apport de la créance au capital

La société mère peut aussi contribuer au désendettement de sa filiale en lui faisant un apport de sa créance. La créance peut être apportée à sa valeur nominale ou à sa valeur économique.

Lorsque la créance est apportée à sa valeur nominale, l'opération se réalisera en neutralité fiscale tant chez la société mère (absence de déduction d’une perte) que chez la société filiale (absence de bénéfice imposable).

L'apport de la créance à sa valeur économique (par hypothèse inférieure à sa valeur nominale) entrainera des conséquences fiscales similaires à l'abandon de créance: déduction d'une perte chez la société mère et naissance d'un bénéfice imposable chez la filiale, à concurrence de la différence entre la valeur nominale de la créance et l'évaluation économique de l'apport. L’apport à valeur économique est préférable pour la société mère, car la perte sur créance vient en déduction de ses résultats imposables. La société filiale n’est, en revanche, pas à l’abri des foudres du fisc. Les fiscalistes ont encore en mémoire l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 18 mai 2001, qui a tourné au cauchemar pour une société bénéficiaire d’un apport de créance à valeur économique. En l’espèce, une société mère détenait une créance de 60 millions BEF contre sa filiale ; elle avait apporté sa créance au capital de sa filiale pour sa valeur économique, soit 10.000 BEF. La filiale avait déduit ses pertes fiscales du produit imposable (soit 59.990.000 BEF).  Le fisc considérera l'apport à valeur économique comme un avantage anormal ou bénévole, et s'opposa à l'imputation des pertes fiscales de la filiale sur le produit imposable (article 207 du CIR). Résultat des courses : la filiale fut imposée sur un bénéfice « sur papier » !

Pour éviter cet écueil, l’apport de créance à valeur nominale, qui ne fait naître aucun bénéfice chez la société bénéficiaire de l’apport, est généralement préconisé en pratique. Cette technique ne fait toutefois pas le bonheur de la société apporteuse, qui ne peut comptabiliser une perte sur créance déductible.

Suivant un arrêt du 11 juin 2020 de la Cour de cassation, si la société bénéficiaire de l’apport enregistre la créance à sa valeur nominale, la société apporteuse doit comptabiliser les actions reçues en échange à la même valeur nominale, et non à leur valeur réelle (largement inférieure). La Cour a ainsi rejeté la théorie de l’évaluation asymétrique, défendue par certains stratèges de l’ingénierie fiscale, qui aurait ouvert la porte à la déduction d’une perte sur créance chez la société apporteuse, et à l’absence de tout profit imposable chez la société bénéficiaire.

Difficile d’obtenir le meilleur des deux mondes en fiscalité !

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